Poitiers, de notre envoyée spéciale
« C’est crépusculaire. » Au congrès du Parti socialiste, les membres du gouvernement et leurs conseillers sont aussi dubitatifs que les militants encore actifs dans le parti au pouvoir. Le premier ministre Manuel Valls a bien sûr été ovationné. Il a fait se lever la salle pour saluer François Hollande, « un grand président ». Il n’y a pas de drame, ni de sifflets, à peine des débats. La majorité du PS soutient le gouvernement et le chef de l’État continue de croire à sa réélection. Mais sans que l’on sache bien comment, pourquoi et par qui il serait à nouveau porté au pouvoir en 2017. « C’est le mystère de ce quinquennat », glisse le député Christian Paul, chef de file des ailes gauche lors de ce congrès (motion B).
Dans son discours, Manuel Valls n’a pas levé les doutes : il a livré une copie propre, tapant adroitement sur la droite, cochant toutes les cases auxquelles les socialistes sont attachés (réformes économiques mais aussi République et même un passage assez long sur « l’égalité réelle »), et insistant sur son appartenance à la gauche. « Je respecte le Parti socialiste et j'aime les socialistes. Je suis militant depuis 1980 et je sais ce que je vous dois », a lancé le premier ministre face à une salle acquise. Puis : « Soyons fiers d’être de gauche, soyons fiers d’être français. » « Il n’y a pas d’aventure personnelle, il n’y a que des réalisations collectives. Vous pouvez être certains de ma loyauté sans faille au président de la République », a-t-il aussi assuré. Sans surprise, Manuel Valls a été vivement applaudi – cela n’a pas toujours été le cas dans les cénacles socialistes –, y compris quand il a rendu hommage à Bernard Cazeneuve pour l’expulsion du père de Mohamed Merah.
Congrès du PS : samedi 6 juin [1ère partie] par PartiSocialisteLe discours de Manuel Valls (à partir de 1'58)
De la suite du quinquennat on ne saura rien de plus. Les réformes vont continuer, notamment pour les entreprises : de nouvelles mesures seront annoncées mardi pour les PME et les très petites entreprises (TPE). Le prélèvement à la source de l’impôt devra aussi être progressivement instauré, a rappelé Valls. Mais il n'a rien dit du « temps II du quinquennat », promis durant la campagne, que rappellent les proches du président de la République à intervalles réguliers. « C’était un discours vallsien de bout en bout. Il voulait montrer qu’il pouvait être celui qui rassemble les socialistes. Et qu’il n’est plus le vilain petit canard ou celui qui faisait 5 % à la primaire… Pour le reste, ce n’était ni le moment ni le lieu », résume une ministre du gouvernement.
Le seul objectif de Poitiers est d’afficher un PS rassemblé autour de la motion majoritaire qui a recueilli 60 % des suffrages, mais il n’est ni question de lancer une nouvelle dynamique politique, ni un dialogue avec les autres forces de gauche. Elles étaient quasi absentes ce samedi 6 juin : on a surtout vu Jean-Vincent Placé pour les pro-gouvernements d’Europe Écologie-Les Verts, Jean-Luc Bennahmias et son Front démocrate, reçu de temps à autre à l’Élysée, Robert Hue, soutien de Hollande depuis 2012, ou le MRC de Jean-Pierre Chevènement, assister au discours de Manuel Valls.
Ce congrès résume la méthode Hollande depuis qu’il est à l’Élysée : une somme de petites habiletés grâce auxquelles les diverses sensibilités de sa majorité doivent pouvoir se retrouver, pour gérer le temps qui le sépare du rendez-vous de 2017. Ses proches sont persuadés que les électeurs ne veulent pas une politique plus à gauche, mais « plus efficace ». D’où le message de Manuel Valls répété encore samedi : « La gauche, je la veux généreuse, efficace. » Derrière l’élément de langage, c’est toujours la même attente : celle d’une reprise qui tarde mais qui – espère-t-on à l’Élysée – s’amorce pour de bon, et devrait permettre un recul du chômage.
