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Naufrage en Méditerranée: nouvelle plainte contre l’«omerta»

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Plus de deux ans après la tragédie à l’origine du décès de 63 migrants en mer Méditerranée en avril 2011, les survivants cherchent toujours à faire éclater la vérité sur ce qui leur est arrivé, et notamment l’abandon dont ils estiment avoir fait l’objet de la part de militaires intervenant dans le cadre de la guerre en Libye. Selon plusieurs associations, qui ont organisé une conférence de presse le 18 juin à Paris, deux d’entre eux ont déposé plainte pour non-assistance à personne en danger devant le tribunal de grande instance de Paris et devant l’Audiencia nacional à Madrid, visant la responsabilité des armées française et espagnole.

Une première plainte, déposée en France en avril 2012, a été classée sans suite. La spécificité de la nouvelle procédure est que des ONG – le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et Migreurop – se sont constituées parties civiles, ce qui devrait conduire à l’ouverture d’une instruction pénale.

«Des personnes sont mortes, alors qu’il était possible de les sauver (…). On ne peut pas en rester là», a insisté Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH, rappelant que preuve avait été faite que des bateaux militaires, mais aussi des embarcations de pêcheurs avaient été signalés à plusieurs reprises au cours de l’odyssée des migrants, partis des côtes libyennes en direction des côtes italiennes qu’ils n’ont jamais réussi à atteindre, leur canot pneumatique ayant erré plusieurs jours avant d’être rabattu par le vent sur les côtes libyennes.

Une plainte a été déposée le même jour à Madrid en Espagne pour «crime de guerre par non assistance à personne en danger», a indiqué l’avocat Gonzalo Boye.

Un des rescapés, Abu Kurke, un Éthiopien de 25 ans aujourd’hui réfugié aux Pays-Bas, a décrit son calvaire: «J’ai quitté mon pays en 2007 pour des raisons politiques. Je suis allé au Soudan pendant deux ans, puis en Libye. J’ai essayé de rejoindre l’Europe, mais j’ai été enfermé en prison pendant huit mois. En 2011, j’ai de nouveau essayé de quitter ce pays, car la situation était dangereuse. On a payé de l’argent et on a eu ce bateau. Avant le départ, les militaires nous ont pris tous nos vivres. Je ne voulais plus partir parce que de nouvelles personnes étaient arrivées, le bateau était trop petit. J’avais peur, c’était dangereux, mais les militaires nous ont tiré dessus pour nous empêcher de fuir.»

La traversée tourne rapidement au drame: «Le premier jour, ça allait, mais le deuxième, ça a été très difficile, on était trop nombreux. Un hélicoptère nous a lancé de l’eau et des biscuits. On a fait des signes pour dire qu’on avait besoin de plus, on a levé un bébé, pour leur montrer. Quelqu’un dans l’hélicoptère a pris des photos et a fait des gestes pour nous dire qu’ils allaient revenir. Jamais ils ne sont revenus. On a vu ensuite beaucoup de bateaux militaires et de pêche, mais personne n’est venu nous aider.»

Il raconte l’hécatombe: «Au bout d’une semaine, il n’y avait plus rien à boire ni à manger. Les gens sont morts de faim ou de soif, d’autres ont été emportés par les vagues. Certains ont bu l’eau de mer alors qu’ils n’auraient pas dû. Des personnes plus robustes que moi sont décédées. J’ai pu survivre grâce à Dieu. Aussi parce qu’on avait gardé des bouteilles vides qu’on a remplies d’urine et qu’on a mangé du dentifrice Colgate. À cause des odeurs, nous avons dû jeter les corps à la mer.»

Président du Gisti, Stéphane Maugendre regrette que, lors de la première plainte, le parquet se soit contenté d’une déclaration lacunaire du ministère français de la défense selon lequel sa responsabilité est écartée car, d’une part, ses forces n’étaient pas présentes dans la zone de navigation du canot et, d’autre part, elles étaient sous commandement de l’OTAN. Ce à quoi l’avocat rétorque que «la première force à avoir repéré le bateau et à en avoir fait une photo est l’armée française» et qu'un éventuel commandement de l’OTAN n’exonère pas les États des leurs responsabilités.

«Les autorités françaises ont dit à plusieurs reprises que les opérations, les frappes en Libye étaient sous commandement de l’OTAN, mais pas le reste, donc les navires», a-t-il par ailleurs ajouté.

Mussie Zerai, le prêtre érythréen qui a été l’un des premiers à recevoir un message de détresse (lire notre reportage), a appelé les médias des pays concernés à briser l’«omerta» en obligeant les gouvernements de leurs pays respectifs à répondre aux questions en suspens et à assumer leurs responsabilités. «Les survivants ont tous vu des militaires prendre des photos et des films à bord des bateaux militaires. Des gens ont donc des informations. Le silence n'est plus tenable. Il est indispensable que les États disent ce qu’ils savent», a-t-il insisté. Les associations présentes ont rappelé que les garde-côtes italiens ont été prévenus de la détresse dans laquelle se trouvait l’embarcation et que des messages d’alerte avaient été adressés à l’OTAN et aux bâtiments naviguant en mer Méditerranée avec sa localisation.

En parallèle à ces actions en France et en Espagne, une plainte devrait être déposée en Belgique. Une procédure auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme est en vue en Italie, tandis qu'au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis, des demandes d'information ont été officiellement formulées.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Bons films


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