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Intégration : Matignon reprend (un peu) la main

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Matignon l’assure, le projet de « refondation » de la politique d’intégration des immigrés n’est ni mort, ni enterré. Pour preuve, une réunion avec plusieurs ministres est prévue « début février », après une entrevue préparatoire entre les conseillers concernés « la semaine prochaine ». Initialement programmé pour le 9 janvier 2014, le rendez-vous avait été reporté sine die à la suite de la polémique suscitée par la publication dans Le Figaro du 13 décembre 2013 d’un article au vitriol sur l’un des cinq rapports remis à Jean-Marc Ayrault à la mi-novembre pour « refonder la politique d’intégration ».

Unanimement, cette décision avait été interprétée comme un recul en rase campagne. Quelques-unes des propositions contenues dans les 276 pages rédigées par des experts désignés de manière collégiale avaient mis le feu aux poudres, notamment la remise en cause de la loi de 2004 interdisant le voile à l’école et la reconnaissance de la dimension « arabo-orientale » de la France. À la virulence des attaques de l’opposition, s’était ajoutée l’absence de soutien dans la majorité.

« Rien n'est abandonné et les travaux ont avancé », indique un proche du premier ministre sans plus de détails. Plusieurs ministères concernés, contactés par Mediapart, confirment mais du bout des lèvres, et refusent de communiquer plus avant. « On avance à bas bruit. Sinon c'est contre-productif », dit-on dans l'un d'eux, sous couvert d'anonymat. « Ce n'est pas enterré, on continue mais le calendrier est un peu décalé », dit un autre conseiller ministériel qui suit de près le dossier. Aucune mesure ne devrait être annoncée avant les municipales, tant le gouvernement s'inquiète d'une droite prête à lancer toutes les polémiques possibles pour chasser sur les terres du Front national. Et d'une gauche qui ne semble pas prête à assumer une bataille ne faisant pas l'unanimité au sein même du PS.

François Hollande lui-même avait été très sec quand il avait voulu couper court à la polémique surréaliste d'avant Noël, sur une initiative lancée début juillet, et son cabinet avait multiplié les petites phrases incendiaires sur leurs collègues de Matignon. Selon plusieurs sources, c'est d'ailleurs de l’Élysée qu'était venu l'ordre de reporter la réunion prévue début janvier. Interrogé jeudi, le cabinet de François Hollande n'a pas retourné notre appel.

En attendant, cela fait vingt mois que François Hollande a été élu président de la République et la réforme des politiques d'intégration est toujours introuvable. Les rapports s’empilent – comme celui de février 2013 du conseiller d’État Thierry Tuot, « La grande nation, pour une société inclusive », ou celui de juillet 2013 du tandem Marie-Hélène Bacqué (sociologue) et Mohamed Mechmache (militant associatif), « Pour une réforme radicale de la politique de la ville ». Mais alors que les discriminations persistent à tous les étages (logement, accès à l’emploi et aux services publics), le nombre de mesures concrètes prises par le gouvernement est proche de zéro.

Interrogée lors d’un entretien live de Mediapart, la ministre de la justice a hésité avant de balbutier quelques mots. Tout juste Christiane Taubira a-t-elle évoqué un rapport à venir pour lutter contre les discriminations. Encore aurait-elle pu lister les rares avancées à mettre au compte de ministres en poste depuis l’élection de François Hollande. Car il y en a – dans la loi de François Lamy « pour la ville et la cohésion urbaine » ou dans la réforme de Vincent Peillon sur l’éducation prioritaire. Mais elles sont si peu nombreuses et si disparates qu’elles ne produisent pas de politique claire. Elles ne font apparaître aucune ligne globale, cohérente, distincte.

