À Marseille, ce n’est pas le moindre des paradoxes que la « nouvelle donne » passe par un ancien président de l’Olympique de Marseille (OM), Pape Diouf. Il a annoncé lundi sa candidature aux municipales dans le quotidien La Provence, journal détenu par un… autre ancien président de l’OM, Bernard Tapie. Courtisé depuis des mois par la gauche et les écologistes marseillais, Pape Diouf, 62 ans, a fini par se lancer à la tête d’une liste sans étiquette, réunissant société civile ou personnalités en rupture des partis politiques. « Pour mettre un coup de pied dans la fourmilière » et « changer la donne », a-t-il expliqué mardi 4 février 2014 dans un hôtel au bord de la corniche, devant un mur de caméras et de micros.
Las, les journalistes en ont été pour leurs frais : pas de programme, pas de noms des colistiers, pas d’indications sur le financement de la campagne. Tous ces détails accessoires sont propres à la « politique politicienne » honnie par Pape Diouf, pour qui les partis sont des « camisoles de force ». « Nous ne sommes pas là pour faire des promesses que nous ne tiendrons pas, gérer des carrières politiques ou la continuité d’un parti », a-t-il déclaré.
Renvoyée à plus tard également la question du second tour. « Je ne suis pas dans ces combinaisons, mes idées ne seront guidées que par l’intérêt général. » L’heure est à un message aux accents quasi messianiques d’un Pape Diouf venu redonner à Marseille, ville « bafouée », « moquée » et « défigurée par la fracture sociale », « la place qui devrait être la sienne ». Pour évoquer ce Marseille où les différences « peuvent constituer une force », c’est immédiatement l’image du stade Vélodrome qui surgit dans la bouche de l’ancien président de l’OM. Cet « endroit magique, qui a su réunir les Marseillais quels qu’ils soient, décrit Pape Diouf. Le patron côtoie son ouvrier, l’agriculteur. Noirs, Blancs, Arabes s’y côtoient tous tendus vers un objectif , la victoire de la Ville ».
Cet ancien journaliste sait que le parcours qui l’a amené à devenir le seul président noir d’un club européen (de 2004 à 2009) résonnera aux oreilles de bien des Marseillais. Né au Tchad, élevé au Sénégal, Pape Diouf arrive à Marseille à 18 ans. Il travaille d'abord comme journaliste sportif au quotidien communiste La Marseillaise, puis comme agent de footballeurs, avant d’atterrir à l’OM. « Marseille en ayant un maire black et musulman serait enfin à l'heure de son histoire, c'est un très beau symbole », estime André Jollivet, membre du collectif le Sursaut qui a porté sa candidature.
Pape Diouf explique avoir décidé de s’engager dans la bataille malgré ses « réticences », non « par ambition personnelle mais pour répondre aux demandes multiples et d'horizons divers, de personnes pour lesquelles la politique telle qu'elle se joue aujourd'hui n'est pas en mesure de résoudre les problèmes de Marseille ». Le premier à le contacter, en avril 2013, a été Sébastien Barles, conseiller municipal Europe Écologie-Les Verts (EELV). Cofondateur des Gabians puis du Sursaut, deux de ces collectifs qui fleurissent à Marseille depuis un an réunissant des citoyens de tout poil en rogne contre un système de gestion « dysfonctionnant et rongé par la corruption et le clientélisme », l’écologiste cherchait une figure de proue « issue de la société civile pour éviter les chapelles ».
« Nous avons d’abord pensé à Akhenaton (membre du groupe de rap IAM, ndlr), puis à Vincent Manca (ancien secrétaire général de la CGT territoriaux à la mairie de Marseille, ndlr), et on nous a parlé de Pape Diouf », raconte Sébastien Barles. Autour du Sursaut se sont agrégés des écologistes en rupture avec la ligne Karim Zéribi (qui a choisi de faire alliance avec le candidat PS Patrick Mennucci dès le premier tour), l’ex-candidat à la primaire PS Pierre-Alain Cardona, des militants du Collectif des quartiers populaires de Marseille (CQPM). Il y a aussi des acteurs de la politique de la ville, comme Philippe Foulquié, fondateur de la Friche La Belle de Mai, Jean Canton, ancien directeur général de l'urbanisme et de l'habitat de la ville de Marseille, ou encore André Jollivet, ex-président de l'ordre des architectes en Provence-Alpes-Côte d'Azur.
