Alors que la préfecture de Loire-Atlantique s'apprête à publier des arrêtés préfectoraux ouvrant la voie au démarrage des travaux (voir ici), des chercheurs s’inquiètent des dommages irréversibles à l’environnement que causera la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Si un grand nombre d'espèces sauvages, dont certaines sont protégées, dépendent des 1 600 hectares concernés, l'homme ne serait pas le dernier à en subir les conséquences. Car en plus d'abriter une agriculture extensive, durable et importante pour l'économie de la région, le terrain est un important réservoir d'eau de bonne qualité. Il est aussi le théâtre de processus naturels de dépollution et de filtration. La destruction de ce patrimoine naturel aggravera la situation d'une Bretagne qui souffre de l'insalubrité de son eau.
C’est l'alerte envoyée par des chercheurs réunis à Paris début décembre lors d’un colloque sur la compensation écologique (voir ici). Le projet de Notre-Dame-des-Landes y occupait une place particulière, car sa réalisation impliquerait la première expérimentation à grande échelle de ce procédé.
La compensation écologique consiste à évaluer point par point la dégradation de l'environnement et à la “réparer” par des actions menées ailleurs. La méthode, appliquée dans le bocage nantais, s'appuie sur la création d'une unité arbitraire. Une valeur chiffrée est attribuée à chaque parcelle de terrain en fonction de son état, de sa superficie et de son importance intrinsèque pour l'environnement. Le préjudice environnemental causé par le chantier peut ainsi être exprimé en points. Parallèlement, dans un autre écosystème, les bénéfices d'opérations de restauration sont eux aussi quantifiés. La compensation est jugée effective si le second total dépasse le premier.
Concernant Notre-Dame-des-Landes, que ce soit pour les espèces qu'elle abrite ou pour son rôle dans le cycle de l'eau, la zone concernée par l'aéroport est unique. « Tout n'est pas compensable ! » avertit Geneviève Barnaud, chercheuse au Muséum national d'histoire naturelle. Et elle craint que ces théories ne rendent acceptable la dégradation d'écosystèmes pourtant irremplaçables.
Plus généralement, pour beaucoup d'écologues, la méthode est déraisonnable dans son principe. D'abord, elle suppose que l'on peut quantifier l'état d'une parcelle de terre, pourtant complexe et polymorphe. Ensuite, la création d'une unité arbitraire met sur un même plan des choses incomparables, comme la disparition d'une espèce et la destruction d'une mare. Par ailleurs, le concept même de compensation suggère que les écosystèmes et leurs fonctions sont dé-localisables.
Laurent Pimeront, président de CDC biodiversité, la branche de la Caisse des dépôts spécialisée dans l’économie de la nature, s'est évidemment montré plus enthousiaste. Son entreprise est la première banque d'actifs environnementaux en France. Le capital sert à acheter des terrains détériorés, et à les restaurer par des opérations de génie écologique. Ceux-ci, après validation de l’État, ont une valeur légale : leur rachat par des maîtres d'ouvrages comptera comme la mise en place d'une mesure compensatoire. On parle de compensation « par l'offre », car les parcelles sont d'abord restaurées puis proposées aux acheteurs potentiels. « Notre rôle n'est que celui du garagiste à qui on amène une voiture dont l'aile est froissée ; nous tâchons de réparer au mieux les dégâts », a-t-il déclaré.
Ce n'est pas l'avis d'Anthony Olivier (Naccica, Nature et citoyenneté en Crau, Camargue et Alpilles, une association de défense et de protection du patrimoine naturel local) et d'Arnault Bechet (Tour du Valat, un centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes). Ils ont d'une part dénoncé la faiblesse de la compensation proposée par CDC biodiversité : « Opérations de génie écologique aux résultats incertains », « faibles ratios », entre la surface dédiée à la compensation et la surface détériorée par le projet, « manque général de science » dans le processus... Surtout, ils ont cherché à alerter sur la démarche de compensation par l'offre.
Il ne s'agit pas ici de compenser un préjudice avéré, mais de l'anticiper par la création d'unités compensatoires. Certains craignent une incitation au préjudice environnemental, voire une course à la compensation bon marché.
Au-delà de la qualité de la prestation, vendre ainsi des services écologiques à la criée est tout le contraire de la défense de l'environnement. C'est plutôt dédaigner la singularité de chaque écosystème, et légitimer leur destruction. Les chercheurs déplorent un cas supplémentaire de « marchandisation de la nature ». Cela s'inscrit au sein d’une tendance internationale à vouloir réguler les atteintes à l’environnement par le marché.
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