Les 5,3 millions d’immigrés (selon les chiffres de l’Insee qui comptabilise les personnes nées étrangères à l’étranger), parmi lesquels 40 % ont été naturalisés, et les 6,5 millions d’enfants d’immigrés, ne sont pas la priorité, tel est le message qui leur est adressé. La politique publique les concernant apparaît déconsidérée. À sa décharge, François Hollande s’était peu engagé pendant la campagne présidentielle. Les seules promesses qu’il ait faites ont été amendées ou repoussées à plus tard – qu’il s’agisse du récépissé pour les contrôles policiers ou du droit de vote des étrangers aux élections locales, engagement du PS de plus de trente ans. Comment expliquer une telle désertion à l’égard d’une population qui vote massivement à gauche ? Pourquoi cette difficulté à s’interroger sur les dysfonctionnements d’une politique en manque de lisibilité ?

Pour comprendre les raisons d’un blocage « à la française », Mediapart a interrogé des sociologues, des élus et des militants associatifs tout en puisant des éléments de réflexion dans les cinq rapports incriminés. La faible renommée médiatique des rédacteurs des documents en question a pu porter préjudice à la reconnaissance des travaux, alors même que le choix de Matignon, et de l’ensemble des ministères impliqués, avait été de recourir à des chercheurs, des associations, des responsables syndicaux et patronaux, des représentants de l’État et des collectivités territoriales identifiés pour leurs compétences en matière d’accès aux droits, de discrimination, d’emploi, d’enseignement ou de citoyenneté, plutôt que pour leur célébrité.

Paralysé par les élections et le FN, le PS ne parvient pas à surmonter ses divisions

« Sur les questions d’intégration, la gauche se promène avec le Front national comme un pistolet sur la tempe », résume le député PS Matthias Fekl, à l’origine d’un rapport publié en mai 2013 préconisant la création d’un titre de séjour pluriannuel pour les étrangers résidant en France. Autrement dit, le débat serait tellement explosif qu’il ne serait pas judicieux de le lancer maintenant. Les coups portés par la droite ont certes été violents – le président de l’UMP Jean-François Copé a accusé la majorité de vouloir « déconstruire » la République, François Fillon, l’ancien premier ministre, a critiqué « la logique d’une nation mosaïque et communautariste », Marine Le Pen s’est, elle, inquiétée du risque d’« abandon définitif du modèle républicain » et de « la mise en place d’une société ultra-communautarisée ». Mais les freins à l’action publique sont plutôt à chercher, au-delà des éventuelles maladresses de communication de Matignon, du côté de la paralysie de la gauche à l’égard de l’extrême droite et de ses divisions quant à un sujet sur lequel elle ne parvient pas à se mettre d’accord.

Dans la perspective des échéances électorales, la majorité pourrait être pragmatique, comme le sont les démocrates mais aussi les républicains aux États-Unis à propos des sans-papiers à régulariser, et considérer qu’il n’est pas inutile de s’adresser à une population qui lui est généralement acquise au moment de glisser un bulletin dans l’urne. Mais François Hollande a justifié son revirement sur le droit de vote des étrangers par un refus d’« instrumentaliser » cette question. « J’étais favorable à ce que nous allions vite, mais y revenir aujourd’hui serait risqué », estime Matthias Fekl. « À ce stade, il est trop tard pour débattre d’intégration. À quelques semaines des élections municipales, cela aurait inévitablement pour conséquence de faire monter le FN. Techniquement, cela pourrait nous avantager, mais nous refusons de favoriser ce parti », insiste-t-il. Le calcul politique est peut-être moins désintéressé qu’il n’y paraît. S’il s’agit de rassembler le plus de voix possible, sans doute est-il plus rationnel d’aller les chercher du côté des classes moyennes que des classes populaires, dont font partie les personnes issues de l’immigration, de plus en plus abstentionnistes. « Ils s’en fichent des immigrés, ils veulent faire le moins de vagues possible. Ils ne pensent qu’aux municipales et à faire plaisir au bon peuple bien français, le reste ça passe après », lance la sénatrice écologiste Esther Benbassa.

