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Ce que l'IGPN reproche aux policiers de la BAC nord

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Six policiers de l'ex-brigade anticriminalité de la division nord (BAC Nord), âgés de 34 à 52 ans, sont convoqués les 17 et 18 décembre 2013 devant le conseil de discipline à Marseille. Un septième le sera prochainement à Bordeaux. Il s’agit des cas les plus graves aux yeux l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, les autres s’étant soldés cet été par une vingtaine de sanctions allant du blâme à deux mois de suspension ferme.

Des policiers de la BAC contrôlent un suspect, à Paris, en mars 1998.Des policiers de la BAC contrôlent un suspect, à Paris, en mars 1998. © Philippe Wojazer/Reuters

Un an plus tôt, mi-décembre 2012, les sept policiers sortaient de prison, passés du statut de « super flics » à celui de « ripoux ». Sonnés après deux mois et demi de préventive et une mise en examen pour « vol en bande organisée, extorsion en bande organisée, acquisition, détention et transport non autorisé de stupéfiants ». À la surprise générale, les juges d’instruction les autorisaient à retrouver leur carte de police, à reprendre le travail (en dehors du département où s'étaient commis les délits) et à porter une arme. Aujourd’hui, plusieurs risquent la révocation pour « manquements graves » à la probité, à l’obéissance et à l’intégrité, au grand dam des deux syndicats de gardiens de la paix qui ont boycotté la première date prévue pour ce conseil, obligeant à son report. Unité Police SGP Fo et Alliance demandent d'attendre la fin de l'information judiciaire, ouverte en février 2012, pour statuer sur le sort professionnel de leur collègues.

Les faits établis par l’enquête disciplinaire, que Mediapart a pu consulter, sont très éloignés du « système organisé de vol, de racket et de trafic de drogue », décrit en octobre 2012 par le procureur de la République de Marseille. Dans la foulée, dix-sept policiers avaient été mis en examen et le ministre de l’intérieur avait dissous ce service, touché par la « gangrène », une mesure exceptionnelle à la hauteur du scandale. « Tout le monde s’est exprimé rapidement, de façon marquée, regrette une source proche du dossier. Le rapport de l’IGPN est beaucoup plus balancé et équilibré ». C'est la délégation lyonnaise de l'IGPN qui a pris en charge l'enquête administrative à partir de novembre 2012, la délégation marseillaise poursuivant sur le volet judiciaire.

La conférence de presse du procureur de Marseille, le 5 octobre 2012, filmée par Marsactu © Marsactu

À l'origine, il y a un fonctionnaire, Sébastien Bennardo, furieux d'avoir été écarté fin 2009 de la BAC Nord où il était jugé trop « chien fou ». Qualifié de « mythomane » par l’ancien chef de la division nord, le commissaire Jaffuel, Bennardo dénonce à plusieurs reprises, à partir d'avril 2010, les errements de ses anciens collègues. D'abord auprès du cabinet d'audit et de discipline de la direction de la sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône qui transmet un rapport au directeur départemental de la sécurité publique, Pascal Lalle (promu depuis directeur central par Manuel Valls), puis auprès de l'ex-commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Deux autres agents, évincés de la BAC, l’un après 5 blâmes en 9 mois, l’autre après avoir perdu son habilitation, confient des dérives similaires auprès du commissaire Anthony de Freitas, adjoint au chef de la Sûreté départementale. Là encore, un rapport est transmis en octobre 2010 à Pascal Lalle. Sans suite.

En octobre 2011, Bennardo, qui espère toujours réintégrer la BAC, finira par trouver un interlocuteur intéressé en Alain Gardère, tout juste nommé préfet délégué à la sécurité à Marseille. Dans son livre-témoignage, le policier raconte avoir été introduit auprès du préfet sarkozyste par un autre ancien de la BAC, Gilles Tachon, un flic trop sulfureux et poussé à la retraite anticipée. Selon un brigadier-chef entendu en audition administrative, Gilles Tachon considérait Bennardo comme « son “arme par destination” à l'encontre du directeur, Pascal Lalle », qu’il estimait « responsable de sa mise en retraite brutale ».

