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PS: le congrès de Poitiers n'a rien arrangé

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Poitiers, de notre envoyé spécial.- Ils avaient le choix entre la clarification et la mort. Ils n’ont pas choisi la clarification. Lors des trois jours d’interventions à la tribune de Poitiers ce week-end, les socialistes ont livré un congrès dilettante, à l’image de ces temps de débats rabotés d’au moins trois heures en deux jours, dans une salle souvent clairsemée, au contraire de la buvette en plein air. La faute à un moment vidé d’enjeu, autre qu’une obscure répartition des postes entre sensibilités au sein des instances.

Les plus optimistes imputent cela à la dernière réforme des statuts qui plie le match avant de le jouer, en ayant institué l’élection du premier secrétaire avant le congrès. « Le temps des nuits de résolution incertaines est terminé, nous avons évolué vers un congrès de type syndical », explique le député François Lamy, qui fut l’un des artisans de cette nouvelle règle. « C’est mieux pour nous qu’il ne se passe rien, le congrès devient un lieu de travail d’où l’on ressort avec une orientation. » Problème, les « résolutions » qui ont été « travaillées » et adoptées à Poitiers peinent à convaincre de la pertinence de la démonstration.

Aucune idée nouvelle ni annonce ambitieuse, seulement un débat sur l’Europe hors-sol (lire notre article), et une anodine « lettre au peuple de France » (lire ici), se voulant “motion de synthèse” de substitution, mais ne parvenant pas à obtenir le soutien des opposants internes de la motion B. Aucun débat sérieux sur la ligne politique n’ayant été tranché par un quelconque vote des 300 délégués, ce congrès n’aura pas été l’occasion de se dire les choses ni d’en tirer les conséquences.

Résultat, les divisions demeurent et chacun campe sur ses positions. Les “frondeurs” assument finalement plus que jamais leur statut. Adversaire battu de Jean-Christophe Cambadélis, le député Christian Paul l’a encore redit ce dimanche, en marge de la tribune : « Il y a toujours deux gauches qui restent en débat au sein du PS. » Au micro, le discours de son acolyte Laurent Baumel aura illustré le propos, partageant l'assistance entre applaudissements et sifflets, pendant que Manuel Valls quittait ostensiblement sa chaise pour organiser un échange avec les journalistes en plein milieu de la salle. « Il reste des socialistes qui vont continuer à se battre dans les semaines à venir, a dit le député. On ne peut pas réduire nos défaites électorales à l’impatience infantile d’un peuple qui ne comprendrait pas les difficultés de l’exercice du pouvoir. » Avant de conclure : « Rien ne nous garantit que ce congrès de Poitiers ne soit pas le dernier. »

La tonalité du discours du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, n’a pas franchement dû rassurer les inquiets. Toujours plus grave, au point d’en devenir lugubre, « Camba » a livré un discours peu applaudi jusqu’à sa conclusion. Même ses appels au « renouveau » et à « l’irruption des citoyens » dans une « alliance populaire, plus mouvement que cartel » qu’il promet, résonnent comme un discours d’enterrement. L’heure n’est pas à l’enthousiasme ni à l’audace, mais au « respect le plus total » et au « soutien le plus entier » du gouvernement.  

Comme pour le discours de Valls la veille – et pour une grande majorité d’autres durant le week-end –, Cambadélis n’a pas parlé lutte de classes, mais laïcité, identité, terrorisme… Et péril sarkozyste, de façon aussi insistante que s’il était encore au pouvoir. C’est le véritable enseignement idéologique de ce congrès. Il tient en une phrase, en une « mue », qui a traversé les interventions de nombreux orateurs : la République plutôt que le socialisme.

Manuel Valls a imprimé en ce sens la marque réelle de la fin du quinquennat, ce samedi (lire notre analyse). De l’ode à la Défense française au rappel de l’esprit du 11-Janvier (« Nous sommes et nous resterons Charlie »), en passant par l’éloge du combat face aux « salafistes et Frères musulmans qui cherchent à étendre en Europe leur influence pernicieuse », le premier ministre a redéfini à sa façon les nouveaux totems de la gauche au pouvoir. « La République, c’est l’autorité, c’est le respect de la loi, c’est l’ordre public, c’est la protection due à chacun, c’est la sécurité », a-t-il expliqué. La laïcité est définie comme un « rempart contre tous les intégrismes et tous les communautarismes, les pensées rétrogrades qui enferment les femmes, notamment dans leur vie ou bien derrière un voile ».

Les proches de François Hollande ont souvent été les premiers à défendre ce positionnement devant la salle. On a ainsi pu entendre le président du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Leroux, claironner : « La sécurité et la patrie étaient des thèmes de droite, ils ne le sont plus. » Quant à l’égalité, elle se résume essentiellement aux réformes scolaires qui ont été assumées tout au long du congrès, le nom de la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem étant applaudi à tout coup.

Sans que cela ne soit en fait si incohérent, le parti socialiste de 2015 a des furieux airs d’époque Hollande en fin de mandat à Solférino, en 2008. Le pouvoir local en moins, mais le pouvoir national en plus. Durant ce congrès, le parti est ainsi apparu désidéologisé, résolument optimiste sans raison sérieuse de l’être, professionnalisé à outrance, démobilisé et sans grande dynamique militante, se montrant seulement capable de critiquer Sarkozy. Et comme à la fin des « années Hollande » au parti, la majorité du PS reste large et hétéroclite, mais composée de gens pensant déjà à l’après sans le dire. Quant à l’opposition interne, elle se demande ce qu’elle fait encore là, tout en tergiversant sur la meilleure façon de peser à gauche.

Pour les vainqueurs de ce congrès, ceux qui soutiennent l’action du gouvernement, les discours de tribune se sont souvent limités à des appel à l’unité et à la « fierté socialiste ». Comme autant de litanies d’incantations sans incarnation, traçant les contours d'un congrès imposant le statu quo et figeant les positions.

Car dans la pratique, rien de concret. Aucune inflexion n’a été concédée laissant entrevoir un « deuxième temps » du quinquennat qui serait différent du premier. Aucune annonce n’a amorcé un embryon de changement de cap, les congressistes n'ont même pas eu droit à un geste envers l’électorat de gauche. Aucune accélération du calendrier d’hypothétiques réformes indiquées dans la motion A, un texte pourtant signé par tout le gouvernement, n’a été envisagée.

La réforme fiscale et bancaire, pourtant présente dans les textes de chaque sensibilité, s’est résumée à des évocations de la mise en œuvre de l’impôt à la source. La loi Macron, qui revient pourtant en discussion à l’Assemblée dès ce lundi, n’a même pas été déminée. Ni sur le travail du dimanche, dont l’ambiguïté de l’opposition « à toute nouvelle extension » affirmée dans la motion A n’a pas été levée (lire ici et ici). Ni sur la possibilité d’un nouvel usage de l’article 49-3 pour la faire adopter en force.

Aucune avancée concrète non plus n’a été constatée sur la réalisation d’une improbable « maison commune des progressistes », qui semble toujours ne séduire que Jean-Luc Bennahmias, Jean-Vincent Placé et Robert Hue. Aucune réflexion enfin sur l’état des institutions. Mais une méthode Coué à toute épreuve. « Fier d’être socialiste » a été décrété « slogan du congrès » par François Rebsamen, et il est vrai que la formule fut souvent déclinée par les intervenants de la motion A. Le message a été martelé : il faut y croire, point. « La gauche est bien plus regrettée quand elle a perdu, que soutenue quand elle est au pouvoir », a ainsi tenté d'expliquer le député Razzy Hammadi.

