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Guéant: la police a été une «vache à lait», accuse l'ancien patron de l'IGS

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Le parquet de Paris a confié le 14 juin 2013 à la Division nationale des investigations fiscales et financières (Dniff) une enquête préliminaire sur les primes en liquide perçues par l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant. Selon un rapport d’inspection, Claude Guéant, alors directeur de cabinet du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, aurait reçu quelque 10 000 euros en liquide par mois entre 2002 et 2004, prélevés sur les frais d’enquête des policiers. Dernière révélation intrigante sur le train de vie du préfet : selon Paris Match, Claude Guéant et sa femme ont déboursé « comptant » 717 500 euros en mars 2008, pour acquérir un appartement de 90 m2 dans un quartier huppé de la capitale, rue Weber.

Directeur jusqu’en 2010 de l'inspection générale des services (IGS) qui contrôle l'action des policiers de Paris et de la petite couronne, Éric Meillan, aujourd’hui à la retraite, estime qu’il s’agit d’un dérive généralisée qui remonte au moins à l’époque où Claude Guéant était directeur général de la police nationale de 1994 à 1998. Cabinet où il est lui-même entré comme conseiller technique en 1993. « Il faut poursuivre tous les non-policiers qui ont perçu des sommes qui étaient dévolues à l’action de police et se sont enrichis individuellement », affirme Éric Meillan*.

À quoi servent normalement les frais d’enquête et de surveillance (FES), qui représentent quelque 10 millions d’euros circulant en liquide chaque année dans les services de police ?

Éric Meillan : Les frais d’enquête et de surveillance sont des frais officiels pour le fonctionnement opérationnel de la police. Ils n’ont rien à voir avec les fonds secrets qui sont une manne secrète à disposition du gouvernement. En fait, c’est l’argent quotidien qui est indispensable à l’action de la police. Des petites choses pas forcément comptabilisables. Quand vous devez acheter un livre qui vous intéresse, il n’est pas possible de faire un bon d’achat et d’attendre six mois pour l’obtenir !

 Une police sans argent, c’est une police sans renseignement, des policiers qui ne peuvent pas rendre une invitation, ne peuvent pas se payer un sandwich, c’est la main tendue à des affaires de corruption. La dérive commence en effet quand le policier est obligé d’aller chercher de l’argent pour faire son travail. À ce moment, il risque de franchir la ligne jaune et de passer du mauvais côté.

J’ai par exemple participé à l’opération lors de la prise d’otages à la maternelle de Neuilly-sur-Seine par « Human Bomb ». Nous avions prélevé dans le coffre des frais d’enquête et de surveillance l’argent liquide dont nous avions besoin pour verser la rançon. Je crois bien que nous avions tout pris ! Au final, la rançon n’a pas été payée et cette somme a été restituée le soir même ou le lendemain.

En fonction de quels critères le directeur général de la police nationale (DGPN) répartit-il ces fonds ?

L’argent est détenu par le directeur général de la police nationale (qui en général n’est pas un policier), mais il ne fait qu’exécuter les instructions du cabinet du ministre de l’intérieur. Les FES sont partagés en deux au sommet de la technostructure.

Le premier secteur, forfaitaire, est attribué à chaque service pour son activité en fonction des dépenses prévues et reconnues. Et le deuxième secteur est retenu par la technostructure et distribué autants que de besoin aux services de police, pour payer des dépenses imprévues. Il servait aussi à payer une prime à des fonctionnaires méritants. Par exemple, quand un service a fait une belle affaire de drogue, qui a été éreintante et stressante, le directeur de service va solliciter le DGPN pour avoir un remboursement des frais exceptionnels engagés et donner une petite prime à tel et tel fonctionnaire. C’est de moins en moins vrai, puisque cela a été remplacé sous l’ère Sarkozy par les fameuses primes au mérite.

Ce deuxième secteur est complètement opaque : seul le DGPN et certains membres du cabinet des ministres en connaissent les montants. Il n’y a pas de remise globale, mais des remises échelonnées qui se font de manière confidentielle. Il n’y a rien de fixe, rien d’affiché, rien de transparent.

Mais en tant que patron de la police des polices parisiennes, n’aviez vous pas un droit de regard sur l’usage de ces frais d’enquête ?

À l’IGS, nous n'avons jamais été saisis de la question des frais d’enquête et de surveillance et nous n’avions pas de droit de regard là-dessus. C’était un sujet tabou. La technostructure avait réussi l’exploit de mettre mal à l’aise les directeurs de police par ces méthodes un peu opaques. Tout était fait pour que vous ne sachiez jamais où vous en étiez.