Le président attend donc toujours « l’inversion de la courbe » dont il a fait la condition de sa candidature à sa succession. Le reste, pense-t-il, n’est que bavardages et il lui faut simplement continuer à gérer tant que bien mal les mois qui viennent. « Il attend que tout se décante autour de lui, que les choses retombent », décryptait il y a peu un bon connaisseur de la méthode “hollandaise”.
Les partisans de François Hollande s’attendent encore à quelques semaines politiques difficiles : la loi Macron doit revenir devant l’Assemblée nationale, avec la menace d’un nouveau 49-3, et d’autres textes (renseignement, loi Rebsamen sur le dialogue social) risquent aussi de diviser les socialistes. La petite musique médiatique sur les “frondeurs” continuera donc de brouiller le message que veulent marteler les “hollandais” et les “vallsistes”. Dès dimanche, Arnaud Montebourg, l'ancien ministre débarqué en août dernier, a brouillé « la bonne séquence » de Manuel Valls (dixit son entourage), en publiant une tribune dans le JDD, cosignée avec le banquier de Lazard, et patron de presse, Matthieu Pigasse : ils étrillent la politique économique du gouvernement, inféodée à Bruxelles.
Ce n’est qu’à la rentrée de septembre, avec l’université de La Rochelle fin août et avant les régionales de décembre, que la feuille de route des deux ans qui restent pourrait être dévoilée. « Ce sera arbitré pendant l’été entre le président de la République et le premier ministre », promet un ami du chef de l’État. La matrice ? « La France, la Nation, la patrie. Le sujet, c’est comment la gauche se les réapproprie. C’est la question de la souveraineté que nous voulons », poursuit la même source. Un mouvement que François Hollande a esquissé depuis les attentats de janvier, et repris dans son discours au Panthéon.
Cela fait de longs mois qu’une partie de son entourage fait de la République le sujet central de l’affrontement à venir avec la droite – l’UMP devenue justement Les Républicains. Les partisans du chef de l’État sont même persuadés qu’il peut rempiler pour un second quinquennat s’il parvient à se poser en garant de la République, voire en bon père de famille, sur le modèle de la campagne de François Mitterrand en 1988. Surtout s’il fait face à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. « Il y aura la République rabougrie de la droite, repliée sur l’ordre et la sécurité, et la nôtre, attachée au triptyque liberté, égalité, fraternité. Deux conceptions de la République s’opposent à une semaine de distance, après le congrès de l’UMP », explique un conseiller du gouvernement.
Mais ce pari se heurte, pour l’instant, à un effet de réel vertigineux : le PS est moribond, la gauche fracturée et l’électorat de François Hollande a pour partie totalement décroché. Les derniers scrutins l’ont montré avec, dans certains départements, une porosité inquiétante entre ses électeurs et le Front national. La base sociale du chef de l’État est aujourd’hui une énigme. « Sa base sociale, ce sont les Français. On ne fonctionne plus par clientèles, c’est fini », répond un de ses plus fervents partisans.
Mais même les plus enthousiastes ne peuvent pas certifier que leur champion ait encore une crédibilité suffisante dans le pays pour espérer conquérir de nouveau l’Élysée. Leur objectif est modeste : arriver deuxième du premier tour de la présidentielle qu’ils prédisent se jouer dans un mouchoir de poche, puis l’emporter sur le fil par rejet de Nicolas Sarkozy. « En temps voulu, François Hollande pourra ressortir des éléments de gauche de son bilan, comme le tiers-payant généralisé, sur fond d’arc républicain menacé. En espérant et en misant sur une reprise durable », résumait récemment un de ses proches. Et sans s'interdire de jouer parfois sur les symboles – il s'est ainsi rendu jeudi à l'usine ex-Fralib. « Pour gagner en 2017, il lui suffira d’être un peu moins rejeté que Nicolas Sarkozy en 2012 », prédisait récemment un ami du chef de l’État. Et comme François Hollande est convaincu de sa bonne étoile, dans son Château, il continue d’y croire.
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