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Michel Sapin : «Non, la réforme des retraites ne sera pas retardée»

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Après la spectaculaire conférence de presse de Delphine Batho, limogée la semaine dernière du gouvernement, Michel Sapin, le ministre du travail, défend la ligne du gouvernement. Mais pour ce proche de François Hollande, le PS et le gouvernement doivent consacrer plus de temps pour « expliquer » la politique de l'exécutif. Il refuse de reporter la réforme des retraites.

La CGT, FO, Solidaires et la FSU appellent déjà à une journée d’action à la rentrée contre la réforme des retraites. Le rejet de la politique du gouvernement dans une grande partie des milieux populaires peut-il provoquer une forte mobilisation contre cette réforme ?

Personne ne peut faire aujourd’hui un pronostic sur la mobilisation à venir. Si la France connaît une reprise de l’activité, si le front du chômage évolue dans le bon sens et s’il y a une reprise de la confiance, le contexte sera différent. Tout le monde sait bien que pour conserver le régime de retraite par répartition, il y a des choses à changer. D’ici l’appel à manifester, j’espère simplement que le gouvernement aura répondu à certains sujets qui inquiètent.

Lesquels ?

Aujourd’hui, le rapport Moreau fait des propositions sur le calcul des retraites des fonctionnaires ou encore le niveau des pensions. Des réponses seront données avant le 10 septembre (les syndicats pourraient manifester ce jour-là – ndlr).

L’aile gauche du PS demande le report de cette réforme. Pour qu’elle soit largement acceptée, ne vaut-il pas mieux attendre cette « reprise de confiance » ?

Non. Quand vous n’avez sur la table que des questions mais pas encore les réponses, cela renforce l’inquiétude. Quand vous avez sur la table des décisions, même si elles ne vous satisfont pas toutes, vous savez à quoi vous en tenir. Avoir une réforme des retraites, qui permette à chacun de voir exactement quelle sera sa contribution et l’évolution de sa pension, peut jouer énormément dans le retour de la confiance, et en conséquence de la reprise d’activité. Il ne faut donc pas la retarder.

Mais dans les usines en difficulté – Florange l’a symbolisé –, ce n’est pas seulement l’inquiétude qui prime mais un désaccord avec les réponses du gouvernement. Pouvez-vous encore combler le fossé grandissant entre la gauche au pouvoir et les classes populaires ? Ou bien l’électorat du PS est-il désormais concentré dans les classes moyennes et les grandes villes ?

Je considère que le parti socialiste, pour reprendre une vieille expression poperéniste (de Jean Poperen, ancien dirigeant du PS – ndlr), est un parti interclassiste. C’est un parti qui s’adresse à tous, et non aux seules classes moyennes. Il n’y a aucune raison que les « classes » supérieures ne puissent pas partager un certain intérêt général, y compris lorsqu’il s’agit de payer plus d’impôts quand on est riche. Et, en sens inverse, je considère qu’il est fondamental – c’est même dans nos gènes – de continuer à s’adresser et à agir dans l’intérêt des « classes » populaires. Le fondement même de l’action d’un gouvernement de gauche, c’est l’intérêt général pour permettre aux plus faibles de retrouver plus de sécurité, plus de revenus et plus de certitudes quant à leur emploi.

Mais ce fossé ne s’est-il pas approfondi à cause de votre politique ?

Le contexte crée une inquiétude : le chômage, l’industrie, l’Europe… Oui, il existe des inquiétudes très profondes qui peuvent créer un fossé entre certaines catégories populaires et les catégories dirigeantes, et donc avec nous puisque nous sommes au pouvoir. C’est une réalité. Il faut s’y attaquer.

Michel SapinMichel Sapin© Reuters.

Delphine Batho dit que la politique du gouvernement fait le lit du FN. Que lui répondez-vous ?

Elle fait une erreur. La politique du gouvernement ne fait pas le lit du Front national. Ceux qui tiennent des propos anti-roms, comme Christian Estrosi vient de le faire, font beaucoup plus le lit du FN que les politiques de sérieux budgétaire !

