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Valls est pris dans un conflit d'intérêts dans l'aménagement d'Evry

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Manuel Valls n’a, semble-t-il, pas vu le conflit d’intérêts. Ou bien l’a-t-il ignoré. En avril 2011, le député et maire d’Évry a attribué, en sa qualité de président de la communauté d’agglomération Évry Centre Essonne (CAECE), le marché « d’élaboration du projet de territoire » à son ex-compagne, Sybil Cosnard, urbaniste et ancienne directrice générale de l’urbanisme de la ville d’Évry.

Ce marché public, intitulé « mission d’assistance maître d’ouvrage pour la préparation du projet de territoire, et la définition de la stratégie de marketing territorial », avait fait l’objet d’un appel d’offres lancé en novembre 2010. Plusieurs groupements d’urbanistes et d’architectes y avaient répondu. Parmi les candidats non retenus, l’architecte de renom Michel Cantal-Dupart s’étonne de l’attribution de ce marché à une proche du président de l'instance intercommunale, et juge que les modalités de l’appel d’offres posent question.

C’est à travers une société unipersonnelle créée quelques mois plus tôt, City Linked, que Sybil Cosnard décide de répondre à l’appel d’offres en associant à son projet l’architecte Roland Castro. Elle connaît bien ce territoire, puisqu’elle a été chargée du « développement urbain » de 2004 à 2008 à la mairie d’Évry. L’urbaniste a rejoint ensuite – de 2008 à 2010 – la société immobilière ING, qui redessinait le centre-ville d’Évry en construisant les nouvelles tours. Un programme de 450 logements et 7 000 m2 de bureaux, présenté par Manuel Valls en avril 2008 comme « le moment du renouveau » de sa ville, et que l’agglomération avait soutenu par des mesures favorisant l’accession à la propriété.

Manuel Valls, à l'Assemblée nationale.Manuel Valls, à l'Assemblée nationale. © Reuters

C’est donc en terrain connu, voire en terrain conquis, que Sybil Cosnard a remis son offre à l'agglomération d'Évry en 2010. « Il n’y avait pas de conflit d’intérêts à partir du moment où l’on est entré dans un système d’appel d’offres public, a répondu Mme Cosnard à Mediapart. Je suis restée dans le cadre du marché. »

Questionné par Mediapart, Manuel Valls souligne que le « projet de territoire » avait été porté par un autre élu local, vice-président de l’agglomération, le maire UMP de Courcouronnes Stéphane Beaudet, et que la commission d’appel d’offres, « à l’issue de ses débats », avait « proposé d’attribuer le marché » au groupement City Linked. Le ministre de l’intérieur souligne qu’il n’a lui-même « jamais présidé aucune commission d’appel d’offres », qu’il a « toujours délégué un vice-président pour en assurer la présidence », et enfin qu’il a « toujours suivi les avis de la commission pour attribuer les marchés ». L’avis désignait la société de son ex-compagne, il n’a fait que le suivre.

« Le président de l’agglomération n’avait aucun intérêt dans l’une des sociétés qui se sont vu attribuer le marché et pas davantage dans la société City Linked qui était le mandataire. Il n’avait aucun lien, ni aucun lien de parenté avec les membres du groupement, a fait savoir le ministre dans sa réponse. Le fait de connaître tel ou tel dirigeant, de l’une ou l’autre de ces sociétés, ne peut être constitutif d’un délit de prise illégale d’intérêts. »

Selon une chronologie communiquée par le ministre de l’intérieur, le marché du projet de territoire avait été présenté par Stéphane Beaudet aux maires de l’agglomération le 6 septembre 2010. Pour la société City Linked, dont les statuts ont été déposés le 28 septembre 2010, c’était donc un premier projet d’envergure auquel elle pouvait candidater. L’offre a été rendue publique le 29 novembre, et le délai de réponse fixé au 14 janvier 2011.

Le ministre de l’intérieur ne conteste pas avoir su qui dirigeait City Linked en lui attribuant le marché. Le président de la commission d’appel d’offres Ange Balzano, maire adjoint (PS) de Ris-Orangis, exprime quant à lui sa surprise : il ignorait que la bénéficiaire du marché était l’ex-compagne du président de l’agglomération : « Je ne connaissais pas la gérante de City Linked. Vous m’apprenez son nom. Son nom n’était pas sur les documents », déclare-t-il à Mediapart.

Le 5 avril 2011, la commission d’appel d’offres s’est « passée normalement », explique-t-il. « Le président de l’agglomération (Manuel Valls) n’y a pas participé. » « Au sein de la commission, personne n’a soulevé ce problème, ni ne nous a mis en garde, ça m’aurait marqué. » À l’administration de la communauté urbaine, la direction des marchés publics avait préparé un « rapport de présentation ». « En gros, on a validé le dossier », indique M. Balzano.

L’administration pouvait-elle ignorer le parcours de Sybil Cosnard, qui avait été directrice générale au développement urbain d’Évry pendant quatre ans ? M. Balzano le croit. « Sinon les agents de l’administration n'auraient pas pris le risque de se mettre en porte-à-faux. » Et lorsque l’on demande à l’élu socialiste si cette attribution lui aurait posé problème s’il avait connu les liens passés du président de l’agglomération avec la candidate, il répond : « Juridiquement non, mais moralement peut-être. »

« Notre offre a été validée par la commission, j’estime être dans mon bon droit », commente Mme Cosnard. Manuel Valls a indiqué, dans sa réponse à Mediapart, que Sybil Cosnard a effectivement été sa compagne pendant deux ans, en 2005 et 2006, années pendant lesquelles ils ont acheté ensemble un appartement à Évry. Un appartement conservé par le ministre, et qui figure dans sa récente déclaration de patrimoine – il assure avoir racheté les parts de Sybil Cosnard après leur séparation.