Au niveau de Radio couloir, nous avions un doute sur l’utilisation de sommes policières par des non-policiers. Et en particulier, nous savions que les frais de cabinet avaient été maintenus au cabinet du ministre de l’intérieur. Mais nous n’avions aucune preuve. C’est dans les médias que j’ai appris que Claude Guéant avait, entre 2002 et 2004, touché 10 000 euros par mois, puisés dans ces frais d’enquête et qu’il considérait comme une prime de cabinet. À côté de ça, ce que touchaient les directeurs de police pour le fonctionnement de leur service, c’était minable.

Je rappelle que Claude Guéant avait la volonté de supprimer le corps des commissaires en le fusionnant avec celui des officiers. Pourquoi ? Les commissaires ont fait les mêmes études que les énarques, ils ont une solide formation juridique. Ce sont des gens qu’on ne peut pas manipuler facilement. Je ne peux m’empêcher de penser que s’il n’y avait plus de commissaires pour diriger la police, il aurait été possible de disposer encore plus facilement de ces frais d’enquête et de surveillance.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire. Pensez-vous que d’autres personnes que Claude Guéant puissent être inquiétées ?

Oui, car ce n’est pas une dérive spécifique à l’ère Nicolas Sarkozy (ministre de l’intérieur de 2002 à 2004 puis de 2005 à 2007 –ndlr). Elle remonte au moins à l’époque où Claude Guéant était directeur général de la police nationale dans les années 1994-1998. Il faut maintenant savoir si cela s’est pérennisé après 2004. Les directeurs de police ont-ils touché plus de FES de deuxième secteur après 2004 ? Je n’ai pas eu connaissance d’une soudaine augmentation des frais policiers après 2004. Alors où est donc cet argent ?

C’est une dérive de gens qui ont considéré la police comme vache à lait. Si tout ceux qui ont touché illégitiment ont un peu d’éthique, ils vont rendre cet argent et partir. Ils n’ont pas leur place dans ce type d’institution. J’ai une suspicion concernant certains qui sont passés d’un cabinet à l’autre pendant des années et en ont peut-être bénéficié. Il faut poursuivre tous les non-policiers qui ont perçus des sommes, qui étaient dévolues à l’action de police, et se sont enrichis individuellement.

C’est assez facile. Il suffit de faire la différence entre les sommes totales perçues par le ministère de l’intérieur au titre des FES et ce qui a effectivement été remis aux différents directeurs et chefs de service policiers au titre du premier et du deuxième secteur. Là, on aura la somme qui manque ! Cette différence constituerait pour des magistrats l’élément matériel de l’infraction de détournements de fonds publics ou d’abus de confiance, plus de recel.

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* Auteur de Confessions d'un sale flic (Éditions du Toucan, avril 2012)

Mais les intéressés n’étaient peut-être pas tous au courant de l’origine policière de ces “primes” ? Jusqu'à la réforme des primes de cabinets ministériels de 2002, cet argent en liquide pouvait venir des fonds spéciaux.

Si je vous remettais quelques milliers d’euros dans une enveloppe tous les mois, ne vous poseriez-vous pas des questions de savoir d’où sort cet argent ? Ou alors ces gens n’ont rien à faire à ce niveau-là ! Surtout à partir de 2002, où tout le monde savait qu’il n’y avait plus de fonds spéciaux. Et Radio couloir au ministère de l’intérieur a toujours dit que tout cet argent venait de la police.

Qu’en est-il de la fameuse Henriette, une fonctionnaire aujourd’hui partie à la retraite, qui, selon les auteurs de Place Beauvau, la face cachée de la police (Robert Laffont, 2006), distribuait ces enveloppes en liquide tirées de son coffre-fort ?

Henriette est une femme de bien, un ancien officier de police. Vu son âge – elle doit avoir 90 ans aujourd’hui –, elle n’était plus en poste comme fonctionnaire mais sous contrat. Elle avait en effet un gros coffre-fort, dont il existait le pendant à la préfecture de police. Je pense que les ministres successifs l’ont maintenue car, malgré son caractère rétif et pas toujours facile, elle exécutait parfaitement les intructions données. C’était quelqu’un de confiance, une vraie tombe !

Vous-même, touchiez-vous des FES à vos différents postes, en tant que conseiller technique au cabinet du directeur général de la police nationale entre 1993 et 1998, puis sous-directeur à la DST et enfin patron de l’IGS ?

En tant que responsable d’un service de police à la DST, puis comme conseiller au cabinet du DGPN, j’avais une activité policière. J’ai mené plusieurs missions. C’était donc logique que je touche des FES.

De quel montant ?

