Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Notes de frais falsifiées : Londres bien plus ferme que Paris avec ses députés

$
0
0

La liste des parlementaires britanniques emprisonnés n’en finit plus de s’allonger. Quatre ans après le scandale des notes de frais, révélé en 2009 par The Daily Telegraph, le travailliste Denis MacShane, député de 1994 à 2012 et ancien ministre de Tony Blair, vient d’écoper cette semaine de six mois de prison (dont trois ferme) à cause de 15 000 euros de notes de frais « fantômes », réglées par la chambre des représentants sur la base de justificatifs fabriqués de toutes pièces entre 2005 et 2008 et correspondant à de prétendus travaux de « traduction » ou de « recherche ».

Le Palais de Westminster à Londres, où siègent la chambre des communes et la chambre des lordsLe Palais de Westminster à Londres, où siègent la chambre des communes et la chambre des lords © Reuters

Malgré le faible préjudice financier (400 euros mensuels en moyenne remboursés depuis par MacShane), la cour britannique a décidé de sanctionner les dommages symboliques causés au Parlement, en particulier « la perte de confiance dans le précieux système démocratique ». En comparaison, la nation française apparaît bien frileuse face aux dérives de ses parlementaires, les polémiques s’étant multipliées ces derniers temps sur l’usage de « l’indemnité de frais de mandat » ou de « l’enveloppe collaborateurs » sans que la justice ne soit jamais saisie, sans que la moindre enquête interne ne soit même initiée.

J. Devine a été jugé en 2011J. Devine a été jugé en 2011 © Reuters

Ces dernières années, d’autres députés ont devancé MacShane derrière les barreaux britanniques, parfois pour des péchés véniels : le « faussaire » David Chaytor (18 000 euros de frais fictifs, 18 mois de prison), qui prétendait verser un loyer pour son pied-à-terre à Westminster alors qu’il en était propriétaire, auteur d’un contrat de bail bidon ; Jim Devine (10 000 euros, 16 mois de prison), qui présentait de fausses factures de ménage et de papeterie ; Elliot Morley (36 000 euros, 16 mois de prison), qui avait terminé de payer sa permanence électorale mais continuait de réclamer le remboursement de ses mensualités ; Eric Illsley (7 200 euros, 12 mois de prison), qui mentait sur le poids de ses impôts locaux pour grignoter une centaine d’euros par mois. Même la « haute chambre » a été frappée, avec l’embastillement de lord Taylor of Warwick ou du baron de Hanningfield.

Des leçons, surtout, ont été tirées avec la création d’une autorité administrative autonome (l’IPSA) qui scanne désormais toutes les factures et publie le détail des frais député par député (30 000 pièces mises en ligne entre juin 2012 et janvier 2013). Un « Compliance officier » indépendant a surtout été chargé d’enquêter sur la réalité des dépenses déclarées et leur légitimité – aiguillonné par les saisines des citoyens. Récemment, la conservatrice Nadine Dorries a ainsi été priée de rembourser 3 600 euros de trajets entre Westminster et sa circonscription, qu’elle s’était fait payer alors qu’ils étaient strictement liés à des obligations familiales.

En France, pourtant, ce dispositif fondé sur le double contrôle du public et de l’administration passe pour un contre-modèle. Dans un rapport rendu public fin novembre, la déontologue de l’Assemblée nationale, qui s’est déplacée outre-Manche en octobre, se dit non seulement rebutée par le coût (7 millions d’euros par an et 67 personnes mobilisées), mais aussi par le principe de la « transparence maximale » : « La précision des informations (…) permet la publication dans la presse de statistiques agrégées potentiellement dommageables pour l’image des parlementaires », écrit Noëlle Lenoir (par ailleurs avocate d’affaires).

À l’appui de sa démonstration, elle cite un article du tabloïd The Sun de mai 2013, ayant rapporté que les députés avaient acheté pour 320 000 euros d’alcool sur une seule année – des révélations qu’elle juge visiblement déplacées. De même qu’elle raille le « projet de ranger parmi les dépenses non remboursables l’achat des biscuits accompagnant la tasse de thé que (les députés) offrent à leurs visiteurs »« La transparence totale ne met pas fin à la suspicion, tranche Noëlle Lenoir. Elle peut même l’entretenir en ouvrant la voie à des commentaires aussi désobligeants qu’absurdes. » Bizarrement, son rapport ne fait aucune allusion aux élus pris la main dans le sac grâce à l’IPSA.

Fort de ces conclusions, le bureau de l’Assemblée ne devrait pas importer de sitôt le système britannique. Il faut dire que le français a le mérite de la simplicité : les députés encaissent chaque mois une « indemnité de frais de mandat » de 5 700 euros censée couvrir leurs charges professionnelles (IRFM), sans qu’aucun contrôle ne soit jamais déclenché sur leur destination réelle. Comme le rappelle Noëlle Lenoir, « son utilisation est réputée conforme à son objet » (sic).

Un dessin paru dans The Telegraph lors du procès de l'ancien député travailliste David Chaytor en 2011Un dessin paru dans The Telegraph lors du procès de l'ancien député travailliste David Chaytor en 2011 © DR

Aucune vérification n’est jamais entreprise non plus sur le travail des assistants dont le salaire est pris en charge par l’Assemblée (jusqu’à 9 500 euros par député), malgré la persistance de contrats de complaisance, voire d’emplois fictifs. Les parlementaires ne connaissent pas la peur du gendarme puisqu’il n’existe pas.

Cet automne, personne n’a par exemple bougé le petit doigt à l'Assemblée après nos informations sur l’emploi possiblement fictif de l’épouse de Bruno Le Maire, rémunérée pendant des années aux frais du contribuable

Une photo du couple parue en 2011 dans Paris MatchUne photo du couple parue en 2011 dans Paris Match © DR

Si l’association anticorruption Anticor réfléchit à l'opportunité de déposer plainte pour « détournement de fonds publics » à la prochaine affaire d’IRFM utilisée à des fins personnelles, les seules plaintes récemment enregistrées ont visé non pas les parlementaires suspectés d’abuser de l’argent public, mais les lanceurs d’alerte qui ont alimenté les révélations de presse.

Ainsi le député Pascal Terrasse (PS) avait-il déposé plainte en 2012 pour « vols de relevés bancaires », après la publication par Mediapart de pièces prouvant qu'il réglait des vacances en famille ou des places de cinéma avec son IRFM. Le parquet de Privas avait aussitôt ouvert une enquête préliminaire susceptible d’aboutir à l’identification de nos sources. Recontacté en septembre dernier pour savoir où en étaient les investigations, Pascal Terrasse nous a heureusement déclaré avoir « retiré sa plainte ». Mais il n’aura jamais été inquiété, ni par la justice, ni par la questure de l’Assemblée (les services financiers). 

De même, en 2011, après une série de révélations de Mediapart sur le train de vie des sénateurs (lire ici ou ), le Palais du Luxembourg avait déposé plainte pour « vol de documents » et « abus de confiance » dans le seul but de traquer et tarir nos sources, sans même envisager une seconde d'attaquer le sénateur Jean-Marc Pastor (PS), dont nous venions de révéler qu’il avait fabriqué deux fausses factures de restaurant pour empocher 2 500 euros. Lui non plus n’a jamais été poursuivi – tout juste nos articles l’ont-ils contraint à reconnaître une « erreur d’appréciation » et à rembourser.

Pendant ce temps, le fait pour un parlementaire de fournir une fausse note de frais est devenu une infraction à part entière au Royaume-Uni, punie d’un an de prison. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Tribute to Led Zeppelin


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles