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Le maire d'Arles est accusé de jouer un sale tour aux Rencontres photos

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Le 29 novembre dernier, la fondation Luma de la mécène Maja Hoffmann, héritière des laboratoires suisses Roche, a acquis 10 hectares situés sur d’anciens ateliers SNCF, à proximité du centre-ville d’Arles, pour y bâtir une tour de 56 mètres de haut signée Franck Gehry. En déplacement dans la ville en juillet dernier, le président de la République, François Hollande, s’était déclaré « impressionné » par ce projet, en soulignant qu’il n’en existait pas d’autre « de cette dimension en Europe ».

Hollande visite la maquette de la fondation LumaHollande visite la maquette de la fondation Luma © Fondation Luma, Lionel Roux

La mairie communiste de cette municipalité touchée de plein fouet par la désindustrialisation, où le taux de chômage dépasse les 15 %, a mis en veilleuse sa défiance à l’encontre du grand capital. Pour le maire, Hervé Schiavetti, tel qu'il le formulait lors du conseil municipal du 26 novembre dernier : « Aucune autre ville moyenne d’Europe ne bénéficie de tels projets (...) Dans les années à venir, le Parc des Ateliers sera un formidable accélérateur de projets, d’initiatives, d’emplois. »

La mairie se réjouit donc ouvertement de la manne de 100 millions d’euros d’investissements promise par la riche héritière, en rêvant d’un « effet Bilbao » comparable à l’attrait touristique et aux retombées sur l’économie et l’image de la ville produite par le musée Guggenheim, construit par le même Franck Gehry dans la capitale du Pays basque espagnol. Pour Cyril Juglaret, future tête de liste de l’opposition municipale en cette période pré-électorale qui aiguise les tensions, « ce bon vieux maire communiste qui, tous les jours que Dieu fait, crache sur le privé n’a eu, en l’occurrence, aucun état d’âme ».

Maquette de la tour GehryMaquette de la tour Gehry © DR

Le débat aurait pu en rester à quelques esclandres en conseil municipal, à des polémiques sur le caractère énergivore de la tour Gehry ou à des controverses sur la cascade d'inox qui recouvre le devant de la tour et le choix d'un architecte star mais qui n'est plus aussi innovant qu'il l'a été. Mais François Hebel, le directeur des Rencontres internationales photographiques d’Arles, a annoncé sa démission, arguant que le projet de la fondation Luma menaçait la pérennité de ce festival emblématique de la ville, en s’installant sur l’ensemble des anciens ateliers SNCF, qui constituent le cœur des Rencontres photos. 

Dans une longue lettre datée du 29 octobre, François Hebel estime, au sujet de ces anciens ateliers, qu’il « est clairement énoncé que la Fondation Luma en étant propriétaire, il ne sera plus possible d’y exposer sur la même surface, dans la même liberté artistique et sans loyer, si tant est qu’il soit possible d’y exposer tout court puisqu’il nous est dit, par exemple, que nous en serons totalement exclus en 2016 ».

Version contredite par la fondation Luma, par la voix de Mustapha Bouhayati, porte-parole de Maja Hoffmann, qui fait part de sa « totale incompréhension », puisqu’il « n’a jamais été question de remettre en cause la liberté éditoriale des Rencontres. Nous avons assuré à plusieurs reprises François Hebel de notre volonté de mettre à disposition, à titre gracieux, plusieurs milliers de mètres carrés pendant la durée des travaux. Quant au loyer qu’il faudrait payer ensuite, nous nous sommes engagés à augmenter la dotation de la fondation Luma aux Rencontres d’autant. La fondation est partenaire et mécène des Rencontres depuis des années. Il serait totalement illogique d’être mécène d’un côté et de ponctionner de l’autre ».

Photographie de la maquette de la tour GehryPhotographie de la maquette de la tour Gehry

Les fondateurs et les membres du CA du festival photographique ont tout de même signé, le 20 novembre dernier, une tribune dans Le Monde, estimant que « les Rencontres sont, de fait, mises à la porte de leur lieu d'élection. Douze ans d'investissements consentis par elles afin d'équiper ces bâtiments pour l'accueil du public seront perdus ». Ils jugent également que les propositions de relogement faites par la ville sont trop exiguës et nécessitent des rénovations trop longues et coûteuses.

