Jean-François Copé est fier de ses troupes. Dans un mail adressé mercredi 5 février, le patron de l’UMP se félicite du recul du gouvernement sur la loi famille. « Notre – votre – mobilisation a porté ses fruits ! se réjouit-il. Le gouvernement invoque des “travaux préparatoires” à peaufiner, un “calendrier parlementaire déjà dense”, mais ne vous y trompez pas : c'est bien la mobilisation massive et opiniâtre des Français et des élus de notre mouvement qui a contraint François Hollande à arrêter les frais. »
Voilà quelques jours que les responsables UMP tentent de rattraper le train qu’ils regardent passer depuis plusieurs mois. Car contrairement à ce que prétend Jean-François Copé dans son message de félicitations, le principal parti d’opposition ne parvient pas à s’imposer dans les débats de société, face à une droite ultra-conservatrice qui prospère à travers les différents mouvements issus de la « Manif pour tous ». Cet attentisme révèle une crise idéologique bien plus profonde que le parti n’arrive pas à surmonter.
En mars 2012, quelques jours après les tueries de Montauban et de Toulouse, Nicolas Sarkozy reprenait sa campagne sur le terrain des valeurs, mot-clé de la stratégie de droitisation élaborée par son conseiller officieux, Patrick Buisson. « Nous sommes forts lorsque nous sommes unis autour de nos valeurs (et) nous sommes faibles quand nous oublions nos valeurs », assenait-il à l’occasion d’un meeting à Strasbourg.
Le double échec de l’UMP à la présidentielle et aux législatives, cumulé au spectre des « valeurs communes » avec le Front national jadis posé par Charles Pasqua, a ouvert la porte à un travail d’inventaire du sarkozysme, réclamé dès juin 2012 par plusieurs ténors du parti. Pour que ce travail ne tourne pas « au règlement de comptes avec Nicolas Sarkozy », Jean-François Copé avait à l'époque opté pour un débat sur les « valeurs » et une refonte de la charte du parti. Basée sur « la liberté », « la responsabilité », « la générosité » et « la solidarité », cette dernière était approuvée par le vote des militants le 18 novembre 2012.
Et depuis ? Rien, ou presque. Le principal parti d’opposition observe un silence quasi religieux dès que le mot « valeur » est prononcé. Lui qui expliquait dans sa charte que « le premier lieu de la solidarité, c’est la famille », se retrouve une nouvelle fois confronté à ses propres paradoxes idéologiques.
« Le problème est ancien, souligne l’anthropologue Emmanuel Terray, auteur de Penser à droite (Éd. Galilée, 2012). L’UMP est divisée sur la tactique à adopter. Elle se rend bien compte que le modèle traditionnel de la famille est en train de prendre l’eau. Elle refuse de s’afficher avec ce vieux modèle, mais en même temps, elle ne veut pas perdre l'électorat de la droite catholique traditionnelle. »
De ce fait, l’UMP défile, puis s’abstient. Elle dénonce, puis renonce. Elle soutient, puis condamne. En témoigne la manifestation du 2 février où les élus de droite, pourtant extrêmement mobilisés l’an dernier, brillaient cette fois par leur absence. « L’actualité n’est pas la même, c’est clair, regrette le député UMP Hervé Mariton qui faisait partie du cortège de dimanche. Hors actualité immédiate, ça demande un peu de courage d’y aller. Mais les plus courageux étaient là ! »
Une absence de « courage » que d’autres interprètent comme un manque de convictions. « L’UMP a-t-elle vraiment des valeurs ? s’interroge Emmanuel Terray. Le gouvernement actuel s’occupe des problèmes de société parce que ce sont ses seuls marqueurs de gauche. La droite se retrouve coincée : soit elle récuse d’avance les réformes sociétales au risque de passer pour sectaire, soit elle donne un ticket à la gauche. »
Interrogé fin janvier par Valeurs actuelles, Jean-François Copé faisait l’éloge d’une « droite fière d’elle-même et de ses valeurs », qu’il aime qualifier de « droite décomplexée ». « Nous faisons face à une crise des valeurs, indiquait-il à l'hebdomadaire. Les Français veulent de l’autorité (…), de l’égalité des chances, des droits et des devoirs, en un mot de la fraternité. » Mais le patron de l’UMP ne s’est pas aventuré plus avant sur les questions de société, qui n’ont pas encore été officiellement tranchées par son parti.
