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Le procès de la juge Prévost-Desprez vire au grand déballage

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Bordeaux, de notre envoyé spécial. « Comme je suis prévenue, je peux tout dire », lance Isabelle Prévost-Desprez d’un air un peu las et faussement ingénu. Être « prévenue », en l’occurrence, signifie comparaître devant le tribunal correctionnel, à Bordeaux, et devoir répondre d’un délit. Alors, quitte à être là, jugée de façon un peu curieuse pour d’éventuelles « violations du secret professionnel » au démarrage de l’affaire Bettencourt, en 2010, autant raconter ce qui se passe dans le secret des tribunaux. Les petits et grands secrets. La folie des hommes.

Puisqu’on la traîne en correctionnelle comme un délinquant, l'actuelle présidente de la XVe chambre de Nanterre saisit l’occasion, lors du traditionnel examen de personnalité. Elle déballe tout. Ses rapports avec Philippe Courroye qui se sont dégradés progressivement, lorsque tous deux étaient juges d’instruction au pôle financier de Paris, notamment co-désignés sur le dossier de l’Angolagate. « Un jour où j’avais besoin de pièces, je suis entrée dans le cabinet de Philippe Courroye, et il était en train de remettre des PV à un journaliste. Ils étaient blêmes », lance-t-elle. Le même magistrat aurait tenu une fois des propos antisémites en sa présence. Enfin, il n’aurait pas respecté la procédure, en envoyant « la secrétaire de Charles Pasqua » passer la nuit au dépôt à l’issue de sa garde à vue pour la faire déférer. Le ton du procès est donné.

Isabelle Prévost-DesprezIsabelle Prévost-Desprez © Reuters

Nommée au tribunal de Nanterre, Isabelle Prévost-Desprez y est d’abord juge d‘instruction, et trouve de vieux dossiers en jachère, dont l’un concernant la mairie de Puteaux, poursuit-elle. Après une perquisition dans le fief de la famille Ceccaldi-Raynaud, la protection policière dont elle bénéficiait – après avoir reçu des menaces de mort – lui est subitement « retirée par Nicolas Sarkozy », glisse la juge.

Devenue présidente de la XVe chambre correctionnelle de Nanterre spécialisée dans les affaires financières, elle découvre une autre facette de Philippe Courroye, un « ami de Nicolas Sarkozy », « nommé à Nanterre contre l’avis du CSM [le Conseil supérieur de la magistrature – ndlr] », « parce que Nicolas Sarkozy avait été président du conseil général des Hauts-de-Seine et que ses amis étaient encore là ». Isabelle Prévost-Desprez dit alors voir arriver des dossiers « volontairement incomplets », le procureur refusant de désigner des juges d’instruction dans les affaires financières et préférant ouvrir de simples enquêtes préliminaires. « Parfois, il manquait le PV de synthèse du service de police spécialisé qui résumait toute l’affaire. Ce n’était pas fait pour nous faciliter la tâche », confirmera à la barre le témoin Christophe Régnard, qui a siégé à ses côtés. « Il y avait beaucoup de renvois, et des relaxes. »

Les digues sont grandes ouvertes. La juge Prévost-Desprez évoque le fameux déjeuner organisé chez lui par Philippe Courroye avec l’homme d’affaires Jean-Charles Naouri (employeur de l’épouse du magistrat, alors visé par plusieurs plaintes), l’avocat du grand patron, Paul Lombard, et le commissaire de police chargé de superviser ces dossiers sensibles. Un mélange des genres qui, une fois divulgué, a peut-être empêché Philippe Courroye d’être promu procureur de Paris. « Ce déjeuner aurait dû déclencher une enquête pour trafic d’influence. Je l’ai dit à ma hiérarchie, mais elle  n’a rien fait. C’est une honte pour l’image d’impartialité de la justice française », assène Isabelle Prévost-Desprez. La tension monte encore à Nanterre avec l’affaire du compte bancaire piraté de Nicolas Sarkozy, au cours de laquelle la présidente et ses deux assesseurs s’interrogent sur le fait que le président de la République puisse juridiquement être partie civile, provoquant la fureur du procureur Courroye.

C’est dans ce contexte que les avocats de Françoise Meyers-Bettencourt, Olivier Metzner et Nicolas Huc-Morel, décident de saisir directement la présidente de la XVe chambre au moyen d’une citation directe visant François-Marie Banier, pour contourner l’inertie du procureur Courroye qui laisse mijoter à petit feu une enquête préliminaire depuis près de deux ans. Une véritable déclaration de guerre.