Le festival craint surtout de devenir trop dépendant d’un opérateur privé, quels que soient l’attachement affectif et le soutien financier que Maja Hoffmann a pu montrer jusqu’ici pour les Rencontres. Dans sa lettre, François Hebel écrit ainsi : « Je ne pense pas souhaitable de mettre tout en œuvre, ainsi que cela se dessine, pour que le seul recours soit de précipiter les Rencontres dans les bras d’une fondation privée, quelle qu’elle soit. »

En guise de riposte, le maire d’Arles a livré une déclaration commune avec la fondation Luma, relative à la mise à disposition d’espaces (le texte est à lire ici) mais qui ne contient pas d’engagement juridique et demeure flou sur la période d’après travaux puisqu’il y est écrit que, « pour l’année 2017 et au-delà, le Fonds de dotation Luma/Arles étudiera avec les Rencontres la faisabilité d’accorder une place régulière aux Rencontres d’Arles sur le Parc des Ateliers et de favoriser la mise en synergie des différents lieux du site, tout en privilégiant les identités propres à chacun des partenaires ».

La brouille entre François Hebel et Maja Hoffmann est récente puisque c’est le directeur aujourd’hui démissionnaire qui a fait entrer cette représentante d’une des principales familles de mécènes européens au CA des Rencontres, dont elle est une donatrice essentielle depuis 2002, et qu’il était lui-même, pendant plusieurs années, conseiller tout à fait officiel de Maja Hoffmann, y compris sur le projet de Parc des Ateliers, même si ses fonctions avaient pris fin en 2009.

Mais au-delà des versions contradictoires de la fondation Luma et des Rencontres sur les négociations des derniers mois se pose une question singulière : pourquoi la ville d’Arles et la région PACA, propriétaire du site des ateliers jusqu’à la vente du 29 novembre dernier, ont-elles pris le risque de mettre en danger un festival qui a attiré 100 000 visiteurs cette année et constitue un pivot économique et touristique de la ville, pour satisfaire tous les contours d’un projet dont le contenant pensé par Franck Ghery est aussi ambitieux que le contenu demeure flou ?

Même si, au sortir du conseil d'administration des Rencontres qui s'est tenu lundi 16 décembre, le maire d'Arles, Hervé Schiavetti, réaffirme que « la pérennité des Rencontres est assurée », plusieurs voix s'élèvent contre ce qu'ils considèrent être un blanc-seing donné par la municipalité à la fondation privée.

« Si je compare avec un autre bâtiment de Franck Gehry, celui construit pour la fondation Vuitton dans le bois de Boulogne, il y a une direction artistique et un véritable programme qui n'existent pas à Arles », juge ainsi François Barré, ancien président des Rencontres photographiques et ancien directeur de l'architecture et du patrimoine au ministère.

« On fait les choses à l’envers, juge Cyril Juglaret, conseiller municipal d’opposition. À Bilbao, il y avait le fonds Guggenheim et on a construit un bâtiment pour cela. Ici, on construit sans savoir ce qu’on va mettre dedans. » David Grzyb, l’adjoint au maire en charge de l’urbanisme reconnaît qu’il demeure « une grande question mystérieuse : qu’est-ce qui va y être proposé ? La ville s’est trop peu intéressée à ce dossier. À mon sens, Maja Hoffmann nous aurait proposé de construire une tour Eiffel à l’envers, on aurait dit : "Madame, c’est formidable !" »

À lire les rares déclarations publiques émanant de la fondation Luma, il s’agit d’abriter les collections de Maja Hoffmann et d’autres venant de sa famille, ainsi que les « archives » de cette fondation qui est toute jeune et ne doit pas en avoir tant que ça. Pas vraiment de quoi remplir une tour de 56 mètres de haut, qui deviendra l’immeuble le plus monumental de la ville…

