C’est un contrat de communication, pour ne pas dire de lobbying, comme il en existe sans doute des milliers. Il donne un assez bon éclairage sur la façon dont les entreprises envisagent leur communication, déploient des moyens pour bien encadrer la curiosité de la presse.
Dans ce contrat, la société de conseil s’engage notamment à « assurer la veille médiatique », « aider à la définition du discours stratégique », « organiser les relations avec l’ensemble des média », « assurer la notoriété », « organiser des rendez-vous "off" avec les principaux journalistes français (spécialistes ou plus généralistes) afin de construire avec eux une relation de travail durable ».
Mais ce contrat n’est cependant pas tout à fait comme les autres : il concerne Autostrade per l’Italia, l’actionnaire principal de la société Ecomouv. Mediapart y a eu accès et le publie (voir en page 2) alors qu’une enquête sur les conditions d’attribution de l’écotaxe à la société Ecomouv a été rouverte à la demande du gouvernement. Et que l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, a été entendu comme témoin, le 26 novembre, comme le révèle Le Monde.
Consciente sans doute d’être mal connue en France, la société autoroutière a passé contrat pour promouvoir son image, et aider au développement d’Ecomouv et à la promotion de l’écotaxe. Mais le plus surprenant est la société qui la conseille : BS Conseil pour Bernard Spitz Conseil.
Bernard Spitz est un ancien magistrat au Conseil d’État, passé au cabinet de Michel Rocard puis à la direction de Canal+ et Vivendi du temps de Jean-Marie Messier avant de créer sa petite société de conseil en communication et en stratégie en 2004. Membre du Siècle, animateur des Gracques, membre actif dans des think tanks, c’est un homme qui a ses entrées partout à Paris. Il a été également l’auteur de nombreux rapports, notamment sur les médias. Pendant des années, il a animé un séminaire à Sciences-Po sur l’économie des médias.
En 2008, il a repris un rôle plus actif dans les affaires. Le 1er octobre de cette année-là, il a été élu à la tête de la fédération française des sociétés d’assurances, un poste préalablement occupé par Denis Kessler puis Gérard de la Martinière, dont la principale charge est de défendre les intérêts de la profession. Renouvelé en 2011, il occupe toujours cette fonction.
En dépit de ces nouvelles fonctions, il accepte, en tant que délégué, de prendre la responsabilité de l’animation des états généraux de la presse, lancés officiellement par Nicolas Sarkozy le 2 octobre 2008. Des états généraux qui se termineront par de nouvelles distributions d’aides (600 millions d’euros sur trois ans) sans rien changer aux pratiques du secteur (voir le bilan ici et le rapport de la Cour des comptes sur le sujet là).
Mais dans le même temps, Bernard Spitz a conservé sa société de conseil en communication. Être à la fois président d’une fédération, acteur écouté du monde des médias et avoir une société de conseil qui se propose de façonner l’image des entreprises auprès des journalistes, est-ce vraiment compatible ? N’y a-t-il pas conflit d’intérêts ? « Pas du tout. Il n’y a aucune confusion. J’avais demandé l’autorisation à la fédération des assurances de conserver ma société, ce qui m’a été accordé. Par la suite, je me suis interdit de travailler avec la presse à l’époque des états généraux. Pour le reste, j’ai toujours veillé à une claire séparation entre les missions », explique Bernard Spitz.
C’est dans ce cadre que BS Conseil passe contrat avec Autostrade le 16 août 2010. Il s’agit déjà de promouvoir le groupe italien, quasiment inconnu en France, alors que le dépôt de candidature pour l’écotaxe doit être effectué en septembre. Le groupe italien est seul à ce moment-là. Ce n’est que par la suite que la SNCF, Thales, SFR et Steria rejoindront Autostrade pour former le consortium Ecomouv. Comment la société italienne arrive-t-elle à la petite structure de conseil de Bernard Spitz, très discrète dans le monde de la communication ? « Par recommandation », dit Bernard Spitz. De qui ? « Je ne m’en souviens plus », ajoute-t-il. Avant de préciser : « Ce sont des sujets très banals. Il s’agissait d’aider l’entreprise dans sa communication, de comprendre les situations. Mais je ne m’en suis pas occupé personnellement. »
Le 21 mars 2011, un avenant au contrat avec BS Conseil est signé, pour continuer à aider Autostrade. Mais la situation s’est compliquée : le 8 mars précédent, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a entièrement cassé le contrat d’attribution de l’écotaxe à la société Ecomouv, à la suite d’une plainte du consortium concurrent Alvia, emmené par Sanef. Dans ses attendus, le tribunal avait retenu notamment que « l’offre avait été évaluée de manière illicite par le pouvoir adjudicateur », notamment en raison de l’arrivée de la SNCF, Thales, Steria et SFR dans le consortium après le dépôt de la candidature officielle pour répondre à l’appel d’offres sur l’écotaxe (voir Le contrat insensé de l’écotaxe).