Mais sur les Roms, Manuel Valls défend aussi l’expulsion des camps

Faire respecter la loi est une chose ; lancer un appel à la violence contre une population en est une autre. Il y a des attitudes qui sont pourvoyeuses de votes Front national. Le discours de Grenoble (que Nicolas Sarkozy prononça en juillet 2010 – ndlr), en a été, au bout du compte, beaucoup plus pourvoyeur de votes FN que la difficulté sociale profonde. Même si celle-ci a bien entendu des conséquences. S’il y a moins de chômeurs, il y aura moins de désespérance sociale et donc moins de vote Front national.

Dans sa conférence de presse, Delphine Batho a critiqué deux aspects distincts : la méthode et la ligne du gouvernement. Ne dit-elle pas ce que des députés et même des ministres expriment depuis plusieurs mois ?

Mais il n’y a pas de revirement ! Il n’y a pas de tournant de la rigueur. Le gouvernement fait exactement la même chose depuis un an : le sérieux budgétaire peut être critiqué mais il n’est pas exact d’affirmer que nous avons changé de ligne de gouvernement.

Il y a quand même une inflexion depuis le pacte de compétitivité (CICE) !

Ce n’est pas ce dont parle Delphine Batho. Elle pointe des difficultés budgétaires – nous y sommes confrontés depuis notre arrivée, et tous les ministres ont eu à discuter leur budget, l'an dernier comme cette année. Encore une fois, on peut critiquer les mesures que nous prenons, mais il n’y a pas de tournant. La ligne du gouvernement est toujours la même.

Mais sur la ligne, plusieurs ministres “hollandais” disent tout de même qu’il faudrait davantage parler à l’électorat de gauche et mieux vendre certaines mesures. Or depuis le début vous avez surtout insisté sur le « sérieux ». Pourquoi ?

Quand nous faisons les emplois d’avenir, nous faisons quelque chose de profondément de gauche. C’est la raison pour laquelle je suis agacé quand certains répètent en boucle que le dispositif ne marche pas ! À chaque fois que j’en signe, les gens disent que c’est une politique juste. Il faut certainement plus communiquer là-dessus. Et sur l’équilibre entre l’efficacité et la justice. Il y a un effort demandé, et donc de la dureté, mais il y a aussi de la justice. Cette question est au cœur du sujet. En réalité, il faut faire plus de politique.

C’est-à-dire ?

C’est consacrer du temps à l’animation politique d’une majorité, d’un parlement et d’un gouvernement. Il faut davantage expliquer notre politique. Le moment est venu après une première année consacrée à beaucoup de prises de décision. Maintenant il faut les mettre en œuvre, avec efficacité, en mobilisant tous les acteurs, mais aussi avec un travail d’explication. La politique, c’est donner du sens. À la fin, il faut des résultats, mais mieux encore des résultats valorisés par une parole politique.

Avez-vous été pris jusque-là dans une gestion trop technocratique comme certains vous le reprochent ?

Ce n’est pas une injure de dire à un ministre qu’il est gestionnaire – nous le sommes. Mais cela ne suffit pas. Il faut des résultats. Mais pour se redresser politiquement, les résultats ne suffiront pas s’ils ne sont pas mis en perspective.

Michel Sapin et Jean-Marc Ayrault en grande discussion à l'assembléeMichel Sapin et Jean-Marc Ayrault en grande discussion à l'assemblée© Reuters.

Quand vous parlez de l’animation politique du gouvernement, vous ciblez aussi Jean-Marc Ayrault. Faut-il une équipe resserrée ? Une réorganisation ?

Il faut consacrer du temps à cette animation politique. Le premier ministre est parfaitement dans son rôle en le faisant. Il ne s’agit pas de changer de méthode mais de faire vivre un ensemble politique divers, avec les écologistes, les radicaux de gauche ou les chevènementistes. Il faut aussi assurer l’animation du premier parti de gouvernement, le parti socialiste.

C’est déjà bien en cours, le premier ministre anime plusieurs réunions politiques par semaine. Et il faut qu’à l’automne prochain, nous ayons les résultats et la méthode d’explication des résultats qui donne du sens à l’ensemble. C’est ça faire plus de politique.

Delphine Batho a aussi pointé le poids des lobbys sur les questions écologiques. Or vous l’avez vous-même vécu avec l’accord entre le PS et Europe Écologie-Les Verts lors de l’épisode du combustible nucléaire MOX. Y a-t-il assez de digues entre les lobbys et le pouvoir ?