Le ministre explique que « le risque de délit de favoritisme » ne peut pas être soutenu dans cette affaire. « Le délit de favoritisme est le fait de procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics. Dans le cas d’espèce, aucune rupture du principe d’égalité devant la commande publique, ni aucun acte irrégulier dans l’attribution du marché n’a été commis », assure le ministre.

L’architecte Michel Cantal-Dupart en doute et, informé par Mediapart de la présence de l’ex-compagne dans le groupement concurrent City Linked, il juge que c'était de nature à constituer au contraire « un handicap sérieux » pour les autres candidats. Par ses contacts personnels, et institutionnels, Sybil Cosnard était notamment en position d'obtenir une information privilégiée.

« J’ai répondu parce qu’Évry m’intéressait, indique Michel Cantal-Dupart à Mediapart. C’est une ville nouvelle un peu en désastre par rapport à d’autres, comme Marne-la-Vallée ou Saint-Quentin-en-Yvelines, j’ai donc fait un groupement pour imaginer une stratégie urbaine, et nous avons déposé un dossier avec une méthodologie. »

Le siège de la communauté d'agglomération d'Evry Centre EssonneLe siège de la communauté d'agglomération d'Evry Centre Essonne © Illustration du cabinet d'architectes TVAA

 

Huit jours après la commission, le 13 avril 2011, l’agglomération d’Évry Centre Essonne informe le groupement de Michel Cantal-Dupart qu’il n’est arrivé que troisième, et que le premier, l’attributaire, s’appelle City Linked.

« J’ai reçu une réponse qui nous disait que nous n’avions pas été retenus, sans explication, et j’ai pensé que c’était plutôt politique. Normalement, nous aurions dû être dans une short list et être reçus pour exposer ce que l’on avait envie de faire. Ce n’est pas normal. Cela voulait dire que c’était ciblé, et qu’ils avaient déjà quelqu’un en tête. Les élus peuvent choisir quelqu’un qui connaît bien la ville, et ça peut être positif… ou pas, mais ce sont généralement des arrangements. »

Michel Cantal-Duparc apprend aussi que le budget de l’attributaire est de 450 300 euros. « Nous avions répondu pour 243 700 euros, expose l’architecte. Dans un cas comme celui-là, je suis président d’une communauté urbaine qui lance un concours comme ça, je fais une audition, et j’écoute les gens. Et je commence par dire que 450 300 euros, c’est très cher. Je ne suis pas pour le moins-disant systématique, mais 200 000 euros de plus ça se discute. »

Le compte-rendu succinct de la commission, disponible sur Internet ici et , signale que « l'offre économiquement la plus avantageuse » a été choisie, suivant un critère de pondération prenant en compte la « valeur technique ». L’architecte Roland Castro estime que « l’étude urbaine » a réuni « des gens compétents pour la faire ». « Les gens ont des vies. Il y a plein d’histoires comme ça. Il ne faut pas accabler cette dame », déclare-t-il.

Le cabinet City Linked a réalisé la première partie de sa mission « d’état des lieux, de diagnostic et d’analyse des enjeux » entre mai 2011 et mars 2012, date à laquelle un rapport d’étape a été remis à l’agglomération. Mais en juin 2012, alors que Manuel Valls devenu ministre démissionne de ses fonctions de maire d’Évry et de président de l’agglomération, la Fédération française de rugby choisit de retenir le site de Ris-Orangis pour son futur grand stade. Toutes les réflexions urbaines sont suspendues, y compris et surtout le « projet de territoire » préparé par City Linked. « Les conséquences de l’implantation de cet équipement, en particulier sur l’armature urbaine, étaient telles qu’il y avait lieu de surseoir à la démarche, résume le ministre de l’intérieur. Cette décision a été prise par le nouveau président de l’agglomération (ndlr Francis Chouat) au mois de septembre 2012. »

Les intervenants ont été « indemnisés pour le travail réalisé », mais bien curieusement « il n’y a pas eu de transaction, ni d’indemnité de rupture de contrat » en leur faveur.

Le 5 avril 2013, trois nouvelles équipes d’urbanistes ont été présélectionnées par les collectivités pour réfléchir au développement du projet urbain autour du futur grand stade de rugby. Parmi elles, figure l’agence de l’architecte François Leclercq, arrivée en seconde position derrière City Linked dans l’appel d’offres du « projet de territoire ».

BOITE NOIRECet article s'inscrit dans le prolongement de nos enquêtes sur l'Essonne. Nous avons adressé nos questions par mail à Manuel Valls le 18 décembre. Il y a répondu par écrit, le 20 décembre. Nous lui avons adressé de nouvelles questions le jour même, auxquelles il n’a finalement pas répondu.

Nous avons questionné Sybil Cosnard, par téléphone, le 18 décembre. Nous avons tenté de la joindre une nouvelle fois avant publication et lui avons également transmis une liste de questions auxquelles elle n’a pas répondu.

L’architecte Michel Cantal-Dupart a été joint à deux reprises, et il nous a indiqué avoir consulté ses archives sur ce marché.

M. Roland Castro a été joint brièvement, mais n’a pas souhaité nous rappeler.

Le président de la commission d’appel d’offres de l’agglomération, Ange Balzano, a accepté de nous répondre, mais ni M. Stéphane Beaudet, vice-président de l’agglomération et maire de Courcouronnes, ni M. Bernard Dinon, directeur général des services de l’agglomération, n’ont retourné nos appels.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Article 13 de la LPM : la politique dans les faits


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