L’offensive judiciaire dans l’affaire de l’arbitrage Tapie/Lagarde se poursuit. À l’issue de 48 heures de garde à vue à l’hôpital de l’Hôtel Dieu – une précaution prise pour les personnes pouvant souffrir de troubles cardiaques –, Stéphane Richard a été mis en examen ce mercredi après-midi pour « escroquerie en bande organisée ».
Ancien directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo puis de Christine Lagarde au ministère de l’économie, Stéphane Richard est donc considéré par les trois juges d’instruction chargés du dossier comme l’un des protagonistes majeurs de l’arbitrage frauduleux qui a rapporté 403 millions d’argent public à Bernard Tapie, dont 45 millions au titre du « préjudice moral ».
Également placé en garde à vue depuis lundi matin, Jean-François Rocchi, l’ex-patron du Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de défaisance où ont été cantonnés en 1995 les actifs douteux du Crédit lyonnais), était pour sa part présenté aux juges ce mercredi en fin de journée. Il a été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » et « usage abusif des pouvoirs sociaux » dans la soirée.
Après la mise en examen, le 28 mai, de l’arbitre Pierre Estoup pour ce même délit (lire notre article ici), l’enquête judiciaire rattrape donc deux autres acteurs de haut rang de cette affaire d’État, qui se sont rejetés mutuellement la responsabilité de la fraude ces derniers jours. Jean-François Rocchi étant celui qui doit faire face aux chefs de mise en examen les plus lourds.
L’ancien patron du CDR, actuellement à la tête du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), a joué un rôle majeur dans l’arbitrage. Révélé par Mediapart en mai 2011, le rapport de la Cour des comptes l'indiquait déjà: le soupçon pèse sur Rocchi d'une des graves irrégularités qui ont émaillé cet arbitrage, en l’occurrence un faux en écriture.
Le rapport indique que le compromis d’arbitrage qui a été signé entre le CDR et Bernard Tapie – compromis qui fixe les règles du jeu de l’arbitrage – n’est pas conforme à la résolution qui avait été votée préalablement par le conseil d’administration du même CDR. D’un texte à l’autre a été ajoutée une petite modification… qui change tout et qui a fait la fortune de Bernard Tapie.
« Le compromis a été signé le 16 novembre 2007. La version signée est différente du texte et des modifications qui ont été approuvées par le conseil d’administration du CDR le 2 octobre 2007 sur un point important, concernant la qualification de préjudice moral pour l’intégralité de la demande d’indemnisation de 50 millions d’euros au titre des époux Tapie. La rédaction “En leur qualité de liquidateurs des époux Tapie, les parties B limitent la montant de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation à 50 (cinquante) millions d’euros” a été remplacée par la rédaction suivante : “En leur qualité de liquidateurs des époux Tapie, les parties B limitent la montant de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation d’un préjudice moral à 50 (cinquante) millions d’euros.” Ce point était pourtant de première importance pour les finances publiques dès lors que l’indemnisation d’un préjudice moral était laissée à la libre appréciation du juge, que la procédure d’arbitrage est confidentielle et échapper ainsi aux comparaisons et que les sommes n’avaient pas à supporter l’impôt. »
Ce faux en écriture, s’il est confirmé, s'ajouterait aux manquements de l’arbitre Pierre Estoup qui a caché, en amont de l’arbitrage, qu’il avait participé à trois autres arbitrages avec l’avocat de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne, mais qu’il avait aussi été rémunéré dans le passé pour des consultations juridiques portant sur des dossiers concernant directement le même Bernard Tapie (lire Tapie : les interventions cachées de Pierre Estoup).
L'enjeu principal de la garde à vue de Jean-François Rocchi à la brigade financière était d'éclaircir les circonstances dans lesquelles cette modification est intervenue, et s’il l’a opérée de son propre chef ou sur instruction. Il faut se souvenir que dans l’autre procédure, celle devant la Cour de justice de la République (CJR), Christine Lagarde est visée par une enquête pour « complicité de détournement de fonds publics », mais aussi « complicité de faux ». L'ancienne ministre de l'économie n'est, à ce stade, que témoin assisté dans la procédure confiée à la CJR.
Stéphane Richard a donné des versions différentes et parfois contradictoires de l’histoire de l’arbitrage et notamment de son origine : sur le rôle de Jean-Louis Borloo en particulier, sur celui de Jean-François Rocchi ou encore sur celui de Claude Guéant (lire Les protagonistes du scandale Tapie s’entre-déchirent). Ses déclarations étaient très attendues sur le rôle de Claude Guéant, qui pourrait avoir été décisif, comme le confirment les enquêtes de Mediapart (lire en particulier Affaire Tapie : l’enregistrement qui met en cause Claude Guéant).
Par ailleurs, ces deux mises en examen spectaculaires risquent également d'obérer l'avenir de Stéphane Richard à la tête d'Orange comme celui de Jean-François Rocchi au BRGM, même si ces entreprises ne sont pas concernées par l'affaire Tapie-Lagarde.
À noter : depuis décembre 2011, le député (PS) Olivier Faure et l’Association citoyenne ont assigné les époux Tapie devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir prononcer la nullité du compromis d’arbitrage du 16 novembre 2007 et de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008. La procédure suit toujours son cours.
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