Je ne peux pas vous dire, car j’étais habilité très secret aussi bien à la DST qu’au cabinet du DGPN. Mais c’était sans comparaison avec les 10 000 euros de Claude Guéant.

Et à l’IGS ?

À la tête de l’IGS, je touchais une somme globale que je ventilais ensuite. C’était dérisoire. Avec ça, je n’aurai pas pu me payer le Bristol (un restaurant proche de la place Beauvau – ndlr) tous les jours, contrairement à nombre des personnes du ministère de l’intérieur.

Le rapport d’inspection rendu public le 11 juin 2013 pointe également de nombreux errements dans l’utilisation des frais d’enquête par les services policiers eux-mêmes : cadeaux de départs, « dépenses de convivialité », gratifications, etc. L’IGPN elle-même est pointée du doigt pour sa « comptabilité sommaire ».

Les policiers sont les destinataires légitimes de ces sommes. S’ils les ont mal utilisées, c’est un problème de gestion interne qu’il faut assumer. Mais on ne peut les assimiler à ceux qui, illégitimement, se sont attribués secrètement des fonds qui ne leur étaient pas destinés et ont manqué à la sécurité. Je crois qu’il y a une volonté de mélanger les deux pour noyer le sujet. Mais il y a, à mon sens, une différence énorme ! Il n’y a aucune raison pour que la gestion des FES demeure opaque. Les directeurs de police n’ont qu’à assumer leurs responsabilités en gérant eux-mêmes cet argent et non en subissant une gestion externe.

Le système des informateurs, qui depuis 2004 sont officiellement immatriculés dans un fichier et reçoivent un reçu des sommes versées, montre cependant qu’il semble possible d’avoir une meilleure traçabilité des frais d’enquête sans mettre en danger l’efficacité policière !

Cette procédure est d’une stupidité remarquable. Elle a été mise en place par des gens qui n’ont jamais eu à traiter un informateur. Un policier qui accepte de donner les nom, prénom, adresse et les sujets sur lesquels sa source l’informe, c’est contre-nature. Aucun policier traitant digne de ce nom ne va le faire, surtout à des gens qui ne sont pas de son métier.

La réalité est que vous ne donnez dans ce fichier que les indics pourris, ceux qui mangent à tous les rateliers. Les vrais informateurs, vous ne les mettez pas ! Toute ma vie de police, j’ai eu des sources, dont certaines de grande valeur, mais je ne suis jamais passé par ce fichier.

Le rapport des deux inspections générales n’a pas pu mettre la main sur les archives du cabinet du DGPN avant 2007. C’est une tradition à la DGPN de détruire les archives à chaque élection ?

Le cabinet du ministre de l’intérieur avait tendance à détruire ses archives, ce qui n’est pas illogique. C’est le fait politique. Le cabinet de la DGPN est par contre un cabinet technique, qui applique des directives gouvernementales, un peu comme le cabinet militaire au ministère de la défense. Je ne vois donc aucune raison pour que la police détruise ses archives ! Au contraire, c’est une source d’enrichissement pour savoir comment les problèmes ont été résolus par le passé.

Comment est-ce possible que pendant dix ans rien n’ait filtré de ces 10 000 euros en liquide reçus chaque mois par le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur ?

En tant qu’ancien responsable de la DST, du cabinet et de l’IGS, je pense que la police est malade de l’opacité. L’opacité crée la suspicion. Le ministère de l’intérieur n’est pas encore entré dans l’ère du réel, du dit, de l’affiché. Pour les frais, comme pour le reste. Ce n’est pas normal. En dehors du secret défense, je suis partisan de la transparence. La police est un service public, pas un service secret. C’est la seule façon de rétablir le dialogue avec la population et de donner une bonne conscience aux fonctionnaires de police.

Vous-même avez été mis en cause dans l’affaire de l’IGS, révélée en janvier 2012 dans Le Monde par d’anciens collaborateurs qui ont affirmé qu’en tant que patron de l’IGS, vous ne pouviez pas ignorer que des procès-verbaux avaient été truqués. Que répondez-vous ?

Ces gens-là sont revenus depuis sur leurs positions. Je m’en étais déjà expliqué à l’époque dans Paris Match. J’ai été entendu comme témoin en 2012 dans le cadre de trois des enquêtes ouvertes. J’attends aujourd’hui les décisions de justice pour savoir quelle sera ma position sur ce qui est une non-affaire et a fait l’objet de calomnies dans les médias.

Mais si vous estimez avoir fait l’objet d’écrits calomnieux, pourquoi ne pas avoir déposé plainte ?

Je laissse la justice faire son travail pout l’instant. Je pourrai toujours le faire après les procédures.

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