Ce devait être la réponse à l’affaire Cahuzac, un geste fort pour montrer la détermination du pouvoir à lutter sans relâche contre la délinquance en col blanc, en éradiquant la corruption et la fraude fiscale. Création d’un « super procureur » financier, installation d’une Haute autorité pour la transparence de la vie publique, on allait voir ce qu’on allait voir.
Sept mois plus tard, le Conseil constitutionnel (qui a été saisi par des sénateurs UMP) s’apprête à examiner le texte de loi instaurant un nouveau procureur financier à Paris, qui a été adopté voilà un mois, malgré les nombreuses réserves exprimées lors des débats à l'Assemblée et au Sénat.
Sans attendre, le ministère de la justice vient d’adresser un appel à candidatures dans toutes les juridictions. Dans une note datée du 27 novembre (dont Mediapart a pris connaissance), le directeur des services judiciaires, Jean-François Beynel, invite les candidats à postuler en ces termes. « J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir trouver ci-joint un appel à candidatures en vue de pourvoir des emplois devant composer le parquet du procureur de la République financier, sous réserve de la validation du projet de loi par le Conseil constitutionnel », écrit-il.
Pour le moins inhabituelle, cette condition suspensive est dictée par l’entrée en vigueur de la loi, le 1er février prochain, et qu'il faut bien anticiper dès maintenant, et quoi que dise ultérieurement le Conseil constitutionnel.
Les magistrats intéressés doivent, en outre, se faire connaître au plus tard le 11 décembre. Bien qu’implicite, la raison de ce délai très court est simple : les souhaits de mutation des magistrats désireux de participer au grand mouvement national de fin d’année devaient être exprimés avant la date butoir du 15 décembre. Il leur faudra choisir.
L'essentiel est ailleurs : ce procureur financier, annoncé en fanfare au printemps dernier, est encore entouré d'un flou artistique assez curieux. Initialement présenté au conseil des ministres du 7 mai comme devant disposer de « moyens propres entièrement dédiés à la lutte contre la fraude fiscale et la corruption », «considérablement renforcés avec la création à terme d’une cinquantaine de postes de magistrats (notamment 22 magistrats du parquet et 10 juges d’instruction) et d’assistants spécialisés », le futur procureur de la République financier devra, en fait, se contenter de moins.
Le texte finalement adopté le 5 novembre ne prévoit, en effet, qu’un total de 15 postes de magistrats pour le parquet. Et encore : seuls 5 postes doivent être pourvus au 1er février (le procureur, son adjoint, un premier vice-procureur, un vice-procureur et un substitut), les 10 autres postes ne devant être pourvus qu’ultérieurement, « ce parquet ayant (...) vocation à monter progressivement en puissance au cours du second semestre 2014 », selon la note du directeur des services judiciaires.
Si le Conseil constitutionnel valide le projet de loi, tout ne sera pas réglé pour autant. Une ambiguïté de taille demeure en effet sur le statut et les attributions du futur procureur de la République financier.
Le mode de désignation pose déjà problème. Le futur procureur financier sera choisi par le pouvoir. « Il sera nommé par décret du président de la République, sur proposition du garde des Sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. »
Comme le soulignent les syndicats de magistrats, la réelle avancée en terme d'indépendance aurait consisté à donner au CSM le choix de proposer lui-même les procureurs dans le cadre d‘une réforme constitutionnelle. Au lieu de cela, le futur procureur financier sera bel et bien choisi par l’exécutif, qui sera en droit d’en attendre un peu de compréhension ou de bienveillance, entachant ainsi par avance sa nomination d’un léger parfum de sujétion.
Pour ne rien arranger, ce procureur financier « dépendra hiérarchiquement du procureur général de Paris ». Placé à côté du procureur de la République de Paris, avec le même grade hiérarchique il va, de fait, dépouiller celui-ci de la plupart de ses dossiers sensibles. « On va se retrouver avec deux procureurs de Paris », résume un magistrat, dubitatif.
Tout le monde s'accorde au moins sur un point : c'est une pierre lancée dans le jardin de François Molins. L’actuel procureur de Paris, qui a été nommé avant l’élection présidentielle, est indéboulonnable pendant une durée de plus de cinq ans. Et depuis l’affaire Cahuzac, où il a pris ses responsabilités (en ouvrant d'abord une enquête préliminaire, puis une information judiciaire), il semble être considéré par le pouvoir actuel comme trop à droite, trop indépendant, ou incontrôlable, c’est selon.
