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La Centrafrique illustre le flou de la politique africaine de Hollande

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De notre envoyé spécial en Centrafrique

« Si on avait résolu cette crise à la Foccart, on aurait déposé Bozizé après s’être entendu avec Déby et Sassou et on aurait évité le pire ! » Le diplomate français qui prononce ces mots à propos de la situation en Centrafrique, en « off » bien sûr, sait qu’il est provocateur. On ne balance pas impunément les noms de l’éminence grise de la Françafrique, Jacques Foccart, et de deux des alliés historiques les plus sulfureux de la France sur le continent, Idris Déby (Tchad) et Sassou N’Guesso (Congo), sans avancer en terrain miné. Il poursuit néanmoins : « On se tire une balle dans le pied en balançant la Françafrique avec l’eau du bain. Il faudrait éliminer les mauvais aspects, c’est-à-dire les mallettes de fric, mais garder les relations avec les chefs d’État. »

Vu de Bangui, ce genre de raisonnement semble frappé sous le sceau du bon sens. La Centrafrique, en dépit de sa faible population et de son manque de richesses, a toujours illustré l’interventionnisme le plus néfaste de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies africaines. Des diamants de Bokassa au co-financement du couronnement de ce dernier par la République française, jusqu’à son renversement par la tristement célèbre « Opération Barracuda » de 1979, en passant par la « régence » de la Centrafrique par le lieutenant-colonel (ex-DGSE) Jean-Claude Mantion qui gouverna le pays dans l’ombre des présidents Dacko et Kolingba entre 1980 et 1993, Paris a longtemps joué les marionnettistes à Bangui.

Cela s’est poursuivi jusqu’aux années 2000 puisque le putsch de François Bozizé en 2003 a été tacitement approuvé par Paris, et que le gouvernement français l’a appuyée lors des tentatives de renversement auxquelles il a fait face en 2006-2007.

Le monument à l'Indépendance centrafricaine, à BanguiLe monument à l'Indépendance centrafricaine, à Bangui © Thomas Cantaloube

C’est à cette aune qu’il faut juger le silence et l’absence de réaction de Paris en mars 2013 lorsque l’actuelle coalition au pouvoir menée par Michel Djotodia, la Séléka, prend le contrôle du pays. Des soldats sud-africains tentent de s’interposer (Jacob Zuma soutient Bozizé) au prix de la mort de treize d’entre eux, alors que les 450 militaires tricolores qui contrôlent l’aéroport ne sortent pas de leur cantonnement – des ressortissants français apeurés le leur reprocheront d’ailleurs. Il est clair que, depuis plusieurs années, Bozizé a irrité tous ses soutiens par son clientélisme et son refus d’appliquer les accords passés avec son opposition. Pour autant, Paris n’a pas bougé. Pour certains, c’est parce que « la France n’a rien vu venir et ne croyait pas en la victoire de la Séléka », selon un conseiller de Djotodia. Pour d’autres, et l’explication n’est pas incompatible, c’est parce que « la France n’a plus de politique africaine », selon Éric Massi, ancien porte-parole de la Séléka devenu directeur de l’aviation civile.

Lorsqu’il était candidat à la présidence, Nicolas Sarkozy avait promis la fin de la Françafrique, ces réseaux parallèles mêlant business personnel et affaires politiques sur fond d’indifférence aux questions de démocratie et de droits de l’homme. Il ne l’a pas fait, notamment en laissant des membres de son entourage proche opérer comme bon leur semblait pour tenter de prendre la succession de Foccart, notamment Patrick Balkany et l’avocat Robert Bourgi. Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée puis ministre de l’intérieur s’est également complu dans ces réseaux troubles, au point d’en faire aujourd’hui le cœur de son activité post-élyséenne.

François Hollande a réitéré la même promesse lors de la campagne présidentielle et, jusqu’ici, il semble plutôt s’y tenir. Il a supprimé la « cellule africaine » de l’Élysée et a placé l'écologiste Pascal Canfin à la tête d’un ministère du développement (qui succède à celui de la coopération). Si une part de cette orientation est à mettre sur le compte d’une réelle volonté politique de rompre avec les pratiques passées – y compris celles de la Mitterrandie –, une autre part tient aussi à la méconnaissance et au manque d’intérêt du président socialiste pour l’Afrique – « tout au moins avant qu’il ne soit obligé d’intervenir au Mali et en Centrafrique », nuance avec une pointe d’humour un diplomate étranger en poste à Bangui.

