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Tentative d’assassinat : un proche de Dassault a conseillé le tireur en cavale

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C’est le parfait pense-bête pour homme en fuite : jeter ses téléphones portables, se réfugier dans un pays peu coopératif judiciairement, retarder les auditions policières des membres de sa famille... Des écoutes téléphoniques révèlent qu’un proche du sénateur et industriel Serge Dassault a conseillé dès les premières heures de sa cavale un homme accusé d'avoir tenté d’assassiner, en février 2013, l’auteur d’une vidéo accablante pour l’élu UMP dans une affaire de corruption électorale à Corbeil-Essonnes (Essonne), a appris Mediapart de sources policières.

Une découverte dont se serait volontiers passé Serge Dassault, alors que le Sénat doit se prononcer ce mercredi sur la demande de levée de son immunité parlementaire formulée par deux juges parisiens, Serge Tournaire et Guillaume Daïeff, dans le volet financier du dossier.

Serge Dassault, milliardaire, sénateur et ancien maire de Corbeil-Essonnes, est au centre de plusieurs enquêtes judiciaires.Serge Dassault, milliardaire, sénateur et ancien maire de Corbeil-Essonnes, est au centre de plusieurs enquêtes judiciaires. © Reuters

L’histoire s’est nouée le 19 février 2013. Ce jour-là, à 12 h 40, des coups de feu claquent à Corbeil. Un homme, Younès Bounouara, l’un des principaux intermédiaires de Serge Dassault dans les quartiers populaires de cette municipalité que le milliardaire a dirigée de 1995 à 2009, atteint de trois balles de calibre .38 un habitant, Fatah Hou. Il le laisse pour mort et prend la fuite.

Aujourd’hui partiellement handicapé, Fatah Hou est l’un de ceux qui avaient réalisé deux mois plus tôt un enregistrement clandestin de Serge Dassault, dans lequel l’élu milliardaire disait ouvertement, sur fond de soupçons d’achats de voix, avoir commis des actes illégaux et avoir opéré des paiements occultes depuis le Liban, s’inquiétant d’être par ailleurs « surveillé par la police ». Le principal bénéficiaire des versements évoqués, soit près de 2 millions d’euros, est Younès Bounouara, de l’aveu même du propriétaire du Figaro dans cette vidéo.

Après neuf mois de cavale en Algérie – il s’était caché dans un petit village de Kabylie, Taourirte Aden –, Younès Bounouara est finalement rentré début novembre en France, où il a été interpellé puis mis en examen pour tentative d’assassinat par trois juges d’Évry, qui enquêtent sur le volet criminel de l’affaire Dassault. L’homme était attendu de pied ferme par les enquêteurs de la police judiciaire de Versailles. Et pour cause : le tireur, qui a manqué de très peu de tuer sa cible, était sur écoutes le jour où il a fait feu sur Fatah Hou...  

En effet, dans une autre affaire de tentative d’homicide, potentiellement liée elle aussi à la corruption électorale de Corbeil, une juge d’Évry avait placé sous surveillance téléphonique Younès Bounouara. Ce dont ce dernier était, manifestement, très loin de se douter quand il décide, ce 19 février 2013, de « crever » Fatah Hou, comme il le confiera par téléphone à plusieurs amis le matin même, après avoir eu une altercation verbale avec sa future victime.

Mais une écoute semble tout particulièrement intéresser les policiers. Il apparaît, d’après les informations que Mediapart a pu recueillir, qu’un homme clé du système Dassault, employé de la mairie de Corbeil, savait non seulement parfaitement qui était le tireur, mais, pire, lui a prodigué des conseils avisés pour que sa cavale se passe au mieux. Il s’agit de Machiré Gassama, actuel directeur des services sports et jeunesse de la ville de Corbeil.

L’écoute, dont Mediapart a pu reconstituer le déroulé, est accablante. Elle a lieu vers 21 heures, le 19 février 2013, soit moins de dix heures après les coups de feu.