À aucun moment, ce congrès n’a davantage mis en scène un rassemblement du parti, sans même s’embêter avec la façade. Les partisans de l’action gouvernementale ont choisi d’assumer à la tribune ce qu’ils considèrent être leur victoire. Plus de place désormais aux débats. « Sans l’unité des socialistes, rien n’est possible, et c’est pour cela que les Français s’abstiennent, a ainsi culpabilisé le député Carlos Da Silva, suppléant de Manuel Valls. Ils nous disent : "Comment vous faire confiance si vous ne vous faites pas confiance". »

Le président du groupe au Sénat, Didier Guillaume, a évacué de son côté toute nécessité de respecter les inflexions contenues dans le texte de la motion A : « Un congrès réussi n’est pas une vision notariale, qui définirait quelle mesure est plus de gauche, ou moins à gauche. » Son homologue à l’Assemblée, Bruno Leroux, a lui vite fait de tirer le bilan : « Notre cap est réaffirmé, la cacophonie qui nous dessert tous est condamnée par les militants, nous devons désormais faire partager nos convictions à un maximum de Français. » En définitive, seul Manuel Valls a consenti un regret, faussement autocritique comme on fait le faux modeste : « Nous n’avons pas assez dit à quel point la situation était dégradée en 2012. »

Tout ne serait dès lors qu’affaire de temps, ainsi que l’a indiqué François Rebsamen, ministre du travail à la limite de la pensée magique : « Le déclinisme fait le lit de l’extrémisme. La vérité, c’est que la France va mieux, même si les Français peinent encore à retrouver la confiance ! Pour que les résultats soient là, il faut de la constance et de la persévérance. »

Plus politique, le ministre de l’agriculture (et porte-parole du gouvernement) Stéphane Le Foll a été le seul à tenter d’esquisser une théorisation de la solidarité, qui soit compatible avec les exigences d’un congrès d’un parti se disant encore à gauche : « Le débat n’est pas de savoir qui est plus ou moins à gauche, mais quelle est la meilleure façon de préserver notre modèle social. » Une approche identique à celle de Jean-Christophe Cambadélis, qui a défini le soutien du PS à Hollande en estimant que « la France a de la chance que vous mettiez en œuvre son redressement sans remettre en cause son modèle social ».

Rares ont été les moments où les socialistes ont tenté de pousser plus loin leurs divergences. Seule passe d’armes de ce congrès : entre l’ancien ministre de l’éducation Benoît Hamon et l’encore ministre des relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen. Le premier a reproché au second de considérer, ainsi qu'il l'a écrit dans une note à la Fondation Jean-Jaurès en mars dernier, que « s’il est des époques où la République est au service de l'idéal socialiste, le socialisme doit aujourd’hui se mettre au service de la République ». Aux yeux de Hamon, « cette vision est celle de la SFIO de Guy Mollet, qui a conduit à la Troisième Force et à l’alliance avec la droite, avant la défaite électorale ». Et d’estimer au contraire que « sans le socialisme, la République est vide ».

La réplique de Le Guen ne s’est pas fait attendre : « Ce congrès a permis la clarification. Dans l’histoire de la République, la gauche de la gauche a soutenu souvent, trop souvent, d’autres principes que la gauche au pouvoir. Mais Jaurès était républicain avant d’être socialiste. Il n’était pas frondeur, il était rassembleur. » Et d'accuser l’aile gauche du parti d’être les héritiers de Jules Guesde, « sectaire et dogmatique », et même du Guy Mollet des débuts et de « ses programmes maximalistes ». Lui aussi sera l’un des rares à essuyer des sifflets de la salle, quand il osa une hasardeuse provocation : « Nous soutenons Tsipras en Grèce, dans ses difficultés avec la gauche de la gauche. » Avant d’interpeller les siffleurs façon troll de compétition : « Mais qui sifflez-vous ? Tsipras ou la gauche de la gauche ?! »

Pour autant, le député de Paris a été le seul à oser assumer une ligne pragmatique et centriste. À l’instar de Manuel Valls, personne n’a versé dans le rejet des « vieilles lunes » et autres « idéalismes archaïques » dénoncés par le passé. Tout juste le premier ministre a-t-il glissé dans un discours où les déclarations d’amour à « l’entreprise » ont été remplacées par un « J’aime les socialistes », qu’il n’y aurait « pas de pause » dans la construction d’une « économie compétitive ». Tout juste a-t-il aussi soufflé que « la gauche a évolué dans son rapport aux entreprises », désormais vues comme « des lieux où l'on crée de la valeur ».

