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Non, le Gardasil n'est pas un nouveau Mediator

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Le Gardasil, vaccin destiné à prévenir les cancers de l’utérus causés par le papillomavirus humain, sera-t-il au centre d’un nouveau scandale sanitaire ? Une jeune fille de quinze ans atteinte d’une sclérose en plaques peu de temps après avoir été vaccinée vient de porter plainte contre Sanofi Pasteur MSD, qui commercialise le Gardasil en Europe, et l’Ansm (Agence nationale de sécurité du médicament). Me Jean-Christophe Coubris, l’avocat de la jeune fille, a annoncé qu’une vingtaine d’autres plaintes seraient déposées prochainement. Et Michèle Rivasi, députée européenne EELV, affirme qu’« il faut retirer du marché ce vaccin inutile et dangereux ».

Flacon de GardasilFlacon de Gardasil © Jan Christian

Une abondante littérature scientifique démontre exactement le contraire : le Gardasil a une utilité, car il peut éviter des cancers mortels ; et il n’est certainement pas plus dangereux que d’autres vaccins administrés à des centaines de millions de personnes dans le monde. La revue Prescrire, dont nul ne conteste l’indépendance, et qui avait très tôt dénoncé les dangers du Mediator, estimait en juillet 2013 que les risques liés au Gardasil étaient « comparables à ceux des vaccins usuels ». Et que « le pari de proposer cette vaccination aux jeunes femmes est une option raisonnable, dans la mesure où une diminution de l’incidence des cancers du col de l’utérus est probable, sans être annulée par les effets indésirables du vaccin ».

Contactée par Mediapart, la direction de Prescrire nous a confirmé qu’elle maintenait sa position après la plainte déposée par la jeune patiente. L’Ansm, que nous avons également contactée, juge qu’il n’y a « pas de données nouvelles légitimant une réévaluation du Gardasil ou remettant en cause l’utilisation du vaccin ».

Affirmer que le Gardasil est sûr ne signifie pas qu’il soit totalement exempt de risques : tous les vaccins peuvent, dans des cas exceptionnels et imprévisibles, provoquer des effets secondaires graves. Dans le cas de Marie-Océane Bourguignon, la jeune patiente qui a porté plainte, deux experts ont mis en cause le vaccin. Il faut cependant souligner qu’ils le font avec une grande prudence. Aucun des deux experts ne conclut à un lien causal direct et univoque entre le Gardasil et la pathologie dont souffre la jeune fille (les rapports des deux experts ont été mis en ligne sur le site Slate). En résumé, les experts pensent que la jeune fille a une prédisposition familiale à une maladie immunitaire comme la sclérose en plaques. Et que sur ce terrain prédisposé, le vaccin a pu jouer le rôle de révélateur ou de déclencheur de la maladie. Mais ce n’est pas une certitude, et les deux experts ne retiennent qu’une « imputabilité partielle de la vaccination » fixée à 50 %.

Pour Sanofi Pasteur MSD, il n’y a pas de relation de cause à effet entre le vaccin et la sclérose en plaques dont souffre la jeune patiente, mais seulement une coïncidence dans le temps, la maladie s’étant manifestée peu après la vaccination. Au-delà du cas individuel,  examinons les éléments du dossier scientifique.

 

  • À quoi sert le Gardasil ?

 

Commercialisé en 2006 par Merck aux États-Unis et sa joint-venture Sanofi Pasteur MSD en Europe, le Gardasil est un vaccin dirigé contre le papillomavirus. Ce dernier est l’agent infectieux sexuellement transmissible le plus répandu : plus de la moitié des personnes sexuellement actives sont touchées à un moment de leur vie par ce virus. Le plus souvent, il est éliminé naturellement par le système immunitaire. Dans un petit nombre de cas, de l’ordre de 1 %, le virus provoque des altérations cellulaires qui aboutissent au cancer. La quasi-totalité des cancers de l’utérus sont dus au papillomavirus. En France, le cancer de l’utérus touche environ 3 000 femmes par an, et en tue un millier. Le papillomavirus peut aussi provoquer des cancers de l’oropharynx et, chez l’homme, du pénis ou de l’anus. Au total, selon des données américaines, il y aurait environ deux fois plus de cancers dus au papillomavirus chez les femmes que chez les hommes. 

Il existe de nombreux types de papillomavirus, qui n’ont pas tous les mêmes effets, mais 70 % des cancers de l’utérus sont dus à deux types, dénommés 16 et 18. Le Gardasil couvre contre ces deux types de virus. Il agit aussi contre deux autres types qui ne provoquent pas de cancers, mais des verrues génitales ou des condylomes. Un vaccin concurrent du Gardasil, le Cervarix, commercialisé par GlaxoSmithKline à partir de 2009, couvre seulement contre les types 16 et 18.