Mustapha Bouhayati précise toutefois que si la tour Gehry, qui devrait aussi contenir des salles de séminaire et de nombreux bureaux, ne sera pas un lieu d’exposition, il faut la concevoir « dans l’ensemble du Parc des Ateliers, où les bâtiments sont en tension et relation les uns avec les autres. C’est un bâtiment fort et phare, un centre névralgique, qui irradiera sur les espaces d’exposition », à savoir les différents bâtiments de la friche industrielle laissée par la SNCF, en particulier la grande Halle et le bâtiment des Forges, que la fondation Luma promet de réhabiliter, et dont Mustapha Bahayati maintient qu’il a « toujours été question pour nous que les Rencontres en bénéficient ».

Aurélie Filippetti devant la maquette de la tour GehryAurélie Filippetti devant la maquette de la tour Gehry © Ville d’Arles, Patrick Mercier

Une déclaration d’intention qui semble n’avoir pas totalement convaincu la ministre de la culture, Aurélie Filippetti. Dans un entretien au journal La Marseillaise, daté du vendredi 29 novembre, elle s’affirmait en effet prête à envisager le déplacement des Rencontres dans une autre ville, alors même que l’État finance pourtant, dans le même temps, le relogement de l’école de photographie d’Arles à proximité du futur Parc des Ateliers.

Ce coup de pression mis sur les collectivités territoriales pour qu’elles s’engagent auprès des Rencontres a mis le feu au poudre, au point que l’entretien s’est mystérieusement volatilisé du site internet du journal, seulement une heure après la mise en ligne (il a de nouveau été mis en ligne trois jours après, au nom du fameux effet Streisand), comme le relate sur son compte Facebook Cyril Juglaret en donnant accès à une photocopie de l'entretien original. 

Face à cette situation, le photographe Lucien Clergue, fondateur des Rencontres, témoigne de son « immense tristesse devant ce micmac épouvantable ». Si personne ne veut faire fuir les investissements et les retombées en termes d'image et d’emploi du projet Luma, beaucoup s’inquiètent, à l’instar de Lucien Clergue, de « l’ambiguïté de la municipalité et de la manière dont un maire communiste se met à genoux devant le grand capital ».

« J'étais ami avec Hervé Schiavetti et c'est quelqu'un d'intègre. Mais en cette période électorale, je suis navré de découvrir quelqu'un de fasciné par la puissance d'intervention du privé, quels que soient les risques pour les Rencontres, alors que François Hébel a réussi à faire avec Arles et la photographie l'équivalent de ce qui existe pour Cannes et le cinéma ou Angoulême et la BD », déplore François Barré.

Du côté de la mairie, on préfère s'étonner des critiques : « Faudrait-il refuser un projet extraordinaire pour la ville, son avenir et tous ses acteurs culturels, parce que c’est de l’argent privé ? C’est un projet en plus, qui s’additionne à tout ce qui existe déjà. Ce n’est pas un projet qui remplace quelque chose, cela vient en renfort du reste. »

Au-delà du prochain départ d’un directeur qui a su faire d’un festival qui vivotait à son arrivée en 2001, avec moins de 10 000 visiteurs, un succès économique et un rendez-vous majeur, à la fois régionalement et internationalement, c’est pourtant la question d’une forme de privatisation de la culture qui se pose, à l’heure de l’austérité budgétaire.

Pour le maire d'Arles, Hervé Schiavetti, l'idée d'une privatisation rampante de la politique culturelle de sa ville n'a strictement aucun sens : « Une politique culturelle est faite par des institutions à la fois publiques et privées, ou bien qui reçoivent des financements à la fois du public et du privé, comme c'est le cas des Rencontres photographiques, par exemple. »

Selon lui, il ne s'agit pas non plus d'une privatisation bradée du domaine public, puisque « la fondation Luma a payé le mètre carré au prix classique pour une ZAC de ce type ». Et l’AREA (l’Agence régionale d’équipement et d’aménagement de la région PACA, qui avait acquis les terrains auprès de la SNCF et opérait la vente) confirme que les 12 millions d’euros dépensés par la fondation Luma  ont « pris en compte l’estimation des domaines ».