Quelles qu’en soient les motivations, l’excuse des élections cache des désaccords de fond. Alors que la droite, lors du quinquennat précédent, a réussi à organiser plusieurs mois de « débats » sur l’« identité nationale », au prix de multiples dérapages racistes, la gauche, perpétuellement divisée, a échoué à élaborer un corpus renouvelé et fédérateur sur cette question. L’accès au pouvoir exacerbe les dissensions. Deux camps cohabitent voire s’affrontent, selon Vincent Tiberj, chargé de recherche au Centre d’études européennes de Sciences-Po Paris : un camp « multiculturaliste », favorable au droit de vote des étrangers, à la lutte contre les discriminations et à la reconnaissance de droits aux minorités, et un camp revendiqué « républicain », mettant en avant la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes pour fustiger le « développement du communautarisme » ou la « radicalisation de l’islam ». Les premiers font de la « diversité » ou de la « pluralité » une composante essentielle de la France, les seconds, au nom d’un certain universalisme, considèrent les questions sociales comme seules à même d’expliquer les inégalités.

Au gouvernement, les « républicains », parmi lesquels Manuel Valls, ne sont pas forcément les plus nombreux, mais ils parlent plus fort que les autres, notamment que Jean-Marc Ayrault car, se prévalant des sondages d’opinion, ils imposent l’idée d’une droitisation de la société française. Quelques adeptes de l’« insécurité culturelle », formule trouble renvoyant à la peur des immigrés ressentie dans les milieux populaires, trouvent des relais dans ce camp. « Le comble est que la gauche n’a jamais été majoritairement multiculturaliste, mais elle ne cesse de se défendre de l’être », conclut Vincent Tiberj. Écartelée entre ces deux positions, la majorité, constituée de toutes les nuances intermédiaires, laisse ses « impensés » s’enraciner.

Un statu quo qui arrange les élites économiques et politiques

« Rien ne change parce que personne n’a intérêt à ce que ça change », tempête Esther Benbassa. Sénatrice depuis 2011, l’universitaire ne décolère pas. Elle ferraille au Sénat et dans les médias, pour un résultat qu’elle juge insatisfaisant. Deux de ses récentes propositions pour lutter contre les discriminations ont été retoquées. « Syndicats, patronat, magistrats, maires, il ne faut surtout gêner personne », affirme-t-elle, regrettant « l’attentisme et la frilosité de l’exécutif ». La première mesure consistait à introduire dans le droit français un recours collectif, sur le modèle des class actions à l’américaine, permettant à un groupe de personnes ayant subi un même préjudice, éventuellement soutenu par une association, de poursuivre une entreprise ou une administration afin d’obtenir un dédommagement moral ou financier. Sa proposition de loi devait être examinée par la Haute Assemblée le 13 février 2014, mais le gouvernement lui a fait savoir qu’il ne soutiendrait pas son texte au prétexte que ces procédures devraient rester du ressort des syndicats et qu’elles n’auraient pas vocation à obtenir d’indemnisation, selon les recommandations d’un récent rapport. Apprenant, à la suite de ses protestations, que le député PS Razzy Hammadi a déposé une PPL sur le même thème, la sénatrice dénonce « un mauvais coup des socialistes qui veulent garder la maîtrise sur ces sujets pour surtout ne pas aller trop loin ». « Son texte est moins ambitieux que le mien. En outre, il est évident qu’il sera vidé de sa substance lors de son examen », indique-t-elle.

Second sujet de mécontentement : un de ses amendements, défendu par François Lamy, vient d’être rejeté en séance par une majorité d’élus socialistes. Il s’agissait de modifier le droit pénal en prohibant de manière explicite l’exercice abusif du droit de préemption pour des motifs discriminatoires, par exemple dans le cas où l’acheteur du bien a un nom à consonance étrangère. « Les maires n’en veulent pas, ils ne veulent pas voir leurs pouvoirs mis en cause. Je ne dis pas que ces gens sont racistes, mais ce qui compte pour eux ce sont les élections, et les intérêts du parti », lance-t-elle.

