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Mères voilées en sortie d’école: l’avis alambiqué du conseil d’État

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Les mères portant un foulard doivent pouvoir accompagner les sorties scolaires… sauf si le « bon fonctionnement » du service public est perturbé : telle est la position que le conseil d’État vient de transmettre, lundi 23 décembre, au Défenseur des droits, Dominique Baudis, qui l’interrogeait sur ces situations, à l’origine de peu de conflits dans les faits, mais de nombreuses interrogations et hésitations de la part des chefs d’établissement. À la demande de clarification juridique, la haute juridiction a répondu, à la suite d’un débat houleux qui l’a conduit à revoir la mouture initiale de son texte, par plus de complexité, tant et si bien qu’elle laisse la porte ouverte à des interprétations contradictoires.

Voici ce document :

 

Depuis la signature d’une circulaire de 2012 par le ministre de l’éducation nationale d'alors, Luc Chatel, l’interdiction, dans les textes tout du moins, prévaut. Mais sur le terrain, les décisions varient d’une école à l’autre. Le conseil d’État, appelé à préciser les frontières entre les missions de service public et les missions d’intérêt général, après l’arrêt controversé de la Cour de cassation sur l’affaire Baby-Loup, argumente en deux temps. En accompagnant des sorties scolaires, les parents d’élève collaborent ou participent d’une certaine manière au service public, mais leur fonction ne correspond à aucun statut juridique existant. « Même si de nombreuses personnes, qui peuvent ne pas être des agents du service public, sont parfois amenées à collaborer ou à participer à ce service, ni les textes, ni la jurisprudence n’ont identifié une véritable catégorie juridique des collaborateurs ou des participants au service public, dont les membres seraient soumis à des exigences propres en matière de neutralité », indique le conseil d’État dans son étude de 35 pages, adoptée en assemblée générale le 19 décembre 2013.

Les mères sont donc, en droit, considérées comme des « usagers » du service public. Elles ne sont par conséquent, « en principe », pas soumises à l’obligation de neutralité religieuse et peuvent, si elles le souhaitent, exprimer leurs opinions ou leurs croyances religieuses. Selon le conseil d’État, qui reprend l’état actuel du droit, dans certains cas, des restrictions sont toutefois susceptibles d’être apportées afin d’assurer « le maintien de l’ordre public et le bon fonctionnement du service public ». La charte de la laïcité dans les services publics, par exemple, demande aux usagers de s’abstenir de toute forme de prosélytisme. Il en découle que les parents d’élèves qui participent à des déplacements ou à des activités scolaires peuvent se voir « recommander par l’autorité compétente de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

Autre situation sensible : les élèves des établissements publics d’enseignement du second degré ne peuvent bénéficier individuellement d’autorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un culte ou la célébration d’une fête religieuse, sauf si ces absences sont « compatibles avec l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études et avec le respect de l’ordre public dans l’établissement ».

Dans un cas comme dans l’autre, avec cet avis, les chefs d’établissement se retrouvent plus que jamais livrés à eux-mêmes. À partir de quand le « bon fonctionnement » du service public est-il mis en cause ? Est-ce une question de taille du foulard, de couleur, d’attitude de la personne qui le porte, d’inquiétudes éventuelles des autres parents ?

Pour le ministère de l’éducation nationale qui a publié un communiqué dans la foulée de la diffusion de l’étude, le conseil d'État ne remet pas en cause la circulaire Chatel : « Le milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé. Ainsi s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, ils doivent faire preuve de neutralité dans l’expression de leurs convictions, notamment religieuses. C’est ce qu’indique la circulaire du 27 mars 2012 dont l’application est mise en œuvre sur le terrain avec intelligence, en privilégiant toujours d’abord la voie du dialogue. Cette circulaire reste donc valable. »

Sauf que cette circulaire n’invite nullement au dialogue. En mars 2011, Luc Chatel alors ministre de l’éducation nationale soutient publiquement une directrice d’école primaire de Pantin, en Seine-Saint-Denis, qui a empêché une mère voilée d’accompagner une sortie scolaire quelques mois plus tôt. À la rentrée, il publie donc une circulaire qui stipule que les principes de laïcité « permettent notamment d'empêcher que les parents d'élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu'ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ».