Gardère lance l’IGPN sur les traces des « ripoux » de la BAC Nord en court-circuitant son supérieur Pascal Lalle avec lequel il est en froid. Comme le raconte Le Monde, le directeur de la délégation interrégionale de l'IGPN, Didier Cristini, a également des raisons d‘en vouloir au DDSP, qui s’est plaint à Paris de la mauvaise qualité de ses enquêtes administratives. Le préfet Gardère et le commissaire Cristini voient-ils dans l’affaire des « ripoux » un moyen de faire tomber Pascal Lalle qui, alerté à plusieurs reprises de dérives au sein de la BAC Nord, n’a jamais saisi le procureur ? Toujours est-il que le 23 novembre 2011, alerté par Gardère, le procureur de la République de Marseille ouvre une enquête préliminaire qu'il confie à la délégation marseillaise de l’IGPN. Les sonorisations et les témoignages des trois anciens de la BAC, plantant le décor, feront le reste…

Quels sont les faits établis ? Un policier, piégé par une sonorisation, a reconnu, sans pouvoir expliquer son geste, un  vol de 540 euros prélevés dans une sacoche qu’aurait abandonné un dealer poursuivi. Il s’est ensuite vanté dans la voiture du forfait, sans que ses collègues ne réagissent. Au domicile d’un autre baqueux, ainsi qu'ils se nomment entre eux, perquisitionné le 2 octobre 2012, l’IGPN a trouvé une sacoche avec une vingtaine de barrettes de résine de cannabis. La sacoche était entreposée dans un cagibi – « pour ne pas les monter dans l’appartement », a précisé le jeune policier. Les sonorisations, son témoignage et celui de ses collègues racontent la même scène en date du 5 juin 2012 : un jeune homme coursé, interpellé dans une cage d’escalier, sans drogue ni argent sur lui, est donc relâché. En redescendant, le policier tombe sur la sacoche et les barrettes. Son chef de brigade l’autorise à les garder, « pour fournir un informateur » qui leur a déjà permis de faire de belles affaires. Dans le même registre, un baqueux tombe, lui, pour trois pochons d’herbe à 20 euros « récupérés dans une sacoche abandonnée ». Il assure en avoir donné deux à son informateur, qui le rencardait sur des vols avec violence, et avoir détruit le dernier.

Quoi encore ? Un policier de 52 ans, « à l’ancienne » selon un syndicaliste, a fourni à plusieurs reprises son voisin de HLM, fumeur de hashish, espérant lui extorquer quelques infos sur des vols et des garages fracturés dans le quartier. Dans le casier d’un autre, on retrouve deux sachets de résine (4 grammes) et des bijoux en « métal jaune » (dont la valeur n’a pas été estimée), « instinctivement » glissés dans la poche d’une veste d’hiver. Et oubliés là jusqu’à la descente de l’IGPN dans les vestiaires du commissariat de la BAC Nord le 2 octobre 2012.

En consultant les chiffres de la BAC Nord, l’IGPN s’est aperçue que sur les 22 affaires de stupéfiants réalisées entre juin et août 2012, moins de dix concernaient des petits porteurs de cannabis (moins de 20 grammes). « À l’évidence, soit les fonctionnaires de la BAC effectuaient peu de contrôle, soit les destructions sauvages de barrettes ou leur récupération étaient la règle, et la présentation à l’OPJ (officier de police judiciaire – ndlr) l’exception », conclut la police des polices.

Bref, des policiers obnubilés par la « chasse », qui, lorsqu’ils contrôlaient un fumeur, préféraient jeter les quelques barrettes trouvées dans une bouche d’égout ou les garder pour un indic. Et partir en quête d’un client plus prometteur plutôt que de ramener un “fumeur de chichon” au commissariat. Des flics qui récupéraient des sacoches larguées à terre par des dealers lors de course-poursuite sans faire de PV de découverte. Qui se partageaient les cigarettes de contrebande, les donnaient à des SDF ou les jetaient. « Dans certaines cités, du shit vous en avez partout, ça ne fait pas avancer l’enquête, a justifié l’un d’eux lors de son audition par l’IGPN. Et on ne va pas encombrer le quart (l’OPJ de permanence – ndlr) avec ça. Le but, c’est toujours l’efficacité et de réduire au maximum les activités administratives qui nous éloignent du terrain. Il fallait être un maximum sur le terrain pour remplir du quota.  »

La BAC Nord était une machine à chiffres, fournissant 4 500 des 11 500 interpellations annuelles réalisées par l'ensemble des services marseillais. Un autre policier précise, évoquant les quotas : « Le contrôle de l’activité se faisait essentiellement par le biais de la main courante, notamment celui des codes employés pour refléter l’activité. Il fallait que l’occupation de la voie publique apparaisse comme maximale, et ainsi éviter de mettre le code 441 (rédaction de procédures ) et le remplacer par 260 (interpellations). » Interrogé sur l’absence de main courante suite à la découverte de deux barrettes, un policier répond : « En fin de vacation cela sort de l’esprit. Dans les quartiers nord, voir deux barrettes est devenu banal. » À croire l’audition d’un de ses collègues, on retrouvait des boulettes jusque dans les véhicules de service. Pour la délégation lyonnaise de l’IGPN, l’hypothèse de simples « négligences » est cependant « mise à mal par certains éléments précédemment recueillis » et les « vols » sont un peu vite qualifiés de « récupération ». Son rapport de synthèse  évoque des pratiques « visiblement répandues, ne constituant sans doute que la partie émergée de l'iceberg ». Mais nulle preuve d'enrichissement personnel, de racket, ou encore de trafic de drogue.

