Le directeur de Tracfin, le puissant service de renseignements du ministère des finances, a personnellement effectué à plusieurs reprises des recherches sur Jérôme Cahuzac pendant l’entre-deux tours de l’élection présidentielle 2012, sept mois avant la révélation par Mediapart des comptes non déclarés en Suisse et à Singapour du ministre du budget.
D’après des documents internes, le patron de Tracfin, Jean-Baptiste Carpentier, a regardé depuis son ordinateur à deux reprises, les 26 et 30 avril 2012, dans le serveur interne baptisé “Startrac”, où sont référencées toutes les déclarations de soupçons visant notamment des particuliers, s’il existait des informations potentiellement compromettantes pour Jérôme Cahuzac. La recherche a été réalisée à partir du mot-clé “cahuzac”.
Le 2 mai 2012, quatre jours avant le second tour de l’élection présidentielle opposant Nicolas Sarkozy et François Hollande, une chef de service de Tracfin a également fait une recherche sur Jérôme Cahuzac dans la base “Startrac”, d’après les mêmes documents, dans lesquels sont recensées toutes les recherches nominatives.
Contacté, Jean-Baptiste Carpentier « ne souhaite ni confirmer ni infirmer » nos informations.
Magistrat de formation et ancien conseiller du ministre de l'économie Thierry Breton, M. Carpentier a été nommé en septembre 2008, sous la présidence Sarkozy, à la tête de Tracfin, service chargé de traquer sous l’autorité directe de Bercy les flux financiers clandestins dans la lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Le haut fonctionnaire a été maintenu dans ses fonctions par la majorité socialiste après mai 2012.
L’étendue des pouvoirs du directeur de Tracfin est considérable, comme Jean-Baptiste Carpentier l’a lui-même reconnu devant les députés, lors d’une audition face aux membres de la commission de la défense nationale. « Quitte à vous inquiéter, j’admets […] avoir accès sans restriction, dans le cadre de nos investigations et de notre mission, à l’intégralité des comptes bancaires de toutes les personnes physiques et morales sur le territoire national », avait-il alors affirmé.
Comment expliquer, dès lors, que le patron de Tracfin, poste d’observation privilégié de la République sur le moindre mouvement financier suspect de quiconque, fasse preuve d’une telle curiosité, en plein entre-deux tours présidentiel, à l’endroit de l’un des responsables de campagne du candidat PS ? À la direction Tracfin, on indique qu’il s’agit d’une « pratique habituelle ».
« Il s’agit de vérifier qu’il n’y a pas de dossier sur telle ou telle personne pressentie pour être ministre à Bercy, aux finances ou au budget. C’était le cas de Cahuzac », explique-t-on dans l’entourage du patron de Tracfin. « Cela permet d’éviter une éventuelle situation de conflit d’intérêts avec un futur ministre de tutelle. Ainsi, s’il y a un dossier, on fait en sorte qu’il soit transmis à l’autorité judiciaire avant, pour que rien ne soit retenu », poursuit cette source, qui sous-entend qu'aucun élément compromettant n'aurait alors été découvert sur Jérôme Cahuzac avant son arrivée à Bercy.
Pourtant, une autre hypothèse existe. L’ancien pouvoir en place, à savoir les sarkozystes, n’aurait-il pas cherché une “peau de banane” à glisser sous le pied de l’un des principaux limiers du candidat socialiste à quelques jours du second tour de l’élection présidentielle ? Cette éventualité est balayée d’un revers de manche à Tracfin.
Devant les députés, Jean-Baptiste Carpentier avait insisté sur son indépendance de fait face au pouvoir politique : « Notre service dispose d’une autonomie, mais ce n’est qu’une autonomie. Je suis un fonctionnaire de la République, hiérarchiquement subordonné à son ministre. J’en ai servi plusieurs, de couleurs politiques différentes, sans qu’aucun ne m’ait jamais demandé quoi que ce soit. Comme il se doit, je rends compte des affaires sensibles que j’ai à connaître et j’informe de ce que j’envisage de faire ; c’est là mon devoir. Au demeurant, j’ai passé l’âge de me faire manipuler. »
Le patron de Tracfin ajoutait : « Quoi qu’il en soit, tous les ministres ont toujours respecté la règle du jeu. Et les sollicitations que j’ai pu exceptionnellement recevoir n’émanaient jamais d’eux, mais d’échelons très inférieurs prétendument mandatés par le pouvoir politique. Nous n’avons jamais eu la moindre interférence dans notre travail et je ne la supporterais pas. » C’était le 13 mars 2013, deux semaines avant que Jérôme Cahuzac ne reconnaisse devant des juges avoir dissimulé 685 000 euros au fisc français.
Début avril, Tracfin recevra plusieurs alertes de Singapour, où l’ex-ministre du budget avait placé secrètement son argent après la Suisse. Depuis, Jérôme Cahuzac est mis en examen pour « fraude fiscale » et « blanchiment ».
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