Il aura fallu une heure à peine aux députés pour tordre le cou à une inégalité vieille de plusieurs années, contre laquelle de nombreuses voix s'étaient élevées dans le passé sans jamais avoir gain de cause. Ce mercredi 29 janvier, les membres de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, présidée par le socialiste Patrick Bloche, ont adopté à l’unanimité la proposition de loi du groupe socialiste « tendant à harmoniser les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne ».
La proposition de loi, qui sera examinée mardi 4 février à l’Assemblée nationale, établit l’égalité fiscale au 1er février 2014 pour tous les titres d’information, quel que soit leur support. Jusqu’ici, seule la presse imprimée bénéficie d’un taux de TVA réduit de 2,1 %. La presse en ligne, elle, est assujettie au taux normal de 20 %. La loi, qui contient deux articles, ne dit toutefois rien des contrôles et éventuels redressements fiscaux dont font l’objet plusieurs sites d'information, qui appliquent la TVA réduite depuis des années au titre de l'égalité entre tous les supports. Parmi eux, Terra Eco, Indigo Publications, Arrêt sur Images et Mediapart. Le site Dijonscope, visé par un contrôle fiscal, a carrément mis la clé sous la porte mi-2013.
Ce texte avait été annoncé le 17 janvier par Jean-Marc Ayrault, à la suite de « l’appel pour l’égalité fiscale » lancé par Mediapart, et signé par de nombreux parlementaires, élus et citoyens. Il va faire l’objet d’un examen express : après son vote à l’Assemblée le 4 février, la loi devrait être adoptée au Sénat vers la mi-février pour entrer en vigueur à la fin du mois. La procédure d’urgence ayant été déclarée, il n’y aura qu’une lecture dans chaque Assemblée. « La loi doit être adoptée avant la fin février pour être promulgable au 1er mars, car les entreprises de presse concernées font leurs déclarations sur le mois écoulé », précise Patrick Bloche, nommé rapporteur de la loi. La TVA réduite ne sera pas rétroactive.
Depuis des années, plusieurs rapports officiels, mais aussi de nombreux parlementaires, de gauche comme de droite, ont réclamé l’égalité fiscale. Les livres numériques sont déjà, eux, soumis depuis l’an dernier au même taux de TVA que l’édition papier (5,5 %). Mais il aura fallu une série de contrôles fiscaux déclenchés par l’administration fiscale, en décembre 2013, et la mobilisation d’ampleur qui a suivi pour que cette « mesure consensuelle », selon Patrick Bloche, se traduise dans les faits. (Pour un retour sur les épisodes précédents, voir la boîte noire.)
Dans son rapport distribué mercredi matin aux parlementaires, Patrick Bloche estime que l’inégalité fiscale actuelle « représente un lourd handicap économique pour la presse dans son ensemble, une distorsion contraire aux principes de neutralité technologique et d’équité fiscale entre la presse imprimée et la presse en ligne, et un frein à la migration des abonnés vers les offres numériques ». Il estime que si la baisse de la TVA va coûter 5 millions d’euros à l’État la première année, « il y aura un retour sur investissement rapide » pour l’État, car la baisse de la TVA devrait permettre « le développement de la filière de la presse en ligne ». Selon une étude du cabinet Kurt Salmon, « l’État toucherait (…) près de trois fois plus de TVA sur la presse en ligne en 2017 qu’en 2010 ».
« C’est une bonne nouvelle, a salué le député PS Michel Françaix, qui milite depuis des années pour l’égalité fiscale. Nous nous éloignons de la galaxie Gutenberg et sommes entrés dans la révolution numérique, or une info numérique de qualité suppose des investissements lourds. »
« Il est plus que nécessaire de sortir du schéma présentant les médias imprimés comme étant les seuls à être essentiels à la démocratie. Au contraire, c’est la pluralité de l’offre en matière d’information qui est une nécessité démocratique », insiste l’écologiste Barbara Pompili. « Les médias dont nous parlons ici – Mediapart ou Indigo – n’ont recours ni aux aides publiques ni à la publicité. Ils ont fait le choix de vivre uniquement des versements de leurs lecteurs afin de garantir leur totale indépendance. En leur imposant injustement une TVA plus élevée, nous nous en prenons directement à leurs clients, et donc à leur modèle économique. »
L’écologiste a aussi suggéré de « remettre à plat l’ensemble des dispositifs de soutien à la presse (…), pas adaptés aux évolutions technologiques et encore moins aux nouveaux comportements des lecteurs ». Chaque année, la presse touche 1,2 milliard d’euros d’aides directes et indirectes, selon un rapport de Michel Françaix… dont seulement 20 millions d’euros pour la presse en ligne (et, au passage, zéro euro pour Mediapart). Un maquis d’aides, souvent mal ciblées mais qu’aucun gouvernement n’a jamais osé remettre en cause.
« Il y a rupture d’égalité avec la presse papier », a souligné de son côté Virginie Duby-Muller (UMP), dont le groupe votera pour la loi. La députée a toutefois rappelé, à raison, que des amendements UMP en ce sens déposés en 2012 dans le cadre du projet de loi de finances avaient été rejetés. « Il y a un revirement », a-t-elle noté.
De fait, pour justifier son attentisme, le gouvernement a longtemps mis en avant un possible conflit avec Bruxelles, faisant valoir que la Commission européenne refuse une TVA réduite pour les services en ligne, tout en assurant pousser en faveur d’une telle harmonisation.
Le ton a changé ces dernières semaines. C’est désormais la jurisprudence de la cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui est mise en avant : autrement dit, le principe de la neutralité fiscale (l’idée qu’un même produit ne peut être taxé de façon différente). « Le gouvernement a choisi de faire prévaloir la légitimité sur la légalité », insiste Patrick Bloche. L’Allemagne est désormais sur cette ligne : l’accord de coalition entre Angela Merkel et les sociaux-démocrates prévoit lui aussi l’alignement des taux de TVA de la presse en ligne sur la presse papier.
Une fois la loi votée, il reste une interrogation, de taille, évoquée par plusieurs élus, de gauche comme de droite : le devenir des contrôles fiscaux, toujours en cours à Mediapart et dans d’autres entreprises de presse en ligne. « Aucune loi n’a jamais été votée à l’Assemblée nationale pour annuler des redressements fiscaux, explique Patrick Bloche. Mais nous incitons le gouvernement, qui seul en a la possibilité, à ce que ces redressements fiscaux puissent être effacés, une fois la loi votée. » Difficile d’imaginer que le ministre du budget, Bernard Cazeneuve, n’ait pas de réponse à cette question lors du débat à l’Assemblée, mardi prochain.
BOITE NOIREMediapart, qui a toujours appliqué la TVA à 2,1 %, taux appliqué à la presse imprimée, est d'ores et déjà l'objet d'un redressement au titre de la TVA pour les années 2008, 2009, 2010. Par ailleurs, notre site est actuellement l'objet d'un contrôle pour les années 2011, 2012 et 2013.
Mediapart est à l’origine d'un appel pour l’égalité fiscale. Lancé en décembre, il a réuni près de 30 000 signatures.
Pour plus de précisions, lire les billets de blog d’Edwy Plenel : « Qui veut tuer Mediapart ? » (27 décembre), « Presse : la mobilisation pour l’égalité fiscale s’amplifie » (9 janvier), « TVA : une victoire pour toute la presse (et pour ses lecteurs) » (18 janvier).
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Google Glass : la fin des mots de passe?