La division nord dont les locaux ont été fouillés en octobre 2012 par l'IGPN.La division nord dont les locaux ont été fouillés en octobre 2012 par l'IGPN. © Reuters

À première vue, les sonorisations de six véhicules de la BAC versées au dossier disciplinaire sont accablantes. Il est question de « gros bonus », de « gros coups », de « beau trafic à faire », d’« arracher » des sacoches, de shit à « écouler », de « faire des affaires comme ça en dessous », de partage « à la colline », de fermer « nos gueules », de « régaler » des collègues, de manger « à ouf » (gratuitement). Comme l’indiquait le procureur de la République en octobre 2012, tout y passe, même la « mexicaine » (perquisition illégale) évoquée par un policier après une intervention particulièrement lamentable dans une cité*. 

En voiture, tournant dans les cités à la recherche du “flag” les policiers refont l’intervention, se racontent celle de la veille, narrent de vieux exploits et rêvent de « gros coups » à l'instar de ces agents chanceux qui auraient découvert « 8 000 euros sous la banquette de la voiture ». Trois kilos de résine saisis dans un local poubelle deviennent quatre ou cinq kilos dans une conversation entre collègues. « On a gonflé les quantités, c’était pour faire mousser le groupe, faire les malins alors qu’aucun d’entre nous dans la voiture ne faisait partie de l’équipage intervenu », se défendra un policier lors de son audition admnistrative. On évoque même le bon vieux temps de la BAC où il n’« y avait rien, pas de flashball, rien du tout : tout au poing, à la trique, à la gazeuse ». Les propos ambigus passent souvent la ligne jaune. Le 19 août 2012 par exemple, quatre baqueux plaisantent sur le « gros bonus » qu’ils auraient pu se faire, afin de partir ensemble en voyage.

« On l’avait le bonus, on l’avait sous les yeux, s’il n’y avait pas eu ce connard de… (nom de l’officier, chef de la BAC Nord – ndlr). »

(…)

– Une sacoche ça suffisait.

– Et là, les voyageurs à destination de Pô Ket, priés d’embarquer.

– Et on pouvait s’en faire plusieurs de voyages, hein ? On pouvait s’en faire plusieurs.

– Toute la famille.

– Oh putain, ce délire !

– Des apéros à volonté tous les soirs, des gonzesses pour te ronger pendant que tu bois ton coca.

– Et 200 capotes.

– (incompréhensible) direct en prison.

– Accordé. Vous préférez Luynes ou Les Baumettes ? »

Les policiers expliqueront lors des auditions qu’ils venaient de jouer à l’Euro Millions, puis avaient fantasmé sur une récente perquisition, réalisée avec la sûreté départementale, où furent saisis 100 000 euros et 17 kg de cannabis. « On était partis dans un délire, on inventait des histoires, montait des scénarios pour décompresser dans les véhicules », dira l’un. Comme par défi, un autre avance même : « On avait eu vent que les véhicules étaient sonorisés et parfois on en rajoutait en disant bien fort des phrases vers le plafonnier. »

Lors d’un contrôle d’un jeune, suspecté de dealer,  le 9 juin 2012, les baqueux prêtent encore le flanc à l’accusation :

« Policier : Eh viens voir, c’est de l’or ? La chaîne, c’est de l’or ou pas ?

Jeune : Chais pas

P : Tu les as arrachées et tu sais pas ?

J : Non, je les ai pas arrachées.

P : Bon allez, file-nous deux barrettes et on te laisse tranquille, on repasse dans une heure.

J : J’ai rien, moi.

P : C’est quoi ton nom toi… Tu habites où ? … Salengro, ça va, à plus tard. »

Policier à l’autre, après le départ de la personne contrôlée : « Eh, il s’est débarrassé du produit. »

Interrogé par l’IGPN, le policier ne peut que reconnaître que les propos sont « accablants ». Mais il s’agissait, selon lui, d’une « galéjade à la marseillaise » pour « faire comprendre à ce type qu’on n'était pas dupe de ce qu’il faisait et qu’il ne fallait pas qu’il nous la fasse à l’envers ». 

