Regarder vers les européennes, pour ne plus voir ses problèmes franco-français. Après la désignation, la semaine dernière, par les écologistes européens d'un duo de candidats à la présidence de la commission européenne (l'Allemande Ska Keller et le Français José Bové, au terme d'une primaire mi-fiasco mi-surprise – lire ici), le PS et le Front de gauche ont présenté leurs candidats (désignés, eux, fin 2013, sans concurrence interne) à leurs militants. Samedi, à la Mutualité, pour le social-démocrate allemand Martin Schulz ; lundi, au siège du PCF, pour le leader grec de Syriza, Alexis Tsipras. À chaque fois, les discours livrés par les chefs de file ont remonté le moral des troupes et emporté de vifs applaudissements militants, laissant espérer un horizon continental dégagé des sombres nuages du quotidien national.
Côté PS, Schulz a profité de sa maîtrise impeccable de la langue française pour ravir l'auditoire, à coups de petites blagues (sur sa fille, qui le trouve « trop à droite », les directives sur l'huile d'olive ou les chasses d'eau) ou de gages (un peu) de gauche. Président du parlement européen (après un accord conclu avec la droite en 2009) et l'un des chefs de file du SPD qui vient de conclure un accord de coalition avec la CDU d'Angela Merkel, Schulz se savait attendu par des cadres socialistes déjà désorientés par le recentrage opéré en France par François Hollande.
Sans faire preuve de grande audace, le candidat du Parti socialiste européen (PSE, social-démocrate) a toutefois cherché à se distinguer du Parti populaire européen (PPE, conservateurs), en positionnant sa campagne au centre gauche. En tout cas au centre, mais un peu à gauche. Tour à tour, il évoque un « smic européen », mais qui « dépendra de la puissance économique de chaque pays » ; une ode aux PME du sud de l'Europe (« Ne compliquons pas la vie aux citoyens et aux entreprises ») ; une promesse de s'engager dans « la protection de nos données individuelles » et dans « l'égalité des droits économiques et sociaux ». Selon Schulz, l'Europe doit « protéger par la politique commerciale ». Réfutant tout « protectionnisme », il estime que « ceux qui veulent avoir accès à nos marchés doivent respecter nos standards ».
Dans le public, les responsables du PS se réjouissent. À l'aile gauche, même Emmanuel Maurel, candidat en deuxième position dans le Grand-Ouest, s'en contente (« Il est bien plus à gauche que Moscovici… ») et explique que la campagne sera « clivante, axée sur les différences entre la gauche et la droite au niveau européen. Il y a de quoi dire… ». Édouard Martin, tête de liste dans le Grand-Est, se dit aussi satisfait de l'intervention de Schulz, après l'avoir précédé sur la tribune et vanté les bienfaits de la « démocratie sociale » germanique, qui n'est selon lui « pas pour rien non plus dans la bonne santé de l'industrie allemande ». « On a vraiment un coup à jouer, indique ainsi Christophe Borgel, secrétaire national aux élections. Les écolos et la gauche radicale, une fois qu'ils auront dit :“Il faut une autre Europe”, ils n'auront plus grand chose à dire. Avec Martin, on a l'incarnation d'un changement de majorité, un mec qui crédibilise la nécessité de voter PSE pour battre la droite. »
Côté Front de gauche, alors que les municipales n'en finissent pas de miner l'ambiance (et que l'affaire du « logo » à Paris est toujours en attente de règlement interne), la venue d'Alexis Tsipras donne du baume au cœur et de la pommade pour soigner les blessures récentes. S'il a rencontré séparément Jean-Luc Mélenchon et les responsables du PG (lundi midi), puis les parlementaires communistes (mardi midi), il a tenu une conférence lundi soir avec tous les représentants du Front de gauche et du parti de la gauche européenne (PGE), sous l'emblématique coupole du siège du PCF, place du Colonel-Fabien. En fait, une allocution, en grec (même si on assure dans son entourage qu'il a beaucoup progressé en anglais), afin de conforter son profil de candidat de l'autre gauche européenne. Content d'être à Paris, « la ville des grandes luttes sociales, des bouleversements et des révolutions », il a plaidé pour une « réorientation radicale de l'Europe », estimant qu'elle ne « changera que si nous l'immergeons dans le bain des Lumières ».
S'en prenant au « nouveau mur de l'argent néolibéral », à la BCE et à la Banque fédérale allemande, il a évoqué ce qu'il entend être la proposition phare de sa campagne : une « conférence européenne sur la dette, comme quand il a fallu restructurer celle de l'Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale ». Contrairement à Schulz, qui a ignoré tout autre adversaire que le PPE, Tsipras a évoqué les socialistes, européens et français. Rendant hommage au « programme commun de 1981 », il a ainsi regretté que « les socialistes le soient de moins en moins ». « Si la politique du gouvernement de François Hollande était différente, toute l'Europe serait différente aujourd'hui, assure-t-il. Mais au lieu d'être un obstacle, il a choisi d'amplifier la politique d'austérité de Merkel, la plus à droite que l'Europe n'ait jamais subie. » Puis, il a lancé à son adversaire du PSE un avertissement en forme de proverbe grec : « On ne peut pas être à bord de deux bateaux, sinon on finit par tomber dans l'eau. »
Alors que le deuxième tour des élections locales grecques, où Syriza a de bonnes chances de finir en tête, aura lieu le même jour que le scrutin européen, Tsipras se fait unitaire pour tous : « Notre projet est ambitieux, mais réaliste, nous voulons unir toutes les gauches pour réunifier l'Europe. » Et le leader hellène d'assurer : « Le chemin a été difficile, mais n'avons pas abandonné. (…) Si on l'a fait en Grèce, on peut le faire partout en Europe. » Et peut-être même en France…
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