Aux États-Unis, la vaccination contre les papillomavirus a été introduite fin 2006, en ciblant prioritairement les jeunes filles de 11-12 ans, l’objectif étant de les protéger contre le virus avant le début de leur vie sexuelle. Une étude publiée en août 2013, dirigée par Lauri Markowitz, médecin au CDC d’Atlanta (Centers for Disease Control and Prevention, organisme national d’épidémiologie et de prévention), montre qu’en quatre ans de vaccination, la prévalence du virus a diminué de 56 % (pour les quatre types de virus visés par le Gardasil, qui est utilisé de manière presque exclusive aux États-Unis). Le vaccin s’est donc révélé efficace, alors que la couverture vaccinale reste assez faible : en 2010, seulement 32 % des filles de 13 à 17 ans ont reçu les trois doses constituant la vaccination complète.

Selon une autre étude du CDC, parue en juillet 2013 dans le MMWR, si l’on augmentait la couverture vaccinale à 80 %, on pourrait éviter, aux États-Unis, 53 000 cancers dans la génération des filles qui ont aujourd’hui 12 ans ou moins. Et chaque année, 4 400 cancers féminins pourraient être évités grâce au vaccin. En Australie, où la vaccination a été appliquée plus largement qu’aux États-Unis, on a constaté une baisse très forte du nombre de verrues génitales, et les pathologies liées au virus ont aussi diminué chez les jeunes garçons, bien qu’ils ne soient pas vaccinés. Autrement dit, en faisant baisser la circulation du virus, on obtient un effet bénéfique sur l’ensemble de la population.

La limite de la stratégie vaccinale est que le Gardasil, comme son concurrent, ne couvre pas contre tous les types de papillomavirus. Pour prévenir les 30 % de cancers de l’utérus qui ne sont pas dans la cible du vaccin, il faut recourir au dépistage par frottis cervical. Certains opposants au vaccin jugent que l’on devrait se limiter à ce dépistage, puisque le vaccin n’est pas une protection complète.

« La meilleure stratégie est de combiner les deux, puisque le vaccin ne protège pas contre tous les types de virus qui donnent des cancers, estime Lisen Arnheim Dahlström, épidémiologue au Karolinska Institutet de Stockholm (Suède). Un dépistage régulier donne une forte protection contre le cancer, mais non contre les lésions précancéreuses, ni contre les condylomes et les verrues génitales. De plus, certains cancers liés au virus (anogénitaux ou oraux) ne peuvent pas être dépistés. Le dépistage et le vaccin sont complémentaires. »

On peut ajouter que le recul n’est pas encore suffisant pour savoir jusqu’à quel point le vaccin protège durablement contre le cancer. Mais dans l’état actuel des connaissances, la vaccination offre un avantage certain. À condition, bien sûr, qu’elle n’entraîne pas de risques excessifs.

  • Le « profil de sécurité » du vaccin est satisfaisant

 

À ce jour, plus de 127 millions de doses de Gardasil ont été distribuées dans le monde, selon l’Ansm. Le vaccin étant administré en trois doses, cela représente des dizaines de millions de personnes vaccinées. En France, le vaccin a fait l’objet d’une surveillance particulière – un « plan de gestion des risques » – dès son introduction. La pharmacovigilance a rapporté 435 effets indésirables graves, dont 135 maladies auto-immunes parmi lesquelles 15 cas de sclérose en plaques. L’Ansm a mené une étude à grande échelle, sur une cohorte de près de 2 millions de jeunes filles nées entre 1992 et 1996 et suivies entre 2008 et 2010. Cette étude n’a pas fait apparaître une augmentation du nombre de maladies auto-immunes – dont la sclérose en plaques – parmi les jeunes filles qui ont reçu le vaccin (environ 600 000). Statistiquement, on ne voit aucune différence significative entre l’incidence des maladies auto-immunes chez les filles vaccinées et chez celles qui n’ont pas reçu d’injection.

Ces résultats sont en accord avec d’autres grandes études internationales. Aux États-Unis, l’étude du CDC de juillet 2013 citée plus haut conclut que le Gardasil est « sûr ». Sur un total de 21 194 événements indésirables rapportés, un peu moins de 8 % ont été classés comme graves. Ce sont pour l’essentiel des maux de tête, des nausées, de la fatigue ou des syncopes. On n’observe pas d’augmentation des maladies auto-immunes.