Qu’il y ait des intérêts divergents, ou des points de vue différents, c’est normal. Un gouvernement doit pouvoir discuter avec tous les acteurs, de manière transparente et équilibrée. Ils existent, mais je ne sens absolument pas aujourd’hui de poids décisif de tel ou tel lobby.

Mais Nicole Bricq est aussi partie au bout d’un mois avec les permis de forage pétroliers au large de la Guyane

Il ne faut pas prendre le poids des lobbys comme une explication trop simple aux difficultés qu’on peut rencontrer.

Manifestation contre les retraites en 2010Manifestation contre les retraites en 2010© Hugo Vitrani

Vous avez promis de présenter la réforme des retraites avant le 10 septembre. L’allongement de la durée de cotisation à 43 voire 44 ans est le principal levier évoqué pour l’instant. Mais n’allez-vous pas encore accroître les inégalités d’espérance de vie ? Tout le monde ne peut pas travailler 44 ans...

Nous sommes dans la phase de concertation, mais cette hypothèse de l’allongement de la durée de cotisation est beaucoup plus juste que celle portée par la droite du report de l’âge légal de départ à la retraite. Elle est plus juste pour les carrières longues. Et beaucoup de carrières longues sont des carrières pénibles. C’est cette hypothèse qui tient le plus compte des différences entre les espérances de vie en fonction des métiers.

Mais toutes les carrières pénibles ne sont pas des carrières longues…

C’est vrai. Mais statistiquement il y a une grande concomitance entre les carrières longues et les carrières pénibles. C’est pour cela que les organisations syndicales se sont beaucoup battues là-dessus en 2010 et que nous avons rétabli, dès notre arrivée au pouvoir, la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé très tôt.

Dans le débat qui vient de s’ouvrir, deux points importants portent sur cet allongement de la durée de cotisation et sur la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des droits à la retraite. Une proposition du rapport Moreau est celle dite du compte pénibilité, tout au long de la vie. Voilà une réforme de structure qui aurait des effets pour les trente ans qui viennent ! C’est tout l’enjeu de cette réforme : redonner de la sécurité et de la visibilité aux générations les plus jeunes et faire une réforme juste.

Quelle visibilité une telle réforme pourrait-elle offrir aux jeunes dont le premier emploi survient à 23 ans (26 ans pour les diplômés) et pour les seniors dont plus de la moitié n’a plus d’emploi passés 55 ans ?

L’emploi des seniors est décisif. Le contrat de génération y répond en partie. Pour les plus jeunes, une question posée est de savoir dans quelle mesure il est possible de tenir compte des périodes de stage, d’études et dans quelles conditions. C’est un sujet sur la table.

Certains craignent de simples ajustements et non une réforme structurelle comme le parti socialiste le défendait en 2010. Pourquoi avoir abandonné l’idée d’une réforme structurelle ? Et pourquoi renoncez-vous à tout financement alternatif comme la taxation des revenus du capital que vous prôniez en 2010 ?

Nous sommes dans la prolongation de ce que nous prônions en 2010. Nous n’avions, à l’époque, pas du tout exclu l’allongement de la durée de cotisation ni l’augmentation des cotisations. Quant à l’imposition des revenus du capital, nous venons de le faire en les taxant au même niveau que le travail. Cet argent sert aux équilibres sociaux et au financement de l’État. Nous n'avons pas fléché ces recettes vers les retraites mais c’est un équilibre global.

François Hollande et Michel Sapin lors de la signature d'un contrat de générationFrançois Hollande et Michel Sapin lors de la signature d'un contrat de génération© Reuters.

Les emplois d’avenir et les contrats de génération, deux de vos outils phares pour contrer le chômage des jeunes et des seniors, peinent à démarrer. Est-ce les préfets qui ne font pas leur travail, les entreprises qui ne jouent pas le jeu ou les dispositifs qui ne sont pas adaptés ?

Pourquoi chantez-vous toujours la même chanson depuis des mois ? Il faut arrêter de dire que les emplois d’avenir ne décollent pas. L’objectif fixé pour la fin juin était de 33 000. Fin juin, nous sommes à 33 106. Nous sommes exactement au rythme prévu. Ce sont déjà 33 000 jeunes qui étaient dans des situations souvent désespérantes et qui retrouvent un avenir, une capacité de formation, un vrai boulot.