Mais la crise centrafricaine – et celle du Mali auparavant – soulève néanmoins une question cruciale : par quelle politique remplace-t-on la Françafrique ? Le dilemme n’est pas purement théorique car, à chaque fois qu’il se produit un événement important dans l’ancien « pré carré » de la France, Paris est sollicité, ce qui soulève, toujours, une contradiction à laquelle il est difficile d’échapper : « Lorsque nous intervenons dans une crise, on nous accuse de néo-colonialisme. Et lorsque nous n’intervenons pas, on nous accuse de laisser tomber les Africains ! » soupire le diplomate français provocateur.

Lorsque Laurent Fabius s’est rendu à Bangui à la mi-octobre, la rumeur qui a couru dans toute la capitale était qu’il venait avec des valises remplies d’euros pour verser les salaires des fonctionnaires impayés depuis plusieurs mois… « C’était faux bien entendu, mais cela crée des attentes à notre égard », ajoute un autre diplomate français.

Les exemples récents du Mali et de la Centrafrique soulignent cette contradiction. Une majorité de Maliens a applaudi l’intervention française et, aujourd’hui, la plupart des Centrafricains souhaitent que les militaires français viennent rétablir l’ordre que les forces de l’Union africaine ne parviennent pas à garantir. Et pourtant, tous refusent une forme de tutelle ou de mainmise de la France sur leur pays. Modest Gonda, qui dirige un collectif d’ONG à Bangui, illustre bien ce dilemme : d’un côté, il regrette que « le pays colonisateur ne nous (ait) pas accompagné » et, aussitôt après, il se plaint que « pour nos dirigeants, ce que dit la France revêt plus d’importance que ce que disent leurs propres concitoyens ». Un de ses amis, qui s’occupe d’une association entre la France et la Centrafrique, parle lui d’une « coopération sans cœur » : « Nous avons une histoire commune avec la France quoi qu’il arrive, mais les rapports restent flous, et ce n’est pas une bonne chose. »

Le grand stade de football de 20 000 places construit par les Chinois à BanguiLe grand stade de football de 20 000 places construit par les Chinois à Bangui © Thomas Cantaloube

Le « Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique » (autrefois appelé « Sommet France-Afrique ») qui se tient à Paris les 6 et 7 décembre se veut emblématique d’une nouvelle relation, « une relation basée sur le respect, en commençant par le respect des institutions africaines », selon Paul Jean-Ortiz, le conseiller diplomatique de François Hollande. Lors d’une conférence de presse pour lancer le sommet, ce dernier a tenté d’esquisser une « doctrine Hollande » à l’égard du continent africain : « Il n’y a pas de grand document qui la définirait, mais elle consiste en un vrai respect de nos partenaires, un respect des institutions et un dialogue avant toute prise de décision. »

Moins feutrés, plusieurs diplomates français ayant été ou étant toujours en poste en Afrique le disent : « Il faut arrêter de nier que l’on a des relations, que l’on parle la même langue et que nos entreprises ont des intérêts économiques dans les pays d’Afrique francophones », selon l’un d’entre eux actuellement à Bangui. C’est également le sens d’un rapport remis mercredi 4 décembre par Hubert Védrine au ministre de l’économie Pierre Moscovici. Intitulé « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre la France et l’Afrique », ce document propose clairement de « renforcer l’influence de la France en Afrique » et de « réinvestir au plus vite la présence économique extérieure française en Afrique subsaharienne ». Toute la question est, bien entendu, dans la manière de procéder.

La Centrafrique, qui a longtemps pâti d’un rapport ombilical et déséquilibré avec la France, pourrait être l’occasion d’inventer cette nouvelle relation, et donc une nouvelle politique africaine, que la présidence Hollande semble souhaiter. Car si les Centrafricains appellent clairement à une intervention militaire française, beaucoup ont compris qu’ils étaient eux aussi appelés à prendre leur responsabilité. 

« La France doit nous accompagner et nous conseiller », plaide Éric Massi. « Mais c’est aux Centrafricains de s’occuper de reconstruire le pays. » Même son de cloche chez le directeur d’une ONG locale, Jean-Mermoz Namyouisse : « Si nous ne sommes pas responsables vis-à-vis de notre pays, ce sont les autres, les pays voisins et la France, qui remplissent le vide. » Et c’est cette dépossession du pays qui a abouti à la crise actuelle en Centrafrique.

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