Au milieu des déclarations du patron du Medef Pierre Gattaz, une nouvelle fois revenu à la charge sur la remise en cause du CDI, et les rencontres bilatérales pour préparer une nouvelle loi Macron sur les PME et TPE, l’adoption de la loi sur le dialogue social est presque passée inaperçue. Le texte a été voté mardi sans embûche, et son passage au Sénat ne devrait pas changer la donne. Un petit miracle quand on voit la cacophonie qu’engendre toujours la loi Macron.
Le projet était pourtant très mal engagé : après quatre mois de négociations infructueuses, syndicats et patronat ont échoué à bâtir ensemble de nouvelles règles du jeu sur le dialogue social en entreprise, comme le souhaitait François Hollande. Un échec cuisant qui a obligé le gouvernement à reprendre la main pour la première fois depuis mai 2012.
Pour éviter un deuxième fiasco, le texte évite les choix politiques forts, se contentant de tendre la main à la CFDT sans braquer frontalement le Medef. Il additionne aussi les mesures parfois sans aucun lien avec le sujet, comme le burn-out ou encore la sanctuarisation du régime des intermittents. La loi Rebsamen, du nom du ministre du travail qui l'aura portée, est aussi synonyme de recul sur l’égalité homme-femme, et elle entretient le flou sur le compte pénibilité, véritable serpent de mer de ce quinquennat.
Les toutes petites entreprises auront des instances
Revendication de longue date du corps syndical, la loi répond en partie au problème de sa représentation dans les toutes petites entreprises. Elle oblige à la création de commissions paritaires régionales, instances interprofessionnelles composées de représentants des organisations professionnelles d’employeurs et de salariés, issus d’entreprises de moins de onze salariés. Néanmoins, les membres de cette commission n’auront pas le droit de rentrer dans les entreprises, ce que critiquent unanimement les syndicats. Les tout petits employeurs (en particulier l'UPA, Union professionnelle artisanale) ont quant à eux été nombreux à regretter cet interventionnisme, s’estimant tout à fait capables de gérer sans formalisme le dialogue social au sein de leurs sociétés.
Égalité homme-femme, un petit pas en avant, un saut en arrière
En la matière, l'ambiguïté est totale. D’un côté, elle instaure une obligation de parité sur les listes électorales syndicales, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, au-delà du fait que cette parité est « en miroir », c’est-à-dire qu’elle représente la simple proportion homme-femme dans l’entreprise, et non pas un 50-50 de principe. Mais cette modeste avancée explique sans doute la faible mobilisation syndicale autour d’un énorme couac, relevé in extremis par le collectif SOS-Egalité pro. La loi sur le dialogue social, malgré les démentis rassurants de François Rebsamen, supprime bel et bien, au nom de la simplification, le Rapport de situation comparée (RSC), l’outil qui permettait jusqu’ici de faire un bilan chiffré sur l’égalité homme-femme dans les entreprises. C’était pourtant un symbole de l’avancée des droits des femmes dans le monde professionnel. Lors de sa mise en route en 2008, le ministère du travail qualifiait même le RSC d’« élément essentiel de diagnostic ».
Le texte voté hier va plus loin. Il fond la négociation spécifique et obligatoire sur le sujet dans une négociation plus générale sur la qualité de vie au travail et repousse d’un à trois ans l’obligation de trouver un terrain d’entente. On reste également dans le flou quant à la sanction financière appliquée en l’absence d’accord. Plusieurs personnalités politiques, des députés UMP Nicole Ameline ou Rama Yade en passant par Aurélie Filippetti (PS) ou Marie-George Buffet (PCF), ont sévèrement critiqué le nouveau dispositif : « Nous avons le sentiment d’assister aujourd’hui à un retour en arrière », disent-elles, alors même que tous les efforts auraient dû être maintenus « pour faire progresser l’égalité professionnelle entre les femmes et hommes ». Seule petite concession, arrivée par le biais d’un amendement à l’initiative du gouvernement : il y aura bien une « rubrique spécifique » sur l'égalité professionnelle dans la base de données unique, le nouveau document qui sert d’appui aux négociations entre directions et représentants du personnel.
