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Dominique Bertinotti : «Nous n’avons pas à nous excuser d’être de gauche»

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Manifestations, tracts violents, rumeurs folles sur une prétendue « théorie du genre » ou sur l'école qui devrait désormais enseigner l'homosexualité ou la masturbation, débats sur l'IVG : depuis le mouvement anti-mariage pour tous, les promesses sociétales de la gauche sont devenues la cible préférée de franges de plus en plus radicalisées de la droite et de l'extrême droite. En face, le gouvernement peine à riposter et donne parfois l'impression d'à peine assumer ses réformes.

Parmi les ministres en première ligne, la ministre déléguée à la famille Dominique Bertinotti a dû se résoudre à temporiser. Sa loi, annoncée depuis un an et demi, ne sera présentée qu'après les municipales de mars. Elle doit permettre de créer un statut du beau-parent, mais aussi de nouveaux outils juridiques pour faciliter la vie des familles recomposées ou encore faciliter le recours à l'adoption simple.

Il faut dire que Bertinotti, proche de Ségolène Royal, est dans le collimateur de l'extrême droite et des mouvements conservateurs comme "La Manif pour tous" qui la soupçonnent de vouloir ajouter à sa loi les mères porteuses (ce dont il n'a jamais été question) ou encore l'ouverture de la procréation médicale assistée (PMA), aujourd'hui réservée aux seuls couples hétérosexuels, aux couples de femmes et aux femmes seules.

Depuis des semaines, Dominique Bertinotti tente de déminer le terrain : la PMA, pourtant promise par François Hollande, ne sera pas dans la loi famille, répète-t-elle, au grand dam des associations de lesbiennes, gay, bi et trans (LGBT). Pas plus que la reconnaissance des enfants nés de mères porteuses à l'étranger. Dans ce climat tendu, la ministre admet que « toute esquisse de proposition devient de façon irrationnelle le symbole d'une gauche qui voudrait tout détruire ». Face aux « réactionnaires », la ministre assure toutefois ne pas vouloir « en rabattre sur nos valeurs républicaines et de gauche ».

Dominique BertinottiDominique Bertinotti © Reuters

Face aux rumeurs délirantes sur le genre, l’exécutif paraît débordé et incapable d’organiser une riposte. Alors que la "Manif pour tous" appelle de nouveau à manifester ce dimanche, partagez-vous ce sentiment ?

Non. Il ne faut pas contribuer à mettre de l’huile sur le feu. Les Français ressentent un pessimisme, pas tant pour eux-mêmes que collectif. Pour autant, nous devons contrer un discours très anxiogène. Il y a des mouvements d’extrême droite, soyons clairs, qui ont compris qu’ils pouvaient trouver là un terrain favorable, en jouant sur le registre de la peur. Nous devons répondre à des interrogations légitimes sur l’avenir de notre société mais nous opposer systématiquement aux mouvements d’extrême droite qui attisent les rumeurs. Il faut dire “stop” quand on n’est plus confronté à de la contestation mais à de la rumeur. Aujourd’hui, des gens vont manifester sur la base de présupposés faux !

Mais quand le ministre de l’éducation Vincent Peillon reprend l’expression de « théorie du genre », qui n’existe pas, est-ce vraiment la meilleure pédagogie ? On a parfois l’impression que le gouvernement ne sait pas de quoi il parle. Les mots sont importants.

Oui, les mots sont importants. Ces mouvements sont tout sauf naïfs : ils mènent une bataille idéologique. À tel point qu’ils dénient toute valeur à l’école ou à la science. Tout cela relève de l’obscurantisme. Cela évoque parfois l’idéologie de Charles Maurras (théoricien de l'extrême droite française, ndlr) qui estimait que la Révolution française avait ouvert l’antre du déclin. Ce n’est pas un acte gratuit que d’utiliser la rumeur et la peur. Les mouvements d’extrême droite ont élaboré, sur l’émotion et l’irrationnel, toute une politique pour contrecarrer la démocratie fondée sur la notion de progrès, de raison et le cartésianisme. On doit donc avoir une lecture idéologique de ces mouvements et leur faire assumer ce qu’ils défendent. Non, ils ne sont pas pour l’égalité hommes-femmes. Non, ils ne défendent pas la famille telle qu’elle existe aujourd’hui. Je suis historienne, j’ai beaucoup enseigné les années 1930. On m’a appris que l’histoire ne se répète jamais mais qu’elle ne fait que bégayer. N’est-on pas là dans des formes de bégaiement ?

Est-ce le même climat ?

Il y a des similitudes. On est dans un contexte de crise, avec de la souffrance, de la précarité, des interrogations sur l’avenir. On a besoin aujourd’hui d’avoir plus d’apaisement et de sérénité pour aborder la sortie de crise et ne pas rester dans le même temps dans l’immobilisme. Ces mouvements exploitent une situation économique et sociale difficile pour surtout ne rien changer, voire revenir en arrière. Ce sont des réactionnaires, au sens propre. Sur l’école, il s’agit d’une vraie régression : dans le tract de la “Manif pour tous”, on lit que l’éducation des enfants n’appartient qu’aux familles ! C’est une contestation incroyable de l’école républicaine ! Ces gens instrumentalisent le pessimisme et la défiance actuelle. Ce sont eux qui veulent diviser la société française par leurs positions extrémistes.