Malgré cette décision de justice, qui semble remettre tout en cause, Autostrade semble bien confiante, et renouvelle ses engagements auprès de BS Conseil pour l’aider à promouvoir son image et celle d’Ecomouv.
À la suite de la décision du tribunal administratif, le ministre des transports, Thierry Mariani, a fait appel, au nom du gouvernement. Le 24 juin, le conseil d’État casse le jugement du tribunal administratif et rétablit la société Ecomouv comme gagnante de l’appel d’offres pour la perception de l’écotaxe. La victoire est totale.
Et BS Conseil poursuit sa mission. Le 27 septembre 2011, un nouveau contrat est signé avec Autostrade, remplaçant le précédent, et donne pour mission à la société de « gérer la communication d’Ecomouv » et « d’installer Autostrade per l’Italia dans le paysage économique et médiatique français ». BS Conseil est rémunéré sur la base de 45 000 euros hors taxe d’honoraires par trimestre, soit 180 000 euros par an.
Entre-temps, quelques changements, cependant, sont intervenus dans la structure. Bernard Spitz, qui jusque-là avait mené de front toutes ses activités, se ravise. Le 30 juin 2011, il a décidé, en tant qu’associé unique de la société de conseil, de céder la gérance à Antoine de Tarlé, homme de presse très introduit dans le monde des médias. « J’ai rencontré Bernard Spitz dans le cadre de séminaires sur les médias que nous organisions à Sciences-Po ensemble. Il m’a proposé de reprendre la gérance de sa société de conseil. Il ne voulait pas que sa structure disparaisse. Mais il m’a expliqué qu’il ne pouvait plus en être l’animateur. Comme j’avais pris ma retraite de Ouest-France en 2007, j’ai accepté. Mais ma fonction est celle d’un gestionnaire. C’est une petite structure qui n’a pas une activité énorme », raconte Antoine de Tarlé. En 2011 (les chiffres de 2012 n’ont pas été publiés), BS Conseil réalisait 62 395 euros de résultat pour 1,7 million d’euros de chiffre d’affaires.
C’est donc Antoine de Tarlé qui signe en septembre 2011 le nouveau contrat avec Autostrade. « Mais je ne m’en suis pas occupé. L’essentiel a été sous-traité », dit-il. À la tête alors d’une toute petite société autonome, Clément Leonarduzzi confirme. C’est lui qui a assuré l’essentiel de la réalisation du contrat, à partir de la mi-2012. « Le travail consistait à faire énormément de veille. Chaque mois, je leur envoyais une note d’actualité sur la France, tous sujets confondus. Cela concernait aussi bien la politique, que les sujets d’économie, de société et les questions de transports. Mais ils ne demandaient pas de conseil, ne nous associaient pas à leur communication ou à leur réflexion juridique. Nous étions plutôt des prestataires de services. Parfois, ils nous demandaient d’organiser des rendez-vous avec des sénateurs ou des députés. Mais c’était toujours à leur demande et cela n’allait pas au-delà de la prise de rendez-vous. Quant à la presse, ils ne demandaient rien. Il n’y avait pas d’enjeu de promotion, de notoriété. On n’a jamais organisé une conférence de presse », détaille Clément Leonarduzzi. À aucun moment, BS Conseil n’apparaît à cette époque comme conseiller de communication d’Ecomouv, malgré les termes du contrat.
Pendant deux ans, Autostrade a reconduit de façon tacite ce contrat, semblant se satisfaire des prestations relativement limitées de BS Conseil pour 192 000 euros par an. Finalement, le contrat s’est achevé le 30 juin 2013. « Autostrade a considéré que notre mission était terminée », dit Antoine de Tarlé. Le départ de ce client, et la perte de chiffre d’affaires qui va avec, ne semblent pas l’émouvoir, pas plus que Bernard Spitz. Pour eux, ce contrat n’est rien que de très banal.
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BOITE NOIREJ'ai essayé de joindre la société Autostrade le 27 novembre, en adressant notamment un mail avec mes questions à son service de presse. Celle-ci n'a jamais donné signe de vie.
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