C’est une victoire en demi-teinte pour un ancien lieutenant de la police judiciaire de Grenoble, en conflit avec son administration depuis dix ans. Poursuivi pour avoir publié sur son blog belge une note de service interne de la PJ grenobloise, l’ex policier Patrick Cahez, 52 ans, avait été condamné le 18 avril 2013 à deux mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Grenoble pour violation du secret professionnel. Le 10 décembre 2013, la Cour d’appel de Grenoble a annulé ce jugement, déclarant que le tribunal de Grenoble était «incompétent pour statuer sur les faits». Les juges ont renvoyé le ministère public « à se mieux pourvoir».
«C’est un camouflet pour le parquet de Grenoble dont dépendait autrefois l’officier de police judiciaire Patrick Cahez», estime son avocat, Me Stephen Duval. Depuis 2003, Patrick Cahez se bat contre le ministère de l’intérieur pour faire reconnaître le harcèlement moral dont il a fait l’objet et qui l’a mené à la dépression et à un congé longue maladie en 2007. Un combat dont il tenait un journal exhaustif sur son blog, tenu depuis la Belgique où il avait déménagé. Parmi les documents publiés, figure une note de service du 22 juin 2007 «décrivant l'organisation de l'antenne PJ de Grenoble avec la liste des fonctionnaires de police et des véhicules de service ». Pour l’ex policier, il s’agissait de prouver sa mise au placard en montrant que tous les fonctionnaires de la PJ de Grenoble, sauf lui, étaient affectés à un groupe.
Mais le ministère de l’intérieur n’a pas apprécié de voir ainsi affiché au grand jour le nom de la vingtaine de policiers de la PJ grenobloise ainsi que la marque et l’immatriculation des véhicules de service. Fin 2010, un policier de la direction zonale du renseignement intérieur (DZRI) de Lyon a signalé à l'inspection générale de la police nationale (IGPN) la présence sur un blog belge de la fameuse note de service. Une enquête préliminaire est aussitôt ouverte par le procureur de la République de Grenoble de l'époque et confiée à l'IGPN, qui engage parallèlement une enquête disciplinaire sans en avertir le fonctionnaire.
Quelle était la compétence du parquet de Grenoble pour poursuivre un citoyen français habitant en Belgique pour des faits commis sur un blog hébergé en Belgique ? En première instance, le tribunal correctionnel de Grenoble avait estimé que la diffusion sur tout le territoire français, y compris à Grenoble, du blog de Patrick Cahez suffisait à le rendre compétent pour juger les faits. Pas pour la Cour d’appel qui indique que «les faits poursuivis ont été constatés par les services de police à Lyon puis à Paris» mais «qu’aucun fait de consultation concret sur le ressort du tribunal de grande instance de Grenoble n’est établi». Le policier de la DZRI qui signale la note, puis ceux de l'IGPN qui ont mené l’enquête, ont en effet consulté le blog depuis leurs sièges respectifs, à Lyon et à Paris. Donc «aucun critère ne donne compétence au tribunal de grande instance de Grenoble pour statuer», tranche la Cour. Cette «erreur de saisine du parquet» est cependant «sans incidence sur la validité qui s’attache aux actes d’enquête et de poursuite», poursuivent les juges. Les actes d’enquêtes ne sont donc paradoxalement pas annulés.
Mis à la retraite pour «inaptitude» en mars 2013, Patrick Cahez regrette que la Cour d’appel n’ait pas été plus loin. «La Cour a fait obstacle à l’arbitraire policier, mais sur le fond, elle ne va pas jusqu’au bout, elle ne me relaxe pas, déclare-t-il. Je dois être l’un des rares français à n’être ni innocent ni coupable !» Pour l’ex lieutenant passé «à travers un laminoir depuis quinze ans», «cela montre bien que lorsqu’on mène une procédure contre une administration, il est quasiment impossible d’avoir raison et de faire respecter l’Etat de droit». L'ex policier avait déjà écopé le 10 janvier 2013 d'une sanction disciplinaire (un abaissement d'échelon). Un beau cadeau de départ juste avant sa mise à la retraite décidée par un comité médical et la commission de réforme.
Sur le fond, son avocat conteste toute violation du secret professionnel, qui, selon sa lecture du code pénal, vise à protéger la vie privée de personnes et non l’Etat. «Dans le code pénal, les dispositions sur le secret professionnel sont rangées dans les atteintes à l’intimité de la vie privée, pas dans celui des atteintes à l’Etat, plaide Me Stephen Duval. Le législateur n’a pas voulu que ce délit concerne toutes les informations détenues par les intéressés ! Or ce qui a été divulgué par Monsieur Cahez porte sur l’organisation interne d’un service de police et non sur des données personnelles, telles que l’état de santé, le nombre d’enfants, le nom du conjoint, etc.» Le syndicat Sud intérieur, qui soutient l’ex policier dans son combat, s’est porté partie civile dans cette affaire.
Renvoyé à «se pourvoir tel qu’il avisera», le parquet général de Grenoble peut désormais réorienter la procédure vers un autre parquet. «Comme la diffusion a été constatée à Lyon et à Paris, ce sera à destination d’un de ces deux parquets, indique l’avocat général Pierre-Marie Cuny, joint par téléphone. Mais il faut d’abord que nous voyions si les faits ne sont pas prescrits. Car si l’on considère que les magistrats du tribunal de grande instance de Grenoble étaient incompétents, les actes d’enquête accomplis par le parquet de Grenoble n’ont pas pu interrompre la prescription.»
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