Une étude scandinave, dirigée par Lisen Arnheim-Dahlström, citée plus haut, a porté sur environ 1 million de jeunes filles de 10 à 17 ans, suédoises ou danoises, dont un tiers a été vacciné. L’étude, publiée dans le BMJ en 2013, considère notamment l’éventualité d’un lien entre le vaccin et 23 maladies auto-immunes. Seules trois de ces maladies présentent une incidence accrue avec le vaccin (pas la sclérose en plaques), mais l’analyse montre qu’il n’y a pas de relation causale. L’étude conclut qu’il n’y a pas de preuves démontrant une association entre l’exposition au Gardasil et des effets indésirables auto-immunitaires, neurologiques ou thrombo-emboliques. Lisen Arnheim-Dahlström, interrogée par Mediapart, nous a confirmé qu’elle n’avait « pas connaissance de cas de sclérose en plaques pouvant être associés au vaccin, que ce soit en Suède ou dans d’autres pays ».

Signalons aussi une analyse australienne, dirigée par Kristine Macartney (National Centre for Immunisation Research and Surveillance, Westmead), et parue en mai 2013 dans Drug Safety. Cet article passe en revue l’ensemble des études réalisées dans le monde sur la sécurité des deux vaccins, Gardasil et Cervarix.

L’article conclut : « En dépit des inévitables publications rapportant des cas qui mettent en avant une association possible entre la vaccination contre le HPV (papillomavirus humain) et un certain nombre de maladies chroniques graves dont les causes sont mal connues comme la sclérose en plaques, les preuves qui se dégagent des études de populations bien conduites n’ont pas identifié de problème de sécurité nouveau et inquiétant. » Et les auteurs ajoutent que globalement, la littérature scientifique démontre, pour les deux vaccins, « un excellent profil de sécurité ».

Soulignons que toutes les études citées ici sont publiques et n’ont pas été financées par les sociétés qui produisent les vaccins. Au total, environ 200 études ont été menées sur la sécurité du Gardasil et du Cervarix. Il n’y a pas, à ce jour, d’argument scientifique démontrant que ces vaccins peuvent causer une sclérose en plaques.

 

  • Quel peut être le rôle du vaccin dans le déclenchement d’une sclérose en plaques ?

 

Les deux experts qui ont étudié le cas de Marie-Océane Bourguignon n’en disconviennent pas. Ils ne sont pas totalement en accord sur l’analyse du cas, ce qui explique qu’ils aient rédigé deux rapports distincts. L’un d’eux, le docteur François Rouanet, neurologue au CHU de Bordeaux, rappelle que la question du lien entre vaccin et sclérose en plaques a été posée en France, d’abord à propos du vaccin contre l’hépatite B. Il observe qu’« aucune donnée de la littérature ne permet d’affirmer que la vaccination contre l’hépatite B augmente le risque de SEP (sclérose en plaques) dans les populations étudiées ». Pour le docteur Rouanet, « la SEP étant une maladie dont le début physiopathologique précède vraisemblablement le début clinique de plusieurs années, le rôle des vaccins s’il était avéré serait de favoriser l’expression d’un épisode aigu, d’une première poussée ou d’une poussée ultérieure ».

Le docteur Rouanet applique un raisonnement similaire au cas de la jeune patiente, dont il considère qu’elle a un terrain favorable à la sclérose en plaques, du fait d’antécédents familiaux. Il écrit que la « relation d’imputabilité de la vaccination dans la maladie inflammatoire n’est pas certaine ni exclusive ».

Son collègue, le docteur Larbi Benali, des hôpitaux de Bordeaux, écrit qu’« il n’existe aucun élément scientifique en faveur de l’incrimination du Gardasil en lui-même comme facteur favorisant les pathologies inflammatoires démyélinisantes du système nerveux central ». Il juge que la jeune patiente « aurait pu décompenser sur ce mode de syndrome démyélinisant en étant exposée à d’autres stimuli ». Autrement dit, si elle n’avait pas été vaccinée, elle aurait pu ne pas tomber malade, ou bien sa maladie aurait pu être déclenchée par une autre cause que le vaccin.

Au total, on ne peut exclure que dans certains cas – forcément très rares, sinon ils auraient été détectés dans les études épidémiologiques  – la vaccination déclenche une pathologie auto-immune telle que la sclérose en plaques. Mais il n’existe, à ce jour, aucun moyen de prévenir un tel risque – s’il existe – sauf à renoncer à l’usage, non seulement du Gardasil, mais des vaccins en général, alors que ceux-ci évitent de nombreuses maladies et sauvent de nombreuses vies.

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