À partir de septembre 2009, Philippe Courroye diligente une enquête pour vérifier si la présidente de la XVe chambre a obtenu ce dossier dans des conditions normales. En vain. Il adresse ensuite un rapport à la présidente du tribunal de Nanterre, Chantal Arens, pour se plaindre de la façon dont travaille Isabelle Prévost-Desprez. Nouvel échec. Viennent ensuite les demandes de dessaisissement, et les attaques de Georges Kiejman, censé défendre alors les intérêts de Liliane Bettencourt.

La magistrate tient bon. Les fuites se multiplient dans la presse. « Philippe Courroye se rendait régulièrement à l’Élysée. Je représentais un danger, et il fallait m’écarter », assure-t-elle. Tentant une manip' assez complexe, le procureur de Nanterre lui aurait imputé à tort, et de façon machiavélique, la fuite d’une demande de perquisition chez Georges Kiejman visant à récupérer le dossier médical de Liliane Bettencourt. Isabelle Prévost-Desprez le répète, on a tout tenté pour la faire dessaisir du dossier : « Si j’avais été une gentille magistrate, j’aurais attendu mon avancement et ma médaille. »

Plusieurs témoins viennent confirmer à la barre le climat délétère, la violence sourde qui régnaient alors au tribunal de Nanterre. Bruno Houssa, ancien juge assesseur à la XVe chambre, raconte que le parquet de Nanterre « a refusé de transmettre les enregistrements Bettencourt au tribunal ». Étrange. « On a ressenti une collusion entre le parquet et Georges Kiejman pendant toute cette procédure pour faire dessaisir Isabelle Prévost-Desprez », poursuit le magistrat. Il revient sur le fac-similé d’un extrait de procès-verbal publié par Le Figaro et rappelle que « les avocats, le parquet et les policiers ont accès à ces PV ». Il en est certain, jamais Isabelle Prévost-Desprez, « une magistrate rigoureuse, une professionnelle », n’aurait fait une chose pareille.

Le témoignage de Benjamin Blanchet est plus marquant encore. Alors substitut au parquet financier de Nanterre, il remarque que certains dossiers financiers sont curieusement aiguillés par le procureur vers une autre chambre que la XVe. Ce jeune magistrat a le tort de saluer Isabelle Prévost-Desprez et de reconnaître ses qualités professionnelles. Après un dossier traité avec elle, concernant l’ancien maire d’Asnières, on ne lui adresse plus la parole au parquet. « J’étais passé à l’ennemi. J’étais devenu un traître parce que j’avais des relations normales avec Isabelle Prévost-Desprez », relate-t-il.

Selon ce témoin, la présidente de la XVe chambre s’est toujours comportée en grande magistrate et en femme courageuse. « Le conflit était entretenu avec soin par le procureur, son adjointe et la chef de la division économique et financière.» Ému, il rappelle aussi le suicide d’un collègue et ami du parquet de Nanterre, Lionel Beauvais, en 2012, qu’il situe dans ce contexte littéralement invivable.

Le troisième témoin, Christophe Régnard, a siégé à Nanterre aux côtés d’Isabelle Prévost-Desprez et l’a ensuite défendue, en marge de l’affaire Bettencourt, en tant que président de l'Union syndicale des magistrats (USM, modérée et majoritaire). Lui aussi revient en détail sur « l’obstruction du parquet » dans l’affaire Bettencourt, les « difficultés rencontrées par un magistrat du siège », et le travail qu’il a effectué auprès des médias pour expliquer les enjeux institutionnels de cette affaire. Une affaire Bettencourt où « il y avait déjà beaucoup de fuites dans l’enquête préliminaire du procureur Courroye », rappelle-t-il.

Après un article du Monde annonçant une perquisition ordonnée par Isabelle Prévost-Desprez chez Liliane Bettencourt, Georges Kiejman avait aussitôt déposé plainte, et Philippe Courroye avait ouvert une enquête sur-le-champ, demandant les fadettes des journalistes. L’avocat et le procureur voulaient, en fait, éclabousser Isabelle Prévost-Desprez et obtenir son dessaisissement, un des auteurs de l’article étant de ses amis. Liliane Bettencourt n’a pas même signé la plainte, que son avocat de l’époque semble avoir rédigée de sa propre initiative. L’enquête du procureur Courroye sera annulée par la suite, l’affaire de la fuite n’étant pas assez grave pour violer le secret des sources. La procédure a pourtant repris à Bordeaux.