L’extrême droite resurgit aussi parce que la droite républicaine est très divisée, à la fois sur les hommes, et sur les idées, et en particulier sur les questions de société. Il y a un désert idéologique à droite sur ces questions. Tout simplement parce que le divorce n’est ni de droite ni de gauche, pas plus que les familles recomposées. Plus de 50 % des enfants naissent hors mariage, et cela n’est pas une affaire de choix politique. La droite est très mal à l’aise. Mais parce que nous sommes dans un contexte électoral, elle a laissé le champ libre à l’extrême droite qui s’y engouffre. La droite ne remplit plus sa fonction de rempart.

De notre côté, nous ne devons pas en rabattre sur nos valeurs. Nous devons refuser ce procès en illégitimité de la gauche au pouvoir que l’on retrouve dans la bouche de certains élus UMP. Nous avons été élus démocratiquement : nous n’avons pas à nous excuser d’être de gauche. Même dans les périodes de tourmente, il faut rappeler nos fondamentaux.

Cela fait vingt mois que nous entendons des ministres dire qu’il faut davantage assumer d’être de gauche. C’est un manque de clarté collectif ?

Je ne saurais répondre à cette question. Simplement nous n’avons pas à en rabattre sur nos valeurs républicaines, et nous n’avons pas à en rabattre sur nos valeurs de gauche. Je suis de gauche et je le reste.

Mais si l’on revient sur le genre, la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem travaille sur ce sujet depuis vingt mois. L’ABCD de l’égalité était annoncé depuis plus d’un an ! Le gouvernement n’en a jamais parlé ou presque. C’est bien que vous êtes frileux à aborder ces sujets !

Nous manquons sans doute de pédagogie. La pédagogie, c’est l’art de l’explication et de la répétition. On n’a sans doute pas assez expliqué, pas assez répété.

Les délires sur le genre ont aussi provoqué des rapprochements improbables. Les appels au boycott de l’école ont reçu un certain écho dans des quartiers populaires. Une de ses porte-parole est une ancienne participante de la Marche pour l’égalité, reconvertie chez Alain Soral, Farida Belghoul. Les discriminations que subissent toujours les quartiers populaires et les Français d’origine étrangère n’expliquent-elles pas ces phénomènes ?

Il y a peut-être une conjonction des frustrations qui n’ont pas forcément grand-chose à voir les unes avec les autres, à part qu’elles rejettent l’égalité. Nous nous battons pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes, quel que soit le milieu dans lequel on vit. Des radicaux combattent cela, et il s'en trouve dans toutes les religions. C’est là qu’on ressent de plein fouet la faiblesse idéologique de la droite : il faut que tous les républicains se montrent responsables pour mettre des barrières face aux intégrismes, d’où qu’ils viennent.

Mais les quartiers populaires, c’est l’électorat de la gauche ! Ce ne sont pas seulement des islamistes radicaux… Farida Belghoul en est une illustration.

Peut-être a-t-elle pu ressentir dans sa vie personnelle des discriminations. Ou peut-être fait-elle partie de ces parcours minoritaires de gens qui débutaient leur engagement politique à gauche et évoluaient ensuite à l’extrême droite. Comme dans les années 1930. Il est toujours très compliqué d’analyser la raison et les motivations de ces basculements en dehors de la démocratie et de la République.

L’Assemblée vient de voter une loi sur les moniteurs de ski... mais n’a pas eu le temps de s’occuper de votre loi sur la famille. Elle n’est pas programmée. Les groupes de travail que vous avez mis en place ont préparé leurs rapports, ils ne sont pas publics. Le contexte actuel provoque-t-il cette tétanie ?

Il ne faut pas être naïf. Les municipales ont lieu dans deux mois. Il est évident qu’en ce moment, tout ce qui peut contribuer à attaquer la gauche sera utilisé par l’UMP. Regardez la polémique absurde qui est née sur la potentialité d’un divorce qui pourrait se faire dans certains cas sans un juge ! Toute esquisse de proposition devient de façon irrationnelle le symbole d'une gauche qui voudrait tout détruire ! L'atmosphère actuelle et l'approche d'élections empêchent de poser ces questions. J’espère qu’une fois les municipales passées, nous allons revenir aux conditions d’un débat apaisé. La loi famille sera centrée autour de l’enfant, ce qui devrait susciter apaisement et sérénité.

La loi famille sera-t-elle examinée cette année ?

En avril en conseil des ministres, et à l’Assemblée au second semestre.

Vous avez reporté à de très nombreuses reprises la procréation médicale assistée (PMA) pour les femmes seules ou les couples de femmes. Pourquoi ne pas dire que cette mesure, à laquelle François Hollande s’était déclaré favorable pendant la campagne, est abandonnée ?

Le président a défendu une méthode : saisir le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), attendre son avis et s’y conformer. N’est-on pas capable de tenir cette méthode ? Moi, je la tiens. En démocratie, nous avons des procédures, il faut les respecter.

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu vendredi, au ministère de la famille. Il a été relu et légèrement amendé.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Google Glass : la fin des mots de passe?


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