« Avortement libre ! » À Madrid, ils étaient des milliers à défiler en faveur du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), samedi 1er février, alors que le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy envisage de le restreindre très fortement en cas de viol ou si la santé de la femme enceinte est en jeu. Des milliers de personnes (40 000 selon les organisateurs) ont également manifesté partout en France. En solidarité avec les femmes espagnoles, et avec en tête la récente offensive de l'ultra-droite française, très mobilisée, contre un droit vieux de quarante ans.
Dans le cortège parisien, qui s'est dirigé vers l'ambassade d'Espagne, on trouvait de très nombreuses associations féministes (Le planning familial, La ligue des droits de l'homme, Médecins du monde), des collectifs, des partis de gauche (PS, EELV, Front de gauche, NPA, etc.), des syndicats (CGT, FSU, Solidaires). Mais également beaucoup de manifestants, beaucoup de femmes mais aussi de nombreux hommes, venus seuls ou en petits groupes.
« L'avortement a beau être légal depuis 1975, c'est toujours un droit qui n'est pas légitime aux yeux de certains, explique Véronique Séhier, coprésidente du Planning familial. Il faut se mobiliser, en France, en Europe, pour éviter tout recul. C'est toujours en période de crise que l'on remet en cause le droit des femmes. »
« Un vagin, mon choix, ta gueule ! » ont inscrit sur leur banderole Kaël et Chloé, deux étudiantes de 20 et 21 ans, venues de région parisienne. « Le droit à l'IVG, c'est un acquis en France, mais il faut que les jeunes se mobilisent pour le défendre, car il est toujours menacé », disent-elles.
Annick Chazard, 67 ans, n'en revient pas de devoir à nouveau manifester pour l'IVG, comme il y a plus de quarante ans. Elle a pris le RER pour venir, toute seule, bien décidée à ne pas laisser passer ça. « On ne devrait pas être là, franchement. Mes filles rigolent quand je leur dis que l'avortement est toujours menacé, mais aujourd'hui, on voit bien que le droit à l'avortement, en Espagne mais aussi en France, est remis en cause. Ma belle-mère a failli mourir d'un mauvais avortement. À l'époque, je me suis battue, on nous disait qu'on était des filles faciles, des salopes. Les mêmes crétins, ou leurs héritiers, nient aujourd'hui le droit à l'IVG aux femmes. C'est pour mes petites-filles que je suis là aujourd'hui. »
Les pancartes, faites maison, sont souvent étonnantes, drôles ou corrosives. « IVG de confort, vasectomie de détente ! », « Non au retour à l'âge de fer !» (avec le dessin d'un cintre), « Je suis une femme, pas un incubateur ». « Pas de rosaires sur nos ovaires », scandent les militantes du collectif IVG Tenon, cet hôpital parisien devant lequel les anti-IVG ont manifesté chaque semaine de 2009 à 2011. « On n'a jamais lâché, et aujourd'hui ils sont partis, se réjouit Josée Pépin, une des membres du collectif. La semaine prochaine, on inaugure un centre IVG tout neuf. » Josée se souvient des aiguilles à tricoter ou des tiges de persil que les femmes utilisaient pour avorter de façon clandestine, avant la légalisation de l'avortement. « Mes tantes utilisaient des bigoudis de permanente, je les revois dire : "C'est juste la taille de l'utérus". Je ne veux jamais réentendre ça. »
« Désolée mamie, ça recommence ! » Mara, 18 ans, a confectionné comme la dizaine d'amies qui l'accompagnent une pancarte en lettres multicolores. « Ma grand-mère a fait des avortements clandestins avec des aiguilles à tricoter, de l'eau de javel et des cintres. Je n'ai pas envie de vivre ça un jour dans ma vie. » « C'est un droit toujours menacé », dit une copine. « Avorter reste quelque chose de très lourd, dit une autre, surtout quand on est jeune. Comment penser que c'est de gaieté de cœur ? » « On régresse », renchérit une autre. « Si ce fœtus était gay, vous battriez-vous pour ses droits ? » dit la pancarte d'un de ses amis. « Les gens qui sont contre l'IVG faisaient aussi les manifestations contre le mariage pour les couples de même sexe », dit Audrey.
De nombreuses manifestantes rappellent aussi les barrières à l'avortement qui subsistent. « C'est encore très compliqué pour les femmes d'avorter, explique Émilie, 26 ans, militante du collectif Osez le féminisme. De faux centres IVG tentent de dissuader les femmes ou font traîner les dossiers pour que le délai légal de 12 semaines soit dépassé. Des sites internet font de la désinformation. Les médecins ne sont pas toujours bienveillants, parfois carrément contre. ».
« Il y a de grandes inégalités sur le territoire, rappelle à son tour Véronique Séhier, du Planning familial. 150 centres IVG ont fermé ces dernières années. L'accueil est parfois défaillant. Dans certains centres, on ne peut même plus appeler pour prendre rendez-vous, il faut déposer des formulaires. La confidentialité n'est pas toujours respectée. »
Non loin, la candidate du PS aux municipales à Paris, Anne Hidalgo, accompagnée de plusieurs responsables socialistes, attire les caméras. « On veut des hôpitaux, même dans le centre de Paris ! » s'époumonent derrière elle des militants du parti de gauche, sur fond de campagne électorale. Coupes budgétaires obligent, la promesse de la gauche au pouvoir de rouvrir des centres IVG n'a pas été tenue.
Des photos de la manifestation parisienne © Nicolas Serve:
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