Dans son projet d’alternance, adopté le 25 janvier en conseil national, l’UMP a volontairement laissé ces sujets de côté pour « se concentrer » sur les questions économiques et sociales. « Le choix qui a été fait était totalement assumé, indique Benoist Apparu, l’un des rares députés UMP à s’être prononcés en faveur du mariage pour tous. Il nous arrive de temps en temps, c’est rare certes, d’avoir un minimum de cohérence intellectuelle avec nous-mêmes. Du coup, on centre notre projet sur l’essentiel. François Hollande et le gouvernement enfument les Français avec des sujets dérivatifs au lieu de se concentrer sur les sujets principaux. Ça ne veut pas dire qu’on ne fera pas à un moment des propositions sur d’autres choses. »
S’il comprend « l’urgence » économique et sociale, Hervé Mariton estime toutefois que « les questions de société sont aussi tout à fait fondamentales, en particulier sur la famille ». « La pluralité de voix de notre parti ne doit pas empêcher l’énoncé d’une ligne claire, ajoute celui qui est également délégué au projet UMP. À un moment, il faudra bien trancher et donc, voter. »
Outre les atermoiements autour de l’opportunité d’une remise en cause de la loi Taubira en cas d’alternance, l’UMP s’est heurtée à ses clivages internes sur d’autres sujets de société qui ont marqué l’actualité des derniers mois. Récemment, le parti n’a pas réussi à s’accorder sur la position à adopter vis-à-vis du projet de loi égalité hommes-femmes et de l’amendement socialiste visant à supprimer du code de la santé publique la référence à la « situation de détresse » des femmes qui avortent.
Alors que le patron des députés UMP, Christian Jacob, avait annoncé sa volonté de voter majoritairement en faveur de la suppression de cette notion, dix-huit parlementaires ont défendu le déremboursement par la Sécurité sociale de l’interruption volontaire de grossesse (notre article ici). Quant à Jean-François Copé, il a purement et simplement indiqué à Valeurs actuelles qu'« on ne doit pas toucher à la loi Veil ».
« Si vous prenez l’exemple de l’IVG, la différence entre les droites françaises n’est pas nouvelle, précise Benoist Apparu. Une partie des députés de droite n’avait pas voté la loi Veil en 1974. Il y a toujours eu des différences sur les sujets sociétaux : il y a des personnes qui veulent avancer avec la société et d’autres qui ont un peu plus de conservatisme. N’en faisons pas nous-mêmes un problème. Il faut valoriser notre diversité. »
Quelques jours après le débat sur l’IVG, c’est sur le tapis de la soi-disant « théorie du genre » que l’UMP s’est pris les pieds. Après s'être d'abord dit « choqué par la théorie du genre » et avoir confié au Parisien qu'il « compren(ait) l'inquiétude des familles » qui avaient retiré leurs enfants de l’école, Jean-François Copé a finalement contourné la polémique en condamnant les boycotts des établissements scolaires. D’autres élus de droite se sont tout de même engouffrés dans la brèche pour dénoncer une « instrumentalisation politique », fomentée, selon Hervé Mariton, par des « propagandistes de la théorie du genre », proches du PS.