C'est donc un assemblage de « compétences » hétéroclites sur lequel se repose Pape Diouf, qui a également consulté un énarque, Philippe Sanmarco, secrétaire général de la ville sous Gaston Defferre, puis député PS, et élu sur les listes de Jean-Claude Gaudin en 2008 avant de prendre ses distances. Cette rencontre a été décisive à en croire Sébastien Barles : « Pape Diouf ne voulait pas créer une baudruche, il craignait de ne pas avoir de marges de manœuvres suffisantes. On a donc fait une réunion avec Philippe Sanmarco où nous avons tracé les cent premiers jours. Ça l’a convaincu qu’on peut changer la haute administration locale et remettre l’intérêt général au cœur de la machine municipale, malgré la mainmise de FO. »
La démarche se veut inspirée de celle de Robert Vigouroux, maire de Marseille de la mort de Gaston Defferre à 1995, qui en 1989 se présenta sous ses propres couleurs contre le PS. « Ça a permis l'émergence de personnes comme Christian Poitevin (adjoint à la culture de Vigouroux, ndlr), souligne Sébastien Barles. Mais pas question de ramener comme Vigouroux des notables et des gens du sérail. »
À Marseille, plusieurs déçus du PS et d’EELV observent avec intérêt la démarche de Pape Diouf. « On va peut-être enfin pouvoir voter, se réjouissait mardi matin Alain Fourest, fondateur de l'association Rencontres Tsiganes et membre du Sursaut. Les partis politiques sont tombés dans une telle déliquescence à Marseille, y compris EELV, que les gens ne savaient plus pour qui voter. » « Les socialistes se sont repliés sur eux-mêmes après la primaire, estime le sociologue Jean Viard, vice-président de Marseille Provence Métropole (MPM) apparenté PS. C’est chacun sur son territoire avec ses listes, ses colleurs d’affiches, etc. Et Europe Écologie-Les Verts a fait pareil avec Karim Zéribi. Donc ils laissent un espace immense…»
L'analyse est partagée par le poète Christian Poitevin, ex-porte-parole de Patrick Mennucci pendant la primaire qui a depuis quitté le navire, mécontent d’avoir été rétrogradé, et du retour de la logique d'appareil. « Nous avons fait tout un travail avec des gens de gauche sur le programme pour revenir à une vraie culture à Marseille, montrer que l’excellence peut être populaire, raconte-t-il. Sans jamais voir un membre du PS. Le jour où Patrick a gagné, j’ai vu débarquer tout le monde avec pour ambition, non la culture, mais de regagner l’appareil, la fédération PS. C’est normal qu’il faille refaire ami-ami après la primaire, mais de là à placer tête de liste tous les vaincus et reléguer les amis de la première heure aux dernières loges ! »
Mais, même si Pape Diouf n’a jamais fait mystère qu’il votait à gauche, beaucoup attendent une clarification de son positionnement politique. La présence annoncée à ses côtés de Jean-Luc Bennahmias et Christophe Madrolle, les ex-élus Verts désormais leaders du MoDem local, a ainsi fait bondir certains membres du Collectif des quartiers populaires de Marseille (CQPM), beaucoup plus proches du Front de gauche (avec lequel les négociations du Sursaut ont échoué mi-janvier).
« Le type, humainement, est formidable, il n’a aucune casserole, une image d’homme intègre : Pape Diouf avec les orientations initiales du Sursaut, ça aurait été une bombe, regrette Mohamed Bensaada, membre du CQPM. Mais là il annonce partir avec la gauche et la droite, ce n’est pas le meilleur créneau pour la rupture. Je ne me retrouve pas là-dedans. » Pape Diouf ne cache pas non plus qu'il discute fréquemment avec Bernard Tapie « un des rares présidents de l'OM à s'intéresser encore au club ». « On n'échange pas que sur la politique, on parle de l'OM, de l'Afrique », dit-il.
