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Justice, corruption : un rapport épingle la France

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Peut mieux faire. C’est en substance l’avis rendu aujourd’hui dans un rapport de 64 pages concernant la France par le Groupe d’États contre la corruption (Greco), institution liée au Conseil de l’Europe et qui compte 49 États membres (on peut lire ce rapport ici et ). La France a adhéré au Greco en 1999, et a déjà été évaluée trois fois (en 2001, 2004 et 2008). Cette quatrième étude, axée sur la « prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs » n’en a que plus d’intérêt.

S’agissant du premier thème abordé, la prévention de la corruption des parlementaires, le Greco « salue les réformes opérées en octobre 2013 » sur la transparence de la vie publique, en réaction à l’affaire Cahuzac, mais les juge insuffisantes. Il s’agit, pour l’essentiel, de la création d’une Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP, présidée par le haut magistrat Jean-Louis Nadal), qui fait obligation aux ministres, élus et hauts fonctionnaires de remplir une déclaration de patrimoine et d‘intérêts qui pourra être contrôlée (la création du procureur de la République financier, en revanche, n’est pas mentionnée dans le rapport).

François Hollande recevant Jean-Louis NadalFrançois Hollande recevant Jean-Louis Nadal

Les « rémunérations, indemnités et autres avantages », une fois cumulés, « placent les parlementaires français dans une situation avantageuse à l‘échelle européenne », note le Greco, estimant que cela est « susceptible de préserver leur intégrité et prévenir en principe les tentations liées à la corruption ».

Mais il critique les conditions d’emploi et l’absence de statut des assistants et collaborateurs de parlementaires, qui peuvent être des parents de ceux-ci ou des lobbyistes.

De même, « l’indemnité représentative des frais de mandats » (IRFM), versée sans justificatif, et qui s’ajoute aux indemnités de fonction et de résidence ainsi qu’aux remboursements de frais de transport, donne lieu à certains abus, comme la prise en charge de dépenses privées, ou la constitution d’un patrimoine, pointe le Greco.

La « réserve parlementaire » est également critiquée, qui permet aux députés et sénateurs d’attribuer des fonds publics dans leur circonscription de façon opaque et discrétionnaire.

« Les moyens mis à disposition des parlementaires appellent des réformes importantes en vue d’assurer une utilisation adéquate et responsable des ressources concernées, et limiter les risques de conflits d’intérêts et pour l’intégrité des parlementaires et du système parlementaire et politique plus généralement », lit-on.

« En conséquence, le Greco recommande que les conditions de recours aux collaborateurs et assistants parlementaires ainsi que l’indemnité représentative de frais de mandat et le dispositif de la réserve parlementaire soient réformés en profondeur afin de garantir la transparence, la responsabilité et le contrôle de ces ressources. »

Pour ce qui concerne les principes éthiques et les règles déontologiques, le Greco note des améliorations à l’Assemblée, mais pas au Sénat. « Les règles de conduite internes à une institution sont d’une importance cruciale pour la lutte contre la corruption. Dans l’immédiat, remédier à l’absence de règles déontologiques pour les sénateurs constitue la première priorité », lit-on. Le Greco « recommande que soit adopté un corpus de règles de conduite/déontologiques s’appliquant directement aux sénateurs, comme cela est déjà le cas pour les députés ».

Le rapport pointe, par ailleurs, le risque persistant de conflit d’intérêts, malgré le nouveau dispositif de déclaration devant la HATVP. Certaines situations gênantes peuvent se produire qui n’ont pas été prévues par les textes, notamment s’agissant d’intérêts non déclarés préalablement.

Le Greco « recommande que le dispositif de gestion des conflits d’intérêts des députés et sénateurs soit complété par une réglementation et des explications concernant les cas dans lesquels il y aurait une obligation individuelle, selon le cas, de signaler un conflit d’intérêts potentiel ou de s’abstenir de participer à l’activité parlementaire pour cette même raison ».