La quasi-absence des minorités visibles dans les instances de représentation des citoyens traduit, de fait, un conservatisme politique et social typiquement français. Maires, maires adjoints, députés, sénateurs : les élus de la diversité sont l’exception qui confirme la règle, comme le rappelle fréquemment le Conseil représentatif des associations noires (Cran). « Les rapports publiés sur le site de Matignon ont été rédigés par des personnes ayant une légitimité académique, mais pas médiatique. Ils mettent à mal la doxa en vigueur sur les questions d’intégration selon laquelle les immigrés seraient responsables de leur situation dégradée. Ils pointent les discriminations et soulignent les failles de la politique d’intégration », indique le sociologue Abdellali Hajjat pour expliquer le rejet dont ces analyses font l’objet. « Les représentants politiques, de droite comme de gauche, et les médias dominants n’ont pas intérêt à laisser davantage de place aux immigrés. Pour maintenir leurs positions, ils font tout pour que le rapport de force reste inchangé », poursuit-il.

Un « modèle » d'intégration français défaillant

Au-delà de ces pesanteurs socio-économiques, le « modèle » français d’intégration serait spécifiquement en « crise ». Cette affirmation, qui revient comme une antienne, est partiellement fausse. L’enquête Trajectoires et Origines (TeO) conduite par l’Ined et l’Insee montre qu’à de multiples égards, une forme de fluidité sociale existe. Les enfants d’immigrés ont un niveau de vie médian supérieur à celui de leurs parents, ils s’intéressent davantage à la politique que les Français nés de parents français, les niveaux de diplôme s’élèvent d’une génération à l’autre et le nombre de couples mixtes progresse. Mais l’effacement de certains écarts n’empêche pas les discriminations de persister et d’apparaître au fil du temps de plus en plus inacceptables. « Une classe moyenne, voire bourgeoise issue de l’immigration post-coloniale se construit, c’est indéniable, avec de jeunes adultes qui deviennent cadres ou intègrent la fonction publique. Cela ne doit toutefois pas cacher la réalité de la reproduction sociale subie de plein fouet par les fils et filles d’ouvriers maghrébins et d’Afrique noire », affirme Abdellali Hajjat.

La question est dès lors moins celle de la « crise » du système lui-même que de la défaillance des pouvoirs publics à observer l’évolution de la réalité sociale, à inventer les outils adéquats et à laisser la société civile prendre le relais. Il n’existe en effet pas de « modèle d’intégration à la française » en tant que tel. Les autorités politiques de ce pays l’ont façonné par touches successives depuis qu’elles ont compris que les travailleurs immigrés appelés en renfort après la Seconde Guerre mondiale pour reconstruire les infrastructures et balayer les rues ne repartiraient pas une fois la tâche accomplie. Les épouses ont commencé à rejoindre leurs maris, des enfants sont nés, des logements spéciaux en HLM ont été bâtis pour les loger.

Marche pour l’égalité et contre le racisme, violences dans les banlieues, montée du chômage, percée de l’extrême droite, apparition d’interrogations sur le foulard : dans les années 1980, les tensions s’accumulent au point que s’impose à Michel Rocard, alors premier ministre, la nécessité de fonder une politique d’intégration. Le Haut Conseil à l’intégration (HCI) est créé en 1989. La définition que cette instance donne de son objet est révélatrice : le « modèle français » ne serait ni assimilationniste (les nouveaux arrivants devraient ressembler en tout point à la société d’accueil), ni multiculturaliste (chacun conserverait son mode de vie d’origine sans se départir de ses habitudes d’origine). « L’intégration demande un effort réciproque, une ouverture à la diversité qui est un enrichissement mais aussi une adhésion », précise le HCI. Depuis, le flou demeure, alors que le contexte n’a cessé d’évoluer au détriment de l’islam, perçu de plus en plus négativement.

Terre d’immigration ancienne, la France, en ce début de XXIe siècle, est de facto multiculturelle mais l’État fait mine de ne pas s’en apercevoir. La République « une et indivisible » se refuse à mesurer les inégalités en fonction des origines et, par conséquent, à concevoir les politiques permettant de limiter les différences de traitement. À l’hospitalité relative des débuts fait suite l’ère du soupçon. Abdellali Hajjat compare la vision développée à l’égard des immigrés à celle visant les chômeurs. « Il y a trente ans, l’intégration consistait pour l’État à mettre en place les conditions d’accueil des immigrés. Petit à petit, le processus s’est inversé. Les immigrés ont été suspectés de ne pas faire assez d’efforts. De la même manière, le temps où l’État-providence devait réguler le marché du travail pour que chacun trouve un emploi est révolu. Le néolibéralisme a imposé l’idée que les chômeurs sont fautifs, qu’il existe des emplois vacants et qu’ils ne font rien pour les chercher. »