Machiré Gassama.Machiré Gassama. © DR

Machiré Gassama commence par informer Younès Bounouara que la victime est entre la vie et la mort : « C'est 50-50 », dit-il. Il poursuit : « Les phones, c’est mort, hein… »
« Les quoi ? » demande le tireur en fuite.
« Les téléphones », reprend Gassama.
« Ouais, c’est mort, je sais. Mais moi je suis déjà à l’étranger », annonce Bounouara.
« Ouais, mais tu connais le truc hein, comment ça se passe ? » demande son interlocuteur.
« Ouais, je sais. »

Dans la même écoute, Bounouara s’inquiète : « Ils peuvent m’arrêter dans un pays étranger ? Y a pas mort d’homme, donc normalement ils peuvent pas. »
Machiré Gassama : « Ouais, mais ça dépend lequel. »
Younès Bounouara : « Ça dépend lesquels ? »
MG : « Y a des accords (de coopération judiciaire, ndlr), oui. »
YB : « Même s’il n’y a pas mort d’homme ? »
MG : « Ouais, s’il y a des accords, ils peuvent le faire. C’est plus compliqué, mais ils peuvent. »
YB : « En une journée, ils n’auront pas le temps, je pense. Si ? »
MG : « Non, ils n’auront pas le temps. ».
YB : « Je te rappellerai quand je serai en sûreté »
MG : « Oui, vas-y, ok, et coupe tout, coupe tout pour être tranquille. »

Plus loin dans la discussion, les policiers captent un échange qui montre que le tireur peut profiter d’un solide soutien. Il lui est également conseillé de retarder les auditions policières de ses proches.
Younès Bounouara : « Je suis désolé, hein. »
Machiré Gassama : « Non, mais écoute, t’es notre ami. »
YB : « Merci mon frère. Les flics sont venus chez moi, ça y est. »
MG : « Ah bon ? »
YB : « Ouais, ils les ont convoqués pour demain 10 heures [Younès parle des membres de sa famille, ndlr]. »
MG : « Ah ouais. Mais faut déplacer. »

Contacté, Machiré Gassama a refusé de répondre à nos questions et s’est contenté de nous menacer de poursuites judiciaires si son nom était cité.

À Corbeil, l’homme est dépeint comme un acteur clé de la galaxie Dassault, qu’il a intégrée au début des années 2000 à la faveur de campagnes électorales, selon plusieurs témoignages. C’est aujourd’hui un homme puissant. Il est à la fois un proche de Dassault, qu’il rencontre fréquemment à son QG du Rond-Point des Champs-Élysées, et de l’actuel maire de Corbeil, Jean-Pierre Bechter, qui a remplacé le milliardaire, rendu inéligible par le Conseil d'État pour cause de « fraude électorale », à la tête de la ville. 

Depuis le 3 janvier, Machiré Gassama est également visé, avec Serge Dassault, Jean-Pierre Bechter et un diplomate marocain, par une plainte pour « association de malfaiteurs », déposée par Fatah Hou, comme l'a révélé lundi France Inter. D’autres écoutes téléphoniques, réalisées mi-février 2013, ont en effet mis au jour l’existence d’un projet d'arrestation au Maroc de M. Hou et de deux autres personnes, afin de les éloigner de Corbeil-Essonnes, a rapporté la radio publique.

Dans ces écoutes, on peut notamment entendre une conversation entre Machiré Gassama et Jean-Pierre Bechter durant laquelle le second affirme : « Je sens que quand ils vont arriver au Maroc, ils vont être surpris de l’accueil à l’aéroport. » « Génial ! » s’enthousiasme Gassama. Le complot ourdi entre Corbeil et le Maroc n’a finalement pas eu lieu : Fatah Hou sera neutralisé en pleine rue par les balles de Younès Bounouara quelques jours avant son départ.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Vous avez demandé une presse libre?


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