S’agissant des « cadeaux, dons, avantages et invitations », le Greco regrette le flou et la permissivité qui règnent dans les deux chambres. Il recommande « que les réglementations parlementaires relatives aux cadeaux et autres avantages soient révisées et complétées de manière à renforcer la cohérence, à poser des interdictions de principe et à couvrir les diverses formes d’avantages », et que « les déclarations soient rendues publiques, surtout dans l’hypothèse où des avantages d’une certaine valeur resteraient permis et simplement à déclarer (y compris les invitations et voyages) ».

Le nouveau mécanisme de déclaration étant semi-confidentiel (seuls les électeurs de la circonscription concernée pourront consulter sur place celle de leur élu), le Greco recommande « de rendre les déclarations de patrimoine des députés et des sénateurs accessibles facilement et à l’ensemble du public ».

Le contrôle des déclarations par la HATVP et la mise en œuvre des poursuites éventuelles semblent encore insuffisants. « Si telle assemblée refusait de transmettre un dossier aux autorités judiciaires », s’inquiète le Greco, « le manquement ne pourrait même pas être sanctionné au sein du parlement ».

« Des mesures telles que l’exclusion ou la réduction de certains avantages/indemnités, l’exclusion de certaines commissions ou de certaines responsabilités au sein de la chambre auraient d’une part le mérite de combler un vide, et d’autre part celui de compléter utilement l’éventail des mesures pénales existantes en offrant davantage de proportionnalité. Ce serait aussi une conséquence logique à tirer de certains manquements liés à l’intégrité dans l’exercice des fonctions de parlementaire. »

« En conséquence, le Greco recommande que l’arsenal des mesures pénales soit complété par des mesures disciplinaires d’ordre interne aux assemblées, en relation avec les manquements possibles aux règles relatives à l’intégrité des députés et sénateurs. »

Pour ce qui concerne la « prévention de la corruption des juges », le Greco donne un satisfecit général aux juridictions pénales et administratives. Il en va différemment des deux principales juridictions où ce ne sont pas des magistrats qui siègent.

S’agissant des tribunaux de commerce, le système actuel suscite « des doutes aussi bien sous l’angle de son fonctionnement, de son indépendance, de sa surveillance que de la prévention des conflits d’intérêts », lit-on. Le bénévolat des juges consulaires est considéré comme « critiquable » sous l’angle de l’indépendance, ceux-ci étant payés par des entreprises. La surveillance de la justice consulaire est insuffisante, et la discipline inexistante ou presque, déplore en outre le Greco.

Jérôme CahuzacJérôme Cahuzac

Quant aux prud’hommes, leur mode de fonctionnement soulève « des questions importantes », « notamment sous l’angle des conflits d’intérêts et de l’impartialité », ainsi que « du manque de professionnalisme », lit-on dans le rapport.

Le Greco appelle donc de ses vœux « une réforme au niveau des tribunaux de commerce et des conseils des prudhommes afin de renforcer l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité des juges non professionnels ».

Pour ce qui est des juges professionnels, dont l’indépendance est garantie statutairement et qui sont inamovibles, le rapport pointe à juste raison la tradition de la remise de décorations par l’exécutif, lesquelles « revêtent pour les bénéficiaires une importance sociale et une forme de prestige ». Ce qui peut faire naître des doutes sur l'indépendance de ces juges, le rapport s’interrogeant aussi – en passant – sur « le message négatif que l’absence de décoration peut finalement produire dans certains cas ».

Le Greco recommande, en conséquence, que « les critères d’attribution des décorations et distinctions honorifiques aux juges soient revus afin de limiter les risques perçus pour leur indépendance et impartialité ».

Pour ce qui est de l’activité disciplinaire des juges, le Greco constate que le ministre de la justice a le pouvoir d’actionner à la fois la hiérarchie judiciaire et l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) en amont. Il recommande que le pouvoir de poursuites soit confié, à l’avenir, au seul Conseil supérieur de la magistrature (CSM), cela afin de mieux garantir l’indépendance des juges.