Jusque-là, la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires à l’école n’avait pas statué sur les accompagnateurs occasionnels. Interpellé sur le sujet en 2008, Xavier Darcos, prédécesseur de Luc Chatel, avait assuré que la législation ne concernait pas « les parents d'élèves intervenant bénévolement dans le cadre du service public de l'enseignement ». Pour le ministre, ils ne pouvaient « être soumis à aucune réglementation particulière concernant leur tenue ».

Depuis son arrivée rue de Grenelle, Vincent Peillon louvoie sur cette question. Il n’abroge pas la circulaire Chatel et surtout évite de prendre position parce que, explique-t-il sur le plateau de Mediapart cinq mois après sa prise de fonction, il ne veut pas « nourrir, en tant que ministre de l’éducation nationale, la machine dont se sert aujourd’hui Marine Le Pen en faisant une déclaration. Mais je fais une très grande confiance aux enseignants sur le terrain pour discriminer les situations qui demandent d’aborder les choses avec intelligence. Sans provoquer les vexations des enfants ».

Face au sociologue et historien Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité, qui vient alors de publier la Laïcité falsifiée, il explique que « l’utilisation idéologique d’une notion contre elle-même, (…) cette dérive de la laïcité devenue une arme anti-musulman et donc un instrument du racisme a beaucoup compté » dans son projet d’enseigner la morale laïque à l’école. Il pointe, en référence à l’ouvrage de Jean Baubérot, « les défaillances de la gauche » ouvrant un boulevard à la droite et au Front national sur la laïcité.

La charte de la laïcité, voulue par Vincent Peillon, publiée à la rentrée 2013 et désormais affichée dans toutes les écoles, rappelle l’obligation de neutralité dans l’enceinte scolaire. Mais elle évite soigneusement de se prononcer sur la question des mamans voilées (lire notre article).

« Ce texte n’a rien réglé. Ceux qui considéraient avant que les mamans voilées ne devaient pas accompagner les sorties scolaires se sont sentis confortés par la charte alors qu’elle ne dit rien là-dessus, les autres directions d’école, la grande majorité à Montreuil, continuent d’accepter ces mamans », raconte Anissa Fathi du collectif Mamans toutes égales.

De fait sur le terrain, les situations sont extrêmement contrastées. Les directions d’école appliquent avec plus ou moins de zèle la circulaire Chatel et parfois pas du tout comme à Montreuil où la quasi-totalité des écoles s’en affranchit. Au Blanc-Mesnil où s’est créée l’association Sorties scolaires avec nous, la majorité des établissements, explique Khadija Souiri, membre de l’association, a à l’inverse décidé d’interdire aux mamans voilées les sorties et voyages scolaires. « Nous sommes très déçus. Nous espérions que le conseil d’État annulerait la circulaire Chatel. En fait pour nous c’est comme si rien ne s’était passé. Je ne pourrai toujours pas accompagner mon fils en sortie », assure-t-elle.

Ces derniers mois les litiges sur cette question se sont multipliés. Le Défenseur des droits a été saisi d’une vingtaine de cas depuis 2011. Le mois dernier, comme le rapportait alors Le Courrier picard, un goûter de Noël a par exemple été annulé dans une école à Méru dans l’Oise parce que la directrice a refusé qu’une maman voilée participe à la préparation de la fête, provoquant la colère de certains parents.

Si l’avis du conseil d’État ne va rien changer à ces situations, au ministère de l’éducation nationale, où l’on craignait par-dessus tout que s’ouvre une nouvelle polémique, une semaine après le tollé provoqué par le rapport sur l’intégration remis à Matignon, c’est donc le soulagement qui domine.

 

BOITE NOIREL'article a été complété au fur et à mesure de l'après-midi pour intégrer les éléments nouveaux.

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