Dans tous les cas, le procureur Molins va se retrouver flanqué d'un encombrant voisin qui va le priver d'une bonne partie des affaires dites « signalées », à l'exception des dossiers terroristes.
Enfin, la façon dont vont être répartis les dossiers pose encore problème. Sur le papier, « ce procureur aura une compétence nationale qu’il exercera concurremment à celle des autres parquets en matière de corruption d’agents publics étrangers et plus généralement d’atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, pantouflage, favoritisme, détournements de fonds publics) ou obtention illicite de suffrages en matière électorale, lorsque ces procédures apparaîtront d’une grande complexité », écrit le directeur des services judiciaires. « Il sera en outre compétent en matière d’escroqueries à la TVA de grande complexité ou de fraude fiscale complexe ou commise en bande organisée. Il disposera enfin d’une compétence exclusive en matière de délits boursiers. »
Soit. Mais rien ne précise qui sera chargé – ni comment – d’effectuer le tri des affaires existantes ou à venir. Interrogé par Mediapart, le ministère de la justice n'a pas su répondre précisément à cette question de taille. « Comment le procureur financier se saisit-il ou est-il saisi ? Est-ce qu’il aspire les dossiers lui-même ? Personne n’en sait rien », lâche Christophe Régnard, le président de l’Union syndicale des magistrats (USM, modérée et majoritaire), très critique sur ce projet.
Premiers concernés, les procureurs de Paris et Nanterre savent déjà que leurs dossiers les plus sensibles risquent de leur être retirés. Nommé en 2012 pour remplacer Philippe Courroye, Robert Gelli a portant l’oreille du pouvoir : il a été conseiller justice de Lionel Jospin à Matignon, et préside depuis plusieurs années la Conférence des procureurs de la République.
L’actuel procureur de Nanterre a plaidé pour l’instauration d’une vraie juridiction nationale spécialisée qui coordonnerait le travail des juridictions existantes. En vain.
Au lieu de cela, le procureur financier qui verra le jour à Paris disposera de moyens (et de compétences) retirés à d’autres tribunaux : le projet adopté prévoit en effet la suppression des 36 pôles financiers créés au sein de chaque cour d’appel en 1975, et qui avaient été peu à peu supplantés, dans les faits, par les huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) créées à partir de 2004.
Concrètement, le pôle financier de Nanterre, où se trouvent de nombreux sièges sociaux d’entreprises, risque de se voir privé – outre ses dossiers – de magistrats et d’assistants spécialisés qui ont un vrai savoir-faire, et sont au contact quotidien d’interlocuteurs locaux avec lesquels ils avaient tissé des liens.
Le risque étant que les informations n’arrivent plus, et que les petites affaires économiques et financières tombent dans un trou noir, faute de spécialistes pour les traiter à l’échelon local. Un raisonnement qui vaut également pour les petites et moyennes juridictions de province, où les juges d'instruction qui traitaient ces dossiers risquent d'être progressivement asséchés.
Optimiste, la direction des services judiciaires indique quoi qu'il en soit aux candidats que « le procureur de la République financier pourra s’appuyer (...) sur l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, créé par décret du 25 octobre 2013, réunissant des enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la corruption, les atteintes à la probité et la répression de la délinquance fiscale, et formés à la technicité des investigations à conduire dans le cadre de ces procédures ».
Pour ce qui est de la présidence de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, également annoncée au lendemain de l'affaire Cahuzac, c'est le magistrat Jean-Louis Nadal, ancien procureur général près la Cour de cassation, qui est le candidat de l'Élysée. Ce poste a été créé par la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique, suite à l'affaire Cahuzac. Les pouvoirs de la Haute autorité, qui contrôlera les déclarations d'intérêts et de patrimoine de 7 000 élus et hauts fonctionnaires, ont été quelque peu rabotés par le Conseil constitutionnel (lire notre article ici).
Jean-Louis Nadal, qui est à la retraite depuis juin 2011, vient de remettre jeudi à la ministre de la justice Christiane Taubira un rapport “pour refonder le ministère public”. Avant sa nomination à la présidence de la Haute autorité, il sera auditionné prochainement par les commissions des lois de l'Assemblée et du Sénat.
De son côté, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, a désigné Danièle Rivaille, ancienne secrétaire générale de la questure de l’Assemblée nationale entre 2010 et 2013, comme membre de cette Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Enfin le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, a proposé la nomination d’Alain Delcamp, qui fut secrétaire général du Sénat de juin 2007 à avril 2013.
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