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La zizanie judiciaire empire chez les Uderzo

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L’heure n’est pas encore à la trêve judiciaire, au sein de la famille Uderzo. Vendredi, l’avocat de Sylvie Uderzo, la fille unique du dessinateur d’Astérix, a fait appel de l’ordonnance de non-lieu rendue le 10 décembre par deux juges d’instruction de Nanterre, conformément aux réquisitions du parquet, qui estiment qu’Albert Uderzo n’est pas victime d’abus de faiblesse.

« Ma cliente estime que des faits gravement préjudiciables ont bien été commis aux dépens de son père », explique à Mediapart l’avocat de Sylvie Uderzo, Nicolas Huc-Morel. Il reviendra donc à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles de dire si elle confirme l’ordonnance de non-lieu ou, dans le cas contraire, de retourner le dossier aux juges d’instruction, éventuellement en demandant un supplément d’information.

De son côté, Albert Uderzo a annoncé, le 2 décembre, l’envoi à sa fille et à son gendre d’une citation directe en correctionnelle pour « violences psychologiques ». « Nous avons décidé de faire comprendre à Sylvie Uderzo et à son mari que nous n’allons pas nous laisser faire », a déclaré ce jour-là l’avocat du dessinateur, Pierre Cornut-Gentille.

Albert UderzoAlbert Uderzo © Reuters

Alarmée par l’affaire Bettencourt, Sylvie Uderzo avait saisi le procureur de Nanterre d’une première plainte en février 2011, doublée d’une seconde avec constitution de partie civile en octobre de la même année. Elle accusait alors plusieurs membres de l’entourage de son père – un homme à tout faire, un avocat, un notaire et un expert-comptable – de profiter indûment des largesses du dessinateur, qui est âgé aujourd'hui de 86 ans.

Mediapart a pris connaissance de l’ordonnance de non-lieu rendue le 10 décembre par les juges Jean-Michel Bergès et Dominique Kirchner, un document de 25 pages qui synthétise plus de deux ans d’enquête.

Comme éléments de contexte, les juges font d'abord état de l’existence de « deux clans » au sein des éditions Albert René (EAR), société créée deux ans après la mort de René Goscinny, et détenue conjointement (à hauteur de 80 % pour la famille Uderzo et 20 % pour la famille Goscinny). Albert Uderzo avait donné 49,9 % de ses actions à sa fille en 2001. Sa santé ayant décliné, il s’est décidé à vendre ses parts à Hachette en 2008, suivi par Anne Goscinny, puis par Sylvie Uderzo en 2011. Mais entre-temps, la fille et le gendre d’Uderzo ont été licenciés de la société EAR, où ils travaillaient, et les dissensions se sont aggravées.

Selon les juges d’instruction, le patrimoine des Uderzo a en tout cas bénéficié de la vente à Hachette. Albert Uderzo et son épouse Ada perçoivent encore 1,4 million d’euros par an de droits d’auteur, après avoir vendu leurs parts 12 millions d’euros à Hachette en 2008, et avoir également touché 10 millions de « droits d’auteurs exceptionnels » à cette occasion. Ils sont à la tête d’un patrimoine important : un hôtel particulier à Neuilly, deux villas en Bretagne, une autre dans les Yvelines, trois Ferrari et des placements financiers importants. « L’actif net avait ainsi augmenté entre 2008 et 2009 pour se monter de 9,598 à 21,167 millions d’euros », exposent les juges.

Très agacé d’avoir à répondre aux questions des policiers et des magistrats, Albert Uderzo leur a indiqué que sa fille avait touché 13 millions d’euros pour la vente de ses actions à Hachette, ainsi qu’une donation de 4 millions. Il a également justifié les agissements des différentes personnes mises en cause : l’avocat Yves Sicard (décédé en 2011), le notaire Michel Mouchtouris (par ailleurs mis en examen pour plusieurs infractions), l’homme de confiance Jean-Claude Gouello, et l’expert comptable Armand Turquet (visé par une plainte de Sylvie Uderzo pour faux témoignage).

Albert Uderzo a déclaré être au courant de l’existence d’honoraires (280 000 euros de 2009 à 2012) perçus par Jean-Claude Gouello auprès des entreprises chargées d’effectuer des travaux somptueux dans ses différentes propriétés, sans toutefois en connaître le montant. Il a également justifié la cession à prix d’ami (30 000 euros) d’une Ferrari (initialement achetée 140 000 euros) à Michel Mouchtouris, ainsi que les copieux honoraires (189 500 euros en un an) versés à ce notaire pour des prestations à l’intérêt parfois discutable, comme la création de deux SCI pour les époux Uderzo « sans intérêt juridique au vu de leur régime matrimonial », mais facturée tout de même 60 000 euros.

Quant à l’expert-comptable Armand Turquet, les juges ne voient rien à lui reprocher, et notent qu’il ne réalisait que 5 % de son chiffres d’affaires avec la société EAR, et moins de 1,5 % avec la comptabilité personnelle des époux Uderzo.

Malgré quelques largesses et libéralités étonnantes, c’est l’expertise psychologique et psychiatrique d’Albert Uderzo qui a fini d'emporter la conviction des juges. En effet, selon les deux experts désignés, « Albert Uderzo ne présentait pas de troubles pathologiques dus au vieillissement ni à une atteinte des fonctions cognitives. Il était décrit comme un homme lucide, ayant une forte affirmation de soi. Il n’était pas en état de vulnérabilité, mais possédait une pleine capacité à prendre des décisions. Il avait une énergie et des performances mnésiques étonnantes au regard de son âge », écrivent les juges.

Sylvie UderzoSylvie Uderzo

Relevant l’existence d’une « animosité » entre Albert Uderzo et son gendre, les experts l’expliquent. « L’examen clinique démontrait que le sujet était affirmé, peu suggestible, parfaitement conscient de la réalité, ayant une certaine fermeté de caractère, l’amenant parfois à être inflexible, intransigeant. Il était peu plausible de le décrire comme un homme déprimé, affaibli ou sous influence, en particulier en ce qui concerne son œuvre. »

Les juges poursuivent la synthèse de cette expertise. « Le sujet avait une vivacité d’esprit surprenante alors qu’il répondait aux questions de deux interrogateurs. Personne ne pouvait profiter d’une morosité ou d'une lassitude éventuelle pour le pousser à laisser les autres s’occuper de ses affaires. Il ne souffrait pas de troubles de la mémoire ni de l’attention. Il avait cependant une orientation spatiale laborieuse. »

Entendue, après la remise de ce rapport d'experts, par les juges d'instruction, Sylvie Uderzo a maintenu que son père était sous influence, et que des aigrefins profitaient de leur brouille, qu'elle déplorait. Des propos qu’elle a répétés publiquement, le 4 décembre, sur l’antenne d’Europe 1.

Que la chambre de l’instruction de Versailles décide ou non de rouvrir ce dossier dans les semaines à venir, les avocats respectifs d’Albert Uderzo et de sa fille unique auront de toute façon l’occasion de se croiser : Nicolas Huc-Morel, l’avocat de Sylvie Uderzo, défend également Françoise Bettencourt-Meyers (la fille unique de Liliane Bettencourt), tandis que Pierre Cornut-Gentille, l'avocat d'Albert Uderzo, défend le photographe François-Marie Banier.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Souriez vous êtes espionnés!


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