La troisième partie du rapport, qui concerne le parquet, est plus sévère. Placés sous l’autorité hiérarchique du garde des Sceaux, nommés et promus par le pouvoir exécutif, les procureurs ne bénéficient pas, en effet, des mêmes garanties d’indépendance que les juges.

Le parquet reste « affecté de la suspicion de dépendance à l'égard de l’exécutif », note le Greco : « suivi des dossiers sensibles par l'exécutif et opposition du "secret défense" aux enquêteurs, pression (voulue ou non) résultant de la faculté de nommer un procureur (y compris contre l’avis du CSM) et de le sanctionner en cas de manquement (procureur qui ne jouit pas non plus de garanties d'inamovibilité, comme les juges) ».

« La concentration de ces différents pouvoirs donne au ministre de la justice un ascendant sur le parquet qui reste difficilement compatible avec l'autonomie que requiert la tâche parfois exclusive ou monopolistique, confiée au procureur par le Code de procédure pénale », surtout depuis le « glissement du centre de gravité de l’instruction pénale du juge d’instruction vers le procureur » provoqué par les lois Perben de 2002 et 2004.

« La question des moyens du parquet se pose également et au final, comme il a été souligné au chapitre du présent rapport consacré aux parlementaires, divers intervenants ont rappelé le sentiment général que les élus condamnés pour des malversations en première instance sont généralement acquittés en appel (aucun chiffre officiel n’existe toutefois) », lit-on.

« Quelles que soient les raisons pour cet état de fait, réel ou supposé, cette situation prêche en faveur d'un plus large affranchissement du parquet vis-à-vis du pouvoir politique. Les développements qui suivent identifient quelques axes de réforme prioritaires, qui sont des mesures largement prônées par des interlocuteurs de divers horizons rencontrés sur place. »

Pour améliorer cette situation et rapprocher la France des standards européens, le Greco recommande « d'ancrer dans une réforme législative un processus de nomination des procureurs similaire à celui des juges, en offrant au Conseil supérieur de la magistrature la possibilité de donner un avis qui lie le garde des Sceaux », et de « procéder à des consultations sur l'éventualité d'un alignement de la procédure disciplinaire des membres du parquet sur celle applicable aux juges (avec un monopole du CSM) ».

Juges d’instruction saisis moins souvent, manque de moyens humains et financiers, accroissement de la charge de travail des parquets... Tout cela, craint le Greco, pousse les procureurs à « commettre des maladresses mais aussi à abuser du principe de l’opportunité des poursuites en classant trop systématiquement des affaires, ou en privilégiant les affaires simples au détriment des affaires complexes et parfois sensibles, en particulier des affaires politico-financières ». Au point qu’il a été imaginé par certains juristes d’introduire le principe de « légalité des poursuites » (au lieu du principe de l’opportunité) afin de limiter ces risques.

Le Greco critique aussi le lien qui oblige les procureurs et procureurs généraux à informer le ministère de la justice du déroulement des affaires sensibles, ce qui peut constituer un soupçon « d’instructions déguisées ».

Il critique aussi les freins mis à ces mêmes enquêtes au moyen du « secret-défense », qui limite de fait l’autonomie des procureurs et l’indépendance des juges, et sanctuarise parfois des installations pouvant appartenir à des « entreprises pharmaceutiques, gazières ou pétrolières ».

Le Greco recommande donc « que la faculté pour le ministre de la justice de solliciter ou d’obtenir des informations relatives à une affaire particulière soit réglementée de manière précise quant à sa finalité », et qu'une « limite claire soit fixée au "secret de la défense nationale", assortie d'une procédure permettant d’éviter les blocages indus dans les enquêtes concernant des affaires de corruption nationale ou internationale ». Vaste programme.

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