Valorisation des parcours syndicaux
C’était l’une des principales revendications des syndicats de salariés, en particulier de la CFDT : la valorisation des parcours syndicaux car en France, se battre pour ses camarades, c’est risquer d’être pénalisé à plus d’un titre, précisément dans sa progression de carrière. Bien qu’elle oublie tout le volet “répression syndicale dans les entreprises”, la loi Rebsamen est un début de réforme, une première étape. Tout salarié qui s’engage (élu, délégué syndical) aura droit à un entretien individuel avec l’employeur, afin de définir « les modalités pratiques d’exercice de ce mandat au regard de son emploi ». Une liste de compétences, définie par l’État, fera également l’objet d’une certification, et pourra être utilisée dans l’acquisition de certifications professionnelles par le salarié. Par ailleurs, le salarié dont les heures de délégation dépassent 30 % de son temps de travail, sera assuré de bénéficier, au cours de son mandat, d’une augmentation minimale « égale à la moyenne des augmentations individuelles perçues par des salariés relevant de la même catégorie professionnelle ».
Une délégation unique du personnel pour les entreprises de moins de 300 salariés
Cette question des instances représentatives du personnel (IRP) et des seuils sociaux a largement entraîné l’échec de la négociation entre syndicats et patronat obligeant le gouvernement à reprendre la main pour légiférer. Pour se sortir du guêpier, ce dernier réforme a minima. La loi Rebsamen permet aux entreprises de moins de 300 salariés de regrouper délégués du personnel, Comité d'entreprise (CE) et Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au sein d'une Délégation unique du personnel (DUP).
Jusque-là, cette possibilité n'était offerte qu'aux entreprises de moins de 200 salariés et n'incluait pas le CHSCT. Selon le gouvernement, 3 000 entreprises de plus pourront mettre en place une DUP. Quant aux entreprises de plus de 300 salariés, elles devront passer par un accord majoritaire (avec des syndicats totalisant 50 % des voix aux élections professionnelles) pour pouvoir regrouper des instances. Environ 7 000 entreprises couvrant 7 millions de salariés seraient potentiellement concernées, selon le gouvernement.
Le délai d'envoi de l'ordre du jour pour une DUP a été aussi au cœur des discussions. Il était jusqu'ici de 3 jours pour le CE et de 15 jours le CHSCT. Après l'avoir envisagé à 5 jours, les députés ont fini par fixer ce délai à 8 jours.
Les députés ont aussi créé un nouveau seuil à 1 000 salariés, en abaissant de 5 000 à 1 000 le cap obligeant à avoir deux représentants du personnel au conseil d'administration. Ce qui hérisse le patronat.
Des négociations simplifiées
C’est une vieille demande des syndicats tous unanimes pour réclamer une simplification. La réforme concentre désormais les 17 obligations d'information-consultation du comité d’entreprise et négociations obligatoires, qui se sont multipliées, en trois grands rendez-vous. Ils « portent respectivement sur les orientations stratégiques et leurs conséquences, la situation économique de l’entreprise et sa politique sociale ». Quant aux négociations obligatoires, elles auront lieu sur trois thèmes : rémunération, temps de travail et partage de la valeur ajoutée d’une part, qualité de vie au travail d’autre part, et, enfin, gestion des emplois et des parcours professionnels (GPEC).
Un signal sur les maladies psychiques
Sur le plan de la santé au travail, rien de révolutionnaire non plus, malgré l’emballement autour de l’amendement déposé par Benoît Hamon sur le burn out (dit aussi épuisement professionnel), qui reprend grosso modo les ambitions gouvernementales : les pathologies psychiques pourront désormais être reconnues comme maladies d’origine professionnelle, aux mêmes conditions que les affections physiques.
