Surtout ne pas brusquer. Mercredi 11 décembre, lors de son audition par les députés et sénateurs, le futur patron de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Jean-Louis Nadal, a multiplié les gages et les signes d’apaisement à l’intention des parlementaires, inquiets pour certains à l’idée que cet ancien procureur général, fin connaisseur des atteintes à la probité, ancré à gauche, puisse bientôt fouiller dans leurs déclarations de patrimoine. Jean-Louis Nadal avait tellement anticipé les crispations de certains qu’il en a commis un lapsus, en s’adressant à « Messieurs et Mesdames les dépités ».
« Je tiens à rassurer, a lâché le magistrat honoraire, plus pugnace quand il s’agissait de renvoyer Christine Lagarde ou Éric Woerth devant la Cour de justice de la République. Je ne suis pas pour l’inquisition, pas pour l’accusation. La suspicion qu’on porte sur vous me paraît injuste. » Alors que la Haute autorité pour la transparence (HAT) se voit chargée de contrôler les déclarations de 8 900 « assujettis » (ministres, parlementaires, membres de cabinets, etc.), Jean-Louis Nadal a promis d’aller « même plus loin que la présomption d’innocence : ce sera la présomption de bonne foi ! Il peut y avoir des fautes sans qu’il y ait de fautifs ». Ciselée, la formule a été resservie devant les sénateurs, à l’identique.
Proposée par François Hollande, la nomination de cet ancien inspecteur général des services judiciaires, âgé de 71 ans, a ainsi été validée sans anicroche par les commissions des lois de l’Assemblée (33 voix pour, 11 contre, 2 abstentions) puis du Sénat (17 pour, 12 contre, 1 abstention).
Questionné par l’UMP sur son soutien à Martine Aubry lors de la primaire socialiste, susceptible d’entacher son « impartialité », l’ancien plus haut parquetier de France a séché son auditoire en annonçant : « Je comprends votre interrogation, j’ai effectivement soutenu la candidature de Mme Aubry à une date où ma cessation de fonctions m’avait libéré de mon devoir de réserve (…) ; je m’abstiendrai donc (au sein de la HAT) d’exercer des compétences à l’égard de Mme Aubry, dont le dossier sera sûrement examiné par d’autres. » Une illustration du principe de « déport » prévu en cas de conflit d’intérêts par les lois sur la transparence. « C’est n’importe quoi !? » s’est étouffée Marie-Jo Zimmermann (UMP), tandis que son collègue Jean-Frédéric Poisson prenait acte, à la sortie : « C’est la moindre des choses… »
Rappelant sa nomination au poste de procureur général par Jacques Chirac, Jean-Louis Nadal a promis : « Je n’ai pas du tout l’intention de regarder les étiquettes, seulement les comportements. » À ses côtés, siégeront six membres élus par la Cour de cassation, la Cour des comptes et le conseil d’État, ainsi que deux « personnalités qualifiées » désignées par les présidents socialistes de l’Assemblée et du Sénat, deux anciens hauts fonctionnaires « maison » au fait des petits arrangements de coulisses – pourquoi pas des représentants d’associations anticorruption ?
« Ça va être un travail de titan », a reconnu Jean-Louis Nadal, en glissant devant les sénateurs que « les crédits de fonctionnement (lui) paraissent a priori insuffisants » (1,4 million d’euros programmés pour 2014, plus 20 fonctionnaires mis à disposition). Outre l’examen des déclarations de patrimoine (en collaboration avec les services fiscaux mais pas Tracfin), la Haute autorité devra aussi évaluer les conflits d’intérêts des 8 000 assujettis, pour éventuellement leur enjoindre d’y mettre fin – seules les déclarations d’intérêts des parlementaires lui échapperont, les députés et sénateurs voyant leur situation jaugée “à domicile” par le bureau de leur propre assemblée.
« C’est le flou artistique autour de cette notion de conflit d’intérêts, a tout de même pesté Jean-Frédéric Poisson (UMP) au début de l’audition, vent debout contre « le risque d’instauration d’un procureur parlementaire ». « Vos propos sont de nature à alimenter notre réflexion », concédait toutefois le député après l’intervention de Jean-Louis Nadal, visiblement apaisé par les précautions de ce dernier.
Pressé d’annoncer son agenda, l’ancien procureur général près la Cour de cassation s’est d’ailleurs montré plus offensif devant les sénateurs que les députés. Aux premiers, il a déclaré : « Nous devrons mobiliser les services des ministères de la justice, de l’intérieur et du budget, ce sera l’un des défis des premiers mois ! » Face aux seconds, il a glissé, plus prudent : « Nous pourrons mobiliser… » Entre ces deux verbes, résident toutes les interrogations sur la future combativité de la Haute autorité.
L’ancien procureur général refuse de toutes façons de voir la HAT comme un « contre-pouvoir » ou « un outil répressif », préférant l'image d'un « temple du conseil ». « Le dialogue, la confiance, c’est cela qui va m’habiter, pas le voyeurisme », a encore assené Jean-Louis Nadal. « Toute mon énergie va se déployer sur le relationnel (…). Si je voyais quelque chose qui s’apparenterait à une zone grise, je ne vais pas tout de suite me mettre en état d’alerte, je vais faire ce qu’il faut pour qu’on rentre dans le rang ; la répression, c’est l’ultima, c’est l’issue la plus regrettable. »
Le futur président a enfin tenu à tranquilliser les parlementaires sur le poids que prendront les lanceurs d’alerte, désormais protégés par la loi s’ils saisissent la Haute autorité à bon escient. « Quels seront vos rapports avec tous ces bons donneurs de leçons ? » s’est indigné le sénateur Jean-Jacques Hyest (UMP), tandis que le patron des radicaux de gauche à l’Assemblée, Roger-Gérard Schwartzenberg, s’inquiétait de « la présomption de bonne foi accordée à ces lanceurs d’alerte ». « Je serai prudent, a insisté Jean-Louis Nadal. Les dénonciations calomnieuses iront vers l’autorité judiciaire. Il n’y a aucun cadeau à faire. » On a déjà vu profession de foi plus offensive.
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