Dans la motion B, on n’en finit plus de déchanter face à cet aggiornamento républicain et démocrate du PS, où le socialisme est devenu secondaire. Et on tâtonne face au précipice qu’on annonce, comme sur la meilleure façon de se raccrocher aux branches pour éviter l’abîme.

« Lionel Jospin ne fréquentait pas ces sommets progressistes où s’expérimentait une “troisième voie” avant de connaître les sifflets des peuples », a regretté Christian Paul. « Prenons garde à ce que Podemos ne ringardise pas le parti socialiste », a ajouté le chef de file des “frondeurs de congrès”, qui s’inquiète de « ces verrous que l’on prétend faire sauter, derrière lesquels se cachent souvent des régressions ».

Le point de vue est le même chez Emmanuel Maurel : « J’aurais préféré que ceux qui se reconnaissent dans Blair et Schröder, et prônent la disparition du code du travail, se comptent devant les militants ». Pour l’eurodéputé, l’avenir est compromis si l’on continue d’employer des « mots creux, vides, décalés par rapport à la vie des gens ». « Si nous sommes simplement là pour gérer le système, certes mieux que la droite, nous seront impuissants et ennuyeux », prophétise-t-il.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

Les ailes gauches du parti constatent aussi la réalité de l’alignement de Martine Aubry dans la majorité Cambadélis/Valls/Hollande. Pourtant remise en cause par le ministre Patrick Kanner dans sa propre fédération du Nord, les aubrystes ont tenté de jouer les traits d’union en cherchant un point de compromis. Ainsi le député Jean-Marc Germain a-t-il rappelé ce qu’il estime être la feuille de route délivrée par le congrès : « Débattre en amont au parti, ressouder la gauche et faire un nouveau contrat de gouvernement. » Mais qui d’autre à part lui y croit sincèrement ?

Pas Benoît Hamon en tout cas, qui a laissé entrevoir la possibilité de mettre un pied en dehors du parti. Appelant à « avoir la même lucidité face au vote des militants que celle qu’il faut avoir face à celui des électeurs », il a estimé que « lucidement, les militants ont approuvé le tournant politique et idéologique » du socialisme au pouvoir. « J’espère que votre orientation sera la bonne, et j’espère que nous nous trompons », a-t-il poursuivi. Avant de comparer l’électorat de gauche « divisé en deux », avec un dialogue entre le caricaturiste Daumier et le peintre Ingres. Au premier qui disait: « Il faut épouser son temps », le second répondait: « Et si le temps a tort ? » Et Hamon de conclure : « Aujourd’hui, il faut des dirigeants socialistes pour dire que le temps a tort. »

En résonance avec la tribune au vitriol d’Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse dans le JDD, l’avenir semble se jouer ailleurs pour certains au parti. Le député Pouria Amirshahi veut accélérer la naissance d’un « mouvement commun » qui se réunirait en dehors du PS, avec les battus de Poitiers, les écologistes et une partie du Front de gauche.

« Il faut admettre que le PS est comme la SFIO, un appareil inchangeable de l’intérieur par le débat, explique le député Gwenagan Bui. En 50 ans, la SFIO n’a connu qu’un changement de majorité, Blum battu par Guy Mollet en 1946. Même Mai-68 n’avait pas eu d’incidence sur le parti. Au moins on aura essayé, pas comme sous Jospin. Mais cette structure d’élus ne peut plus se transformer que par l’extérieur. » Combien de temps faudra-t-il pour que ce constat ouvre un chemin vers un nouvel Épinay ?

BOITE NOIRECet article s'appuie essentiellement sur les discours tenus à la tribune du congrès de Poitiers, samedi et dimanche.

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