Ce revirement incite de nombreux experts et universitaires à considérer que le terme d’« intégration » ne convient plus. Le rapport émanant du groupe de travail « Connaissance et reconnaissance » aborde les raisons de cette désaffection. La politique d’intégration ne fonctionnerait plus selon la logique de réciprocité qu’elle s’était à l’origine fixée ; elle assignerait les publics concernés à une position extérieure à la société ; elle stigmatiserait des personnes, notamment les enfants d’immigrés, pourtant totalement parties prenantes de la société française. « Symboliquement, l’abandon du terme intégration peut constituer un signal fort pour celles et ceux qui sont soumis à cette injonction au quotidien et à tort », estiment les auteurs, Chantal Lamarre, directrice de Culture commune – scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais et Murielle Maffesoli, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville en Alsace, qui soulignent que le terme « inclusion », utilisé à l’échelon international, permettrait de davantage mettre l’accent sur les moyens mis à disposition pour permettre l’accès de tous aux infrastructures et aux services sociaux, culturels et économiques, afin que chacun puisse participer à l’élaboration d’un projet commun.

L’étatisme de la politique d’intégration à la française est aussi fréquemment critiqué. S’appuyant sur les travaux du sociologue Abdelmalek Sayad, selon lequel l’intégration ne peut pas se définir par une politique car elle est un « processus inconscient, quasi invisible de socialisation, qui ne peut être uniquement le produit d’un volontarisme politique », de nombreux acteurs rappellent l’importance du rôle de la société civile. Patrick Weil, qui enseigne à Yale aux États-Unis, juge lui aussi le terme « obsolète ». « La politique d’intégration est datée. En France, l’État considère que c’est à lui de tout faire, alors que c’est la société qui intègre. La réalité, c’est qu’on dénie à certaines personnes le droit de s’inscrire dans l’universalisme au nom de leur appartenance culturelle. Universalisme et diversité sont pourtant toujours allés de pair. Ce pays doit être plus pragmatique et regarder ce qui fonctionne », insiste-t-il.

Issue du monde associatif, Gaye Petek estime que « nous perdons notre temps sur ces questions de sémantique ». Elle qui a été membre du HCI considère que « le terme intégration n’est pas honteux, il a encore du sens ». Encore faut-il redonner leur place aux associations et aux structures intermédiaires, affirme-t-elle. « Il faut en finir avec le conservatisme technocratique, poursuit-elle. L'État doit faire confiance à la société civile. Il doit être pragmatique et plutôt que de se gargariser de grands débats théoriques, avancer sur des propositions concrètes. » Gaye Petek en a fait l’expérience. Son association, Elele, qui accompagnait les femmes turques dans l'accès aux droits et à la culture, a dû mettre la clef sous la porte en 2010 quand ses subventions publiques ont été supprimées par les services d’Éric Besson, alors ministre de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale. De nombreuses structures ont été victimes, comme Elele, de coupes budgétaires ces dernières années.

Cette militante paraît pessimiste à l’évocation de la « refondation » à venir. « Il faudrait commencer par mettre un représentant de la société civile à côté de chaque énarque », insiste-t-elle. Pour dépasser les clivages et les crispations, sans doute n’est-il pas inutile de se remémorer la définition d’Émile Durkheim, fondateur de la sociologie moderne, de l’intégration comme capacité de la société dans son ensemble à produire des liens entre les individus qui la composent. Et d’en revenir au principe d’égalité, et à sa déclinaison pratique, afin de le faire passer du statut d’abstraction à celui de droit mobilisable par tous. Pour que l’égalité ne reste pas un vain mot, notamment pour les immigrés et leurs enfants, c’est aux conditions de sa mise en œuvre que l’État doit s’attaquer, ce qui suppose de veiller à ce que les populations les plus exclues aient effectivement accès aux droits communs.

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