Difficile donc de faire la part des « galéjades » et des vrais dérapages dans ces sonorisations. Ce qui n’a pas empêché l’IGPN d’interpréter chaque mot à charge contre les policiers, malgré la très mauvaise qualité des retranscriptions. À la réécoute, un mis en examen s’aperçoit ainsi qu’un « Tiens sens » a été retranscrit comme un « cinq cents ». Un seul passage a été soumis à la contre-expertise du laboratoire de police scientifique : sur ce passage de quelques minutes, une phrase entière : « Le mieux, c’est d’être seul », disparaît. Et des propos, à l’origine attribués à deux hommes différents, se révèlent en fait prononcés par le même (lire sous l'onglet Prolonger). Le laboratoire d’Ecully signale que le son est « très dégradé par les bruits environnants (moteur de la voiture, la radio-police…) », et qu’il est « impossible » de retranscrire les conversations « lorsque l’opérateur radio parle en même temps ».

*À la poursuite d’un dealer qui s’était réfugié dans un appartement, les policiers y entrent, avec, selon eux, l’accord de l’habitante, mais doivent rapidement battre en retraite devant l’irruption d’une dizaine de jeunes, venus défendre leur charbonneur. Ils repartent bredouilles.

Des policiers de la BAC en maintien de l'ordre dans le centre de Marseille, le 6 juin 2013Des policiers de la BAC en maintien de l'ordre dans le centre de Marseille, le 6 juin 2013 © LF

L’IGPN n’hésite pas à charger la barque, en tronquant des éléments de contexte importants pour l’interprétation des sonorisations. Ainsi, lors d’une patrouille, un des policiers, dit le Grand Seb, parle de son salaire et de celui de sa femme, également policière : « On s’est fait un bon truc là, on s’est fait presque 5 000 euros, 5 000 euros à deux, c’est bien quand même. » Le PV de retranscription donne le contexte : « Les policiers discutent en roulant de leurs salaires respectifs. » Cette précision, pourtant décisive, n’est pas reprise dans le rapport de synthèse de l’IGPN du 12 septembre 2013, qui retient l’épisode à charge contre le fonctionnaire. Le même Grand Seb passe ses journées à répéter qu’il faut qu’il « blanchisse » et à proposer à ses collègues de leur donner du liquide en échange d’un chèque. « Personne n’a des travaux à faire chez lui là ? Ou un truc à acheter ? » « Tu veux quoi comme billets ? J’ai pas le choix hein. C’est ou les roses ou les verts. » De vrais dialogues de ripoux. Dans cette conversation du 20 août 2012, par exemple, le policier revient à la charge.

« Il me reste 8 000

– 8 000 en liquide ! (sifflement) Ah oui, d’accord ouais ! »

(…)

– Là, je fais des travaux, tu fais tout avec, à la fin du mois, je remets dans l’argent du quotidien.

(…)

– Tu fais le plein.

– Ouais, l’essence.

– Ouais, ouais, chaque fois que je fais le plein, je mets cent euros dedans. »

(…)

– Tu vas à Cannes, tu le vois, tu manges là, tu regardes même pas… Tu veux des fringues…, bam.

– Ça peut aller vite. »

L’enquêteur de l’IGPN choisit d’arrêter là sa retranscription. Il indique que la suite concerne « sa plus-value immobilière sans intérêt apparent avec la présente affaire ». Omettant de préciser que l’argent à blanchir ne venait pas d’extorsions, mais d’un dessous de table sur une maison de famille que le Grand Seb venait de vendre. Comme le montreront ses agendas, le policier avait perçu 20 000 euros en liquide qu’il n’avait pas déclaré au fisc.

L’enquête repose également sur les témoignages de trois anciens baqueux, pour l’un révoqué en septembre 2012, Sébastien Bennardo, et deux autres, évincés de la BAC, l’un après 5 blâmes en 9 mois, l’autre après avoir perdu son habilitation. Tous trois ont dénoncé les pratiques de leurs anciens collègues qui selon eux soulageaient les dealers et les vendeurs de cigarettes de contrebande de leur marchandise et de leur argent sans les interpeller. Des témoignages sujets à caution, qualifiés par l’actuel chef de la division nord, le commissaire Christophe Groult, de « calomnies venant de fonctionnaires aigris de se faire évincer de la BAC ». Sébastien Bennardo avait par exemple prétendu que le Grand Seb s’était acheté un 4x4 Nissan Qashqai la semaine même où des jeunes lui avaient indiqué que ses collègues de la BAC B avaient cassé la porte d’une nourrice pour récupérer « 25 000 euros et 5 kilos de shit ». Le tout sans faire de PV de découverte. Mais l’IGPN a retrouvé un PV de découverte de 1,335 kilo d’herbe et de résine, signé par le Grand Seb en juillet 2008, qui a par ailleurs assuré avoir acheté son véhicule à crédit et à une autre période. 