Le dispositif va s’accélérer car beaucoup de recrutements dans les associations sont calés sur la rentrée scolaire. Beaucoup de collectivités locales attendaient aussi le vote du budget supplémentaire en juin. Le nombre d’emplois d’avenir va grimper en quelques semaines. Nous voulons 100 000 emplois d’avenir à la fin de l’année qui correspondent à 100 000 jeunes en grande difficulté, une catégorie qu’il est plus difficile de remettre au travail que les diplômés.

Quant aux contrats de génération, les patrons de TPE et PME ne sont pas réticents car ils baissent significativement le coût du travail. Pour les entreprises de plus de 300 salariés, les négociations sont en cours pour conclure avant le 30 septembre. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, le dispositif marche très bien. Là où cela coince, c’est dans les entreprises de 50 à 300 salariés, où la négociation d'entreprise prend du temps et où les accords de branche ne sont pas encore là. Le contrat de génération en tant que tel n’est pas une mesure qui crée de l’emploi mais qui accélère la décision d’emploi. Le dispositif devrait s’envoler à la rentrée.

Mois après mois, le chômage poursuit sa hausse. Est-ce toujours le bilan de la droite ou bien le résultat de votre politique ?

Le chômage augmente non pas depuis douze mois mais depuis cinq ans. Héritage ou pas, c’est un processus extrêmement lourd, contre lequel la droite n’a pas su lutter. Nous sommes dans un paquebot lancé à toute vitesse depuis cinq ans. Mais c’est nous qui sommes au pouvoir : c’est donc à nous d’agir pour retrouver de la croissance productrice d’emploi et avec des outils comme les emplois d’avenir ou les emplois aidés pour les chômeurs longue durée. Il faut une mobilisation à la hauteur des enjeux dans ce domaine : nous avons décidé en mai une rallonge de 100 000 contrats aidés pour atteindre 540 000 emplois aidés à la fin de l’année.

L’opposition dénonce justement « un plan caché » pour faire baisser les chiffres du chômage…

Ce plan n’est pas caché puisque je vous le décris, il se fait au grand jour ! C’est un plan revendiqué de lutte contre les effets destructeurs du chômage des jeunes et de longue durée. C’est toute la différence avec ce que la droite a fait. Je rappelle qu’en 2012, au moment de la campagne présidentielle, ils ont bourré le début de l’année avec des emplois aidés de quatre mois de janvier à avril. Mais ce n’est pas en quatre mois que vous réintégrez sur le marché un chômeur longue durée ! Nous, nous ciblons des contrats aidés sur douze mois.

La croissance, il faut aussi la soutenir par l’emploi. Une perte du pouvoir d’achat des Français est directement due à la montée du chômage. Il s’agit donc de faire en sorte par ces emplois dits aidés que des chômeurs aient un emploi. C’est extrêmement utile en matière de pouvoir d’achat et donc d’alimentation du moteur de la croissance.

Pour le pouvoir d’achat, vous assumez donc d’avoir choisi de dépenser l’argent public pour des emplois aidés plutôt qu’en augmentant le Smic ou en stoppant le gel du point d’indice des fonctionnaires ?

Être rémunéré au Smic, c’est toujours difficile et on préfère le voir augmenter. Mais quand un chômeur est en fin de droit, il ne touche même pas le Smic. La seule statistique qui compte dans la tête des Français, ce n’est pas la courbe du déficit ou de l’endettement, c’est le chiffre du chômage. Parce que nous avons tous dans notre entourage quelqu’un à la recherche d’un emploi.

L’Insee ne croit pas à l’inversion de la courbe du chômage et ne fait pas les mêmes prévisions que vous. En quoi l’institut se trompe-t-il ?

L’Insee fait des prévisions, nous sommes dans l’action. Et l’Insee est très prudente dans ses hypothèses. Par exemple, il ne prévoit pas 100 000 mais 80 000 emplois d’avenir d’ici la fin de l’année. Ce type d'écart peut faire la différence entre la stabilité du chômage et l’inversion de la courbe du chômage que nous visons.

BOITE NOIREL’entretien a eu lieu lundi matin au ministère du travail. Il a été enregistré puis relu et amendé à la marge par Michel Sapin.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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