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Le PS et l'affaire Dassault : «Dis, qu'as-tu fait de ton Sénat?»

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« Dis, qu’as-tu fait de ton Sénat ? », c’est la question que peut se poser la gauche, et d’abord le PS, après le vote sur l’immunité de Serge Dassault. Une décision si stupéfiante qu’elle a poussé son président, Jean-Pierre Bel, à « tirer les leçons de ce qui s’est passé et à réintroduire le vote à main levée lorsque le bureau se prononcera ».

Au lendemain de ce vote renversant, le spectacle est surprenant. Vingt-six élus ont pris une décision très lourde, à la fois sur le plan du droit, et sur ses conséquences dans l’opinion publique. Or dans la majorité de gauche, pas un seul ne l’assume, les plus nombreux crient « c’est pas moi » et les autres se mettent à l’abri, en évoquant « le respect du secret ».

Côté droit, le bilan n’est pas meilleur : les sénateurs concernés se sont rangés, comme un seul homme, pour des raisons de boutique, derrière un élu puissant. Ils prennent ainsi le risque de faire passer leur solidarité pour de la complicité, et leur discipline de groupe pour le silence « des clans, des bandes et des factions », jadis dénoncés par François Mitterrand.

Au bout du compte, les parlementaires de gauche poussent des cris effarés et se demandent lequel d’entre eux a empêché la levée de l’immunité en votant non, et lequel a voté blanc pour s’en laver les mains. Mais ils se lamentent aussitôt sur le mode « Personne ne le saura jamais ». La sénatrice Laurence Rossignol, porte-parole du PS, va jusqu’à parler des « treize fossoyeurs de la démocratie ».

Partout le même vocabulaire, pour ce qui ressemble à un désastre. Dassaultgate ? Waterloo moral ? Bérézina politique ? Sedan sénatorial ? Crécy parlementaire ? Le député Carlos Da Silva, proche de Manuel Valls, dénonce « un scandale qui abaisse la République », la gauche forte craint que cette décision ne renforce le « tous pourris », le sénateur et patron du Parti communiste qualifie « d’indignes » les élus de gauche qui ont manqué à ce vote, tandis que le porte-parole d’Europe Écologie Julien Bayou lâche le mot de « scandale »...

Au bout du compte, tout ce que la droite compte de représentants du peuple serait favorable à ce que l’immunité de l’un des leurs, et pas n’importe lequel, fasse entrave à la justice, et tout ce que la gauche possède de parlementaires se désolerait d’une décision qui lui revient pourtant.

Ainsi, vingt-six personnes, réunies dans une salle qui ne se trouve pas dans les sous-sols de Fort Knox mais dans un palais de la République, vingt-six délégués du peuple, auraient pris une décision que personne, parmi la foule des huit cent vingt-cinq députés et sénateurs, sans parler des ministres, conseillers du président de la République, et du Président lui-même, ne serait capable de justifier !

Résultat : dans son communiqué, Jean-Pierre Bel constate « les suspicions », donc authentifie le délit, mais personne n’est capable de désigner les responsables, encore moins les coupables ! Ce silence porte un nom. Sauf erreur, il s’agit d’une omerta…

L’accusation pourrait paraître excessive. Peut-être, après tout, le pataquès est-il le fruit d’un enchaînement absurde, que personne n’a maîtrisé.

Peut-être… Mais les conséquences sont là, qui surviennent dans un contexte d’extrême méfiance vis-à-vis de la politique. Fantasme ou pas, tous les soupçons de corruption, d’entrave à la justice, de renvois d’ascenseur, de passe-droits, peuvent s’en donner à cœur joie, et rien ne les arrêtera. Et comme d’habitude, devant les pots cassés de la démocratie, Perrette soupire sur le thème du cadeau offert au Front national. Trop tard, le mal est fait : Marine Le Pen, conquérante et sûre d’elle-même, a demandé, ni plus ni moins, la dissolution du Sénat...

C’est là que l’affaire revient comme un boomerang au visage des vainqueurs de l’automne 2011. Elle n’est au fond que l’apogée de critiques permanentes, qui ne datent pas d’hier, et qui parlent, depuis un bon demi-siècle, d’un Sénat qui sert d’abord les intérêts des sénateurs, vieux notables enfermés dans leurs dorures et leurs divans moelleux, à l’abri des aléas du monde et du suffrage universel.

Longtemps les socialistes, avec plus de nuances, ont alimenté ce procès d’une chambre hors du temps. Plus ils gagnaient de terrain dans les villes et les villages de France, plus ils remportaient de mairies, de départements, de régions, et plus ils dénonçaient ce Sénat imprenable, imperméable aux alternances, voué de toute éternité à être gouverné à droite.

Et l’impensable est arrivé. En dépit d’un mode de scrutin qui la désavantageait, la gauche est devenue majoritaire le 25 septembre 2011, l’accession à la présidence du socialiste Jean-Pierre Bel annonçant la victoire à l’Élysée de François Hollande, sept mois plus tard.

On allait voir ce qu’on allait voir. L’institution serait rajeunie, remise en ligne avec la société, elle prouverait son utilité et même sa nécessité.

Or quelle image ce Sénat a-t-elle donnée du renouveau ? A-t-il réduit la distance présumée entre les Français et les locataires du palais du Luxembourg ? A-t-il contribué à rétablir la confiance qui s’altère entre le peuple et ses représentants ? A-t-il modernisé l’image du sénateur ?

C’est douteux. Depuis que le PS tient l’Élysée et les deux chambres, le Sénat se distingue. Il invente régulièrement des majorités de refus constituées par une partie de la gauche, ou des écologistes, et l’UMP. Outre leur aspect curieux, ces alliances du refus rappellent surtout que le Sénat peut s’opposer à ce qu’il veut, ça n’aura pas d’importance, il n’a pas le dernier mot.

Ce n’est pas le plus ennuyeux. Le Sénat du « renouveau » s’est aussi mis en vedette en deux grandes occasions : la loi sur la transparence, qu’il a opacifiée, et surtout la loi sur le cumul des mandats qu’il s’efforce d’entraver, en s’appuyant sur les baronnies locales constituées depuis la fin des années 1970, et renforcées au fil des lois sur la décentralisation, à partir de 1982.

Non seulement le Sénat ne s’est pas déverrouillé, mais il s’est ossifié dans son image de bastion.

Ce que cette affaire Dassault met en avant, derrière son incohérence, c’est donc aussi l’échec de l’alternance, dans un Sénat resté imprenable après avoir été conquis, comme si des puissances supérieures avaient empêché son évolution.

Qui sont ces forces ? Inutile de chercher loin. Ce sont les sénateurs, en tout cas les plus puissants... Et qui sont ces sénateurs ? Des élus des grandes villes… Et qui sont ces élus ? Dans bien des cas des socialistes.

Ainsi l’affaire Dassault renvoie-t-elle aux « mystères de la Chambre haute », comme le dit ce matin l’éditorialiste de RTL, Alba Ventura, lesquels conduisent à des coutumes et des blocages entretenus par de grands barons locaux. Au bout du compte, cette bourrasque place le pouvoir socialiste devant les dérives de l’une de ses lois plus emblématiques : les lois de décentralisation…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les politiques au service des entreprises


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