Accusée d’avoir annoncé la perquisition, et même d’avoir divulgué des extraits de PV par SMS, Isabelle Prévost-Desprez dément catégoriquement, et se défend pied à pied. Certes, elle envoie beaucoup de SMS et elle connaît des journalistes, mais elle n’aborde jamais le fond de ses dossiers et respecte toutes ses obligations de magistrate, expose-t-elle. Le tribunal s’étonne tout de même du nombre de messages échangés avec des journalistes au plus fort de l’affaire Bettencourt, à l’été 2010, mais constate que le contenu des SMS ne figure pas au dossier du jour.

Par ailleurs, les débats montrent que beaucoup de monde avait accès au dossier Bettencourt, en 2010. Certaines fuites venaient de l’Élysée, du ministère de l’intérieur, du ministère de la justice, de policiers, d’avocats… Isabelle Prévost-Desprez reconnaît seulement avoir démenti une fausse nouvelle, en précisant à un journaliste qu’elle ne participait pas elle-même à la perquisition chez Liliane Bettencourt.

Nicolas Sarkozy et Philippe Courroye.Nicolas Sarkozy et Philippe Courroye.

L‘accusation s’effondre d’un coup à l’audience, lorsqu’on apprend ceci : à peine prévenu de la perquisition par les policiers, l’infirmier de la milliardaire, en vacances avec elle en Espagne, avait immédiatement appelé l’avocat, Pascal Wilhelm, et la communicante, Marion Bougeard. Des pistes de fuite qui n’ont pas été explorées. Ces SMS étaient pourtant antérieurs à l'un de ceux reprochés à Isabelle Prévost-Desprez. La magistrate, elle, a eu droit à une perquisition à son domicile. Ses comptes bancaires, ses communications téléphoniques, ses mails personnels et professionnels ont été épluchés. « J’ai été traitée comme une trafiquante de stupéfiants », dit-elle.

« A-t-elle une immunité ? Est-elle au-dessus de tout soupçon ? » ironise en retour le procureur-adjoint Gérard Aldigé, dans un réquisitoire violent, méchant, et excessif compte-tenu de la faiblesse du dossier. Ce procureur à l’ancienne, grand défenseur de présomption d’innocence, fulmine contre les fuites « destructrices pour les personnes mises en cause » dans les enquêtes. Semblant déplorer l’existence du droit à l’information, il ne peut s’empêcher de maudire la presse, qui viole le secret de l’instruction, et il ne comprend pas pourquoi et comment une magistrate peut avoir des contacts avec des journalistes. Il défend, en revanche, le travail de Philippe Courroye.

Seul Gérard Aldigé voit des « preuves » dans ce dossier, là où avocats et témoins ne discernent que des indices et des coïncidences. Ce même procureur qui a requis la relaxe en faveur d’Éric Woerth, Pascal Wilhelm et Stéphane Courbit, dans le procès pour abus de faiblesse, puis la relaxe d’Éric Woerth et Patrice de Maistre, dans le procès pour trafic d’influence, demande maintenant la condamnation d’Isabelle Prévost-Desprez pour violation du secret professionnel. Elle risque théoriquement un an de prison, mais il ne demande contre la magistrate que 5 000 euros d’amende. Tout ça pour ça…

Les avocats du tuteur de Liliane Bettencourt, partie civile, rappellent qu’Isabelle Prévost-Desprez a sauvé le dossier d’abus de faiblesse jugé voici quelques semaines. François Saint-Pierre, le défenseur d’Isabelle Prévost-Desprez, démonte quant à lui l’accusation de violation du secret professionnel, et fait une petite leçon de droit au procureur. Sur le fond de l’affaire, l’avocat déclare notamment ceci : « Le parquet de Nanterre exécutait des ordres politiques à cette époque, et il a trahi sa mission. Il est indigne de vouloir désigner un bouc émissaire, on ne peut pas attaquer un juge comme cela, au prétexte d’un article de presse. C’est une question de principe », conclut-il en plaidant la relaxe.

Isabelle Prévost-Desprez, « attristée » des attaques reçues depuis cinq ans, ajoute encore quelques mots : « Je suis et resterai une femme libre et une magistrate indépendante. »

Le jugement sera rendu le 2 juillet.

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