« La candidature de Pape Diouf permet d’ouvrir un peu les fenêtres, estime l’astrophysicien Jacques Boulesteix, conseiller MPM apparenté PS. Il y a une grande aspiration sur Marseille avec des gens prêts à inventer, expérimenter. Le seul domaine où ce bouillonnement ne se fait pas, c’est dans le champ politique. » Tout comme son acolyte Jean Viard, il se donne quelques jours pour observer. Car l’enjeu – le possible basculement de la mairie à gauche après quinze ans de Jean-Claude Gaudin – est trop important, expliquent les deux hommes, fondateurs des Groupes d'actions métropolitains : « Il faut être efficace, les Marseillais souffrent, tous les clignotants sont au rouge, il ne s’agit pas de faire des candidatures de témoignage. »
À sept semaines des élections municipales, sans programme, ni liste constituée, quel sera l’impact de cette candidature ? « Marseille a une particularité, nul ne peut dire ce qui va se passer demain », a mis en garde Pape Diouf, dont la campagne va se faire en marchant. Un site Internet doit recueillir les contributions et candidatures des citoyens, avant le lancement de réunions publiques d’ici le 20 février.
Pour Yves Moraine, porte-parole de Jean-Claude Gaudin, cette candidature est la preuve Patrick Mennucci n’a pas réussi à réunir son camp et que la gauche marseillaise se présente « émiettée, fragmentée, explosée ». De fait, même si PS et Verts se sont rassemblés, ce sont quatre listes qui sont aujourd'hui présentes à gauche : celle menée par Pape Diouf, celle de Patrick Mennucci réunissant PS, EELV et génération écologie, une liste Front de gauche menée par Jean-Marc Coppola, et un attelage plus incertain (tendance PRG) mené par le professeur Soubeyrand et annoncé par Jean-Noël Guérini lui-même lors de ses vœux à la presse.
L’équipe Mennucci, qui avait proposé une tête de liste à Pape Diouf – et même un poste d’eurodéputé selon l’intéressé –, n'a d'autre choix que de se montrer belle joueuse. La conférence de presse de Pape Diouf mardi matin à quelques heures de la présentation du programme de Patrick Mennucci prévu le soir même au parc Chanot ? « Un geste amical ! » élude, sourire aux lèvres, le candidat PS, juste avant un meeting axé sur la fin du clientélisme et la relance économique de la métropole.
Dans une longue anaphore rappelant cette de François Hollande lors de la campagne présidentielle, le député PS a notamment promis de mettre fin aux « petits arrangements entre amis »,à la « cogestion », au « fini-parti », aux « subventions accordées aux copains », aux « promotions obtenues grâce à une carte syndicale ou politique ». Sans oublier le « clientélisme de pauvre » qui a « pour nom attributions opaques de places en crèches et de logements, recrutements de complaisance », ainsi qu'au « clientélisme de riches » à savoir « la rétrocession sans appel d'offres d'un terrain, d'un permis de construire ou d'une autorisation municipale ». « C'est fini ! » a scandé Patrick Mennucci.
« Pape Diouf fait le même constat que nous sur cette Ville qui est à réparer, développe donc sa directrice de cabinet de campagne Dominique Bouissou. Nous lui avons envoyé il y a trois semaines l’ébauche du programme. Il est difficile d’imaginer que cette même personne puisse dans un second tour appeler à voter pour celui qui a cassé la ville (Jean-Claude Gaudin, ndlr). » Elle n’imagine pas que Pape Diouf puisse créer la surprise, « pas en apparaissant deux mois avant le premier tour ». « Il ne faudrait pas que cela devienne la liste des mécontents et des aigris qui n'ont pas eu de place sur les listes PS », glisse en off une élue PS, proche de Patrick Mennucci.
L’ancien président de l’OM a été reçu à plusieurs reprises par l’exécutif, qui suit de près la campagne marseillaise : à Matignon par Jean-Marc Ayrault, à l’Élysée par Pierre-René Lemas selon Le Point, puis lundi après-midi, juste avant son départ pour Marseille, par François Hollande lui-même. « Les autorités de l'État ont souhaité connaître mon avis sur Marseille plutôt que de me dire : voilà la voie à emprunter », assure Pape Diouf.
Du côté de son équipe, « on vise les abstentionnistes, les gens éventuellement tentés par le Front national », explique André Jollivet. L’ancien président de l’OM a fait plusieurs visites dans les quartiers Nord, à Picon Busserine (14e) en novembre 2013 avec la presse, plus récemment aux Flamants (14e). « La réaction des gens quand on se balade avec lui dans les quartiers est forte, dit l’architecte. On sent qu’il y a un mouvement de sympathie. » Ramener au politique des habitants des quartiers populaires ? Dans l'équipe Mennucci, on n'a rien contre. Mais surtout dans l'optique de les récupérer au second tour. « S'il arrive à convaincre des gens qui autrement n'auraient pas bougé, je dis bravo ! » glisse Dominique Bouissou.
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