Autre exemple révélé par La Marseillaise, le 9 octobre 2012, entendu par l’IGPN, Sébastien Bennardo déclare : « Durant les trois premiers mois de 2009, il était assez fréquent que, lors de passages sur le secteur du Bon Pasteur, nos informateurs nous disent que le matin il y avait des perquisitions illégales dans des appartements en vue des cartouches de cigarettes, des contrefaçons, parfois de l’argent et ce, sans interpellation. Cela concernait les fonctionnaires du groupe B principalement… », et il cite 5 noms. Mais l’IGPN ne tique pas sur le fait que l’un d’entre eux, nouvelle recrue, ne sera affecté au groupe B qu’en décembre 2009, après plusieurs mois de rodage comme chauffeur du chef de la BAC, Albert Plaza. Et quand l’IGPN interroge ledit Plaza, c’est en omettant de mentionner les 5 noms. En faisant un lot de groupe en quelque sorte. « Or en France, on est sur la personnalisation de la peine : même quand un méfait est commis par un groupe, on recherche les responsabilités individuelles », proteste Joël Dutto, élu communiste marseillais et père d’un des fonctionnaires mis en cause.

L’élu s’est interrogé publiquement sur la loyauté de l’enquête de l’IGPN lors d’une conférence de presse organisée au Cercle populaire, le 12 décembre 2013, à Marseille. C’est chez son fils, Régis, 36 ans, que les enquêteurs ont trouvé une vingtaine de barrettes. « Dans l’enquête judiciaire, ils ont épluché ses comptes, ceux de son frère, son niveau de vie, demandé les factures de la télé, rien n’apparaît, assure Joël Dutto. Pourquoi l’IGPN n’a-t-elle pas également demandé le versement de ces pièces ? » Pour lui, « si scandale il y a, il n’est pas à chercher dans le comportement des policiers de la BAC, mais dans la façon dont l’enquête a été menée ».

L’élu, père de deux fils policiers « élevés dans le respect des règles de la République », était en Irak pour une mission humanitaire lorsque son fils a été placé en garde à vue, le 2 octobre 2012, puis incarcéré à Toulon. Il dit n’avoir pas cru un mot des accusations d’extorsion et de vol en bande organisée. « J’ai toujours eu peur qu’il dérape en neutralisant quelqu’un qui le frappait, qu’il ait une affaire de violences et laisse un gars à moitié mort, dit Joël Dutto. Mais sur le reste, je n’avais aucun doute. C’était tellement gros que ce n’était pas possible. Il n’y en a aucun qui est ripoux ; qu’ils aient commis des fautes, oui. » Joël Dutto parle de « négligences », de « barrettes saisies et pas détruites immédiatement ou conservées pour rémunérer des informateurs ».

« Bien sûr, ce n’est pas légal, mais pour rentrer dans les quartiers, faire du flagrant délit, il faut des sources. Comment les sources sont gérées, ça c’est la responsabilité de l’administration. » Depuis 2004, les enquêteurs sont censés immatriculer leurs indicateurs au Service interministériel d'assistance technique (SIAT), pour pouvoir  les rémunérer en espèces. Une pratique exotique à la BAC, où certains la pensait réservée à la police judiciaire. Lors de son audition par l’IGPN, Régis Dutto assure avoir voulu faire enregistrer son principal informateur à l’été 2011. « Ce dernier a finalement renoncé à sa contribution après deux entretiens, compte tenu du manque de confidentialité du service », affirme-t-il. La hiérarchie de la BAC Nord ne pouvait en tout cas ignorer l’existence de son indic'. Dans une réponse à un appel à candidature du ministère de l'intérieur pour intégrer la force internationale de police civile de l'ONU, Régis Dutto mentionne s’occuper « de la gestion des sources ». Le document est passé entre les mains de ses supérieurs, qui lui ont donné un avis favorable. Selon une source, une enquête disciplinaire est aujourd’hui en cours concernant la hiérarchie des policiers de la BAC. L'affaire pourrait au moins réveiller le débat sur quelques impasses, comme celle de l'inefficacité notoire des politiques actuelles de lutte contre le cannabis dans les cités…

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