La somme paraît toutefois mesurée puisqu'elle est inférieure, pour l'ensemble du site, aux 20 millions que la région a engloutis ces dernières années pour la seule grande halle, cette « cathédrale industrielle rénovée sans projet ni programme », dixit Louis Sayn Urpar, conseiller municipal de l’opposition, qui pointe le fait « que le projet Luma s’est imposé sans concurrence, sans qu’on ait même commencé à penser à d’autres possibilités ».

C’est là qu’intervient la figure tutélaire du président socialiste de la région PACA, Michel Vauzelle, ancien maire d’Arles, qui n’a eu de cesse, quand il était premier édile puis président de région, de bâtir un grand projet culturel pour sa ville d’adoption. Ce fut d’abord le Médiapôle, qui a fait pschitt en même temps que la bulle internet, puis cette grande halle dotée, sur son toit, du plus grand écran numérique d’Europe, de 3 000 m2, qui n’a quasiment jamais fonctionné.

La manière dont la région a livré à un opérateur privé porteur d’un projet prestigieux mais flou les dix hectares de la ZAC des ateliers, sans mise en concurrence, ressemble fort à la volonté de voir surgir, enfin, à Arles, le grand projet rêvé par Michel Vauzelle, en l’occurrence sous la forme d’une tour signée Franck Gehry.

En dépit du risque de fragiliser les Rencontres et au point que certains pouvaient ces derniers jours se laisser aller à des scénarios ubuesques : « Si j’étais mauvaise langue, je dirais qu’il y a, à Marseille, une coquille vide à remplir qui serait contente d’accueillir les Rencontres », explique ainsi Cyril Juglaret en désignant la Villa Méditerranée, projet pharaonique voulu par la région PACA, et son président, à proximité du MUCEM, et dont le contenu et l’usage demeurent pour le moins vagues.

La Villa Méditerranée au premier plan et le MUCEM au fondLa Villa Méditerranée au premier plan et le MUCEM au fond © Fabien Hermerel

Si les collectivités territoriales auraient eu des difficultés à bouder la manne providentielle de la fondation Luma, qui avait accepté de revoir le projet Gehry après un premier avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France, l’affaire illustre toutefois une forme spécifique de l’habitude, répandue ailleurs, de socialiser les pertes et de privatiser les profits, même quand ceux-ci ne désignent pas des transferts d'argent mais plutôt du capital culturel.

En effet, les collectivités territoriales, et notamment la région, ont lourdement investi pour la réhabilitation de la grande halle et François Hebel peut à juste titre affirmer, dans sa lettre, avoir inventé « des lieux, au premier rang desquels les ateliers du chemin de fer, dont j’ai convaincu la SNCF d’envisager, bâtiment après bâtiment, une reconversion vers la culture ».

Mais c’est un opérateur privé, la fondation Luma, même si elle affiche les meilleurs intentions et promet un investissement hors d’atteinte pour n’importe quel opérateur public, qui va engranger au premier chef les dividendes symboliques de cette immense opération de reconversion d’un patrimoine industriel en espace culturel.

Ce, dans un contexte où Maja Hoffmann a également racheté deux des plus beaux hôtels de la ville et où son père, Luc, figure locale qui a dépensé sans compter pour la préservation de la faune et de la flore de Camargue, a aussi racheté et rénové les anciens locaux de la Banque de France pour y permettre le déménagement de la fondation Van Gogh remise à neuf, qui pourrait, à terme, également revenir dans le giron de Maja Hoffmann.

Toutefois, au sortir du comité d’administration qui s’est tenu pendant quatre heures lundi 16 décembre, Jean-Maurice Rouquette, co-fondateur des Rencontres avec Lucien Clergue voilà plus de 40 ans, se veut rassurant sur l’avenir : « Il y aura une édition 2014 dirigée par François Hébel, puis on lui trouvera un successeur. Vous savez, Arles a déjà 2600 ans d’histoire, alors l’histoire continue. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Donnedieu de Vabres ne dément plus avoir touché de l’argent de Takieddine


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