Historien des droites au CRAPE (Centre de recherche sur l’action politique en Europe) et professeur à Sciences-Po Rennes, Gilles Richard rappelle que l’UMP est née de la fusion entre le RPR et l’UDF, elle-même fruit d’une confédération de partis. « Ça fait beaucoup... Ces personnes n’ont pas la même culture politique ni le même système de valeurs ni la même vision du monde, explique-t-il. Ceux qui demeurent démocrates chrétiens ne sont pas attachés aux valeurs de la droite classique catholique. Ils n’ont pas du tout envie de s’afficher avec les conservateurs. »
« Du point de vue des valeurs et de l’évolution de la société, la droite a toujours été divisée, et cela pose actuellement un problème à l’UMP, analyse l’historienne Danielle Tartakowsky, présidente de l’université Paris-VIII et auteur des Droites et la rue (Éd. La Découverte, 2014) dans Libération. Si cette division historique gêne aujourd’hui l’UMP, c’est surtout parce que le parti n’arrive pas à clarifier son positionnement face à l’expression des valeurs réactionnaires qui se fait dans la rue, en dehors des partis de droite.
En reculant sur la loi famille, le gouvernement offre à l’opposition une chance de reprendre la main sur des sujets qu’elle a jusqu’alors mis sous le tapis : mariage pour tous, avortement, euthanasie, « théorie du genre »… Pour l’heure, la droite se contente d’une position critique en attaquant systématiquement l’exécutif qui « ne s’intéresse pas aux vrais problèmes des Français », sans pour autant avancer de nouvelles propositions. « Nous avons fait un millier de conventions sur ces sujets ! se défend Camille Bedin, secrétaire générale adjointe de l’UMP. Le gouvernement vient nous chercher sur ces questions pour faire diversion, mais notre ligne est très claire. »
Si elle reconnaît « certaines divergences sur la manière de faire », cette copéiste, figure du mouvement droitier de l'UMP la « Droite forte », « remarque que la droite a une très grande cohérence sur les valeurs sociétales, sur la conception de la famille, de la vie, de la mort… ». « Autant je sens des clivages économiques entre une vision libérale et une vision plus étatique, autant les questions de sociétés me semblent bien être le socle de notre parti », ajoute-t-elle avant de détailler « les deux piliers de la reconquête » : « Un corpus de valeurs fortes et traditionnelles sur les questions de société, une vision libérale sur les questions économiques. Solidité des repères et libération des talents. »
Pour l’anthropologue Emmanuel Terray, l’UMP « ne peut pas aller très loin sur le terrain des valeurs sociétales car ils risquent de s’approcher du fameux “travail, famille, patrie” (devise officielle du régime de Vichy – ndlr) ». « De toute façon, ils sont complètement pris par leurs tactiques et leurs querelles intérieures, souligne-t-il. Leur problème central est de savoir si Sarkozy va revenir ou pas. Le reste n’est pas brillant… »
Le député Benoist Apparu le reconnaît : « L’expression des différences entre Copé, Fillon, Le Maire ou encore Bertrand n’est pas liée à des lignes de fractures idéologiques très profondes ou à une divergence lourde sur les valeurs, mais à des ambitions légitimes qu’ont les uns ou les autres. » Et l’ancien ministre d’ajouter : « Ces expressions individuelles, accentuées par la primaire de 2016, génèrent un manque de discours commun. À 0 % de croissance, c’est dramatique car les Français ont une perception de nous qui est que chacun pense à sa carrière plutôt qu’à eux. »
À la simple question « Quelles sont les valeurs de votre parti aujourd’hui ? », les réponses des différents représentants UMP interrogés par Mediapart divergent. Certains parlent de « liberté » et de « solidarité », tandis que d’autres mettent en avant « le mérite », « le travail » et « la réussite ». Le député Hervé Mariton, lui, prône « la transmission ». « La transmission peut être le paradigme de notre projet, dit-il. Non, pas une transmission inerte, non pas la vénération d’un âge d’or, mais une transmission faite de mouvements. » Le défi de l’UMP est à l’image de ces explications : avant de penser à transmettre ses valeurs, la droite devra s’efforcer de les clarifier.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone les 3 et 4 février.
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