Mais amendement ou pas, rien ne se fera sans une inscription officielle au tableau des maladies professionnelles, dont la modification intervient après un décret du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. Or le débat médical est loin d’être tranché et les pressions patronales sont constantes pour empêcher son inscription (edit du jeudi 4 juin). Néanmoins, c'est une incitation de plus à prendre en compte l'origine professionnelle des pathologies psychiques lors des demandes de reconnaissance faites aux comités régionaux par les salariés (composés de trois médecins experts, le médecin conseil régional ou son représentant, un médecin inspecteur du travail et de la main-d'œuvre et un professeur d'université ou un praticien hospitalier). Pour ne pas être accusée de simplement botter en touche, l’assemblée a également prévu, suite à une deuxième amendement déposé par Benoît Hamon, que le gouvernement remette au parlement avant le 1er septembre 2015 un rapport sur cette question.
Le régime des intermittents sanctuarisé
La loi Rebsamen consacre le régime d’assurance chômage de l’intermittence. Le texte inscrit la spécificité des métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant et l’existence de règles de l’assurance chômage spécifiques aux intermittents du spectacle dans le code du travail. Une promesse de Manuel Valls en janvier dernier. Elle a pour objectif de « mettre fin aux crises récurrentes et rechercher une solution pérenne ». Il instaure un nouveau mode de négociation des règles de l’assurance chômage qui ouvre la porte aux partenaires sociaux représentatifs de l’ensemble des professions du spectacle. Ces derniers seront autorisés à négocier, avec une marge de manœuvre infime cependant car ils devront respecter un document de cadrage discuté au niveau interprofessionnel qui définit notamment la « trajectoire financière » de la négociation. La loi officialise par ailleurs le comité d’expertise créé en juin, en appui à la mission de concertation impulsée par le premier ministre et précise que les organisations représentatives des professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle devront actualiser la liste des métiers ouvrant droit au bénéfice des règles d’assurance chômage propres aux intermittents du spectacle, d’ici le 31 janvier 2016.
Création de la prime d’activité
Fusion de la prime pour l’emploi et du RSA activité, imaginée notamment par le collectif Alerte, la prime d’activité a pour objectif « d’encourager l’activité en soutenant le pouvoir d’achat des travailleurs modestes, de façon simple et lisible ». Elle se déclenchera dès le premier euro de revenu d’activité et concernera plus de 5,6 millions d’actifs. Son barème qui comprend une part dite « familialisée », proche de l’ancien RSA activité, et une bonification liée aux revenus d’activité individuels, sera précisé par décret. Elle sera ouverte à tous les jeunes actifs, dès 18 ans, sans restrictions liées au fait d’habiter chez ses parents ou de travailler à temps partiel. Les étudiants et les apprentis pourront fnalement en bénéficier si leurs revenus dépassent pendant au moins trois mois d'affilée un seuil fixé à 0,78 fois du Smic net.
Compte-personnel d’activité
Ce compte, annoncé le 3 avril par le chef de l'État et précisé par le premier ministre le 8 avril, était réclamé par Martine Aubry comme un signe d'infléchissement de la politique économique après la défaite des départementales. Il s'agit d'un compte regroupant les différents comptes existants (pénibilité, formation, compte épargne-temps...), que les salariés pourront conserver tout au long de leur carrière. Inscrit dans la loi Rebsamen, ses contours et modalités seront ensuite précisés par une loi en 2016 après concertation avec les partenaires sociaux.
Pénibilité, la suite du rapport Sirugue
Christophe Sirugue, député socialiste, a rendu fin mai un rapport au premier ministre qui plaide pour une simplification du compte pénibilité. La loi sur le dialogue social reprend par des amendements gouvernementaux une partie des propositions du rapport et notamment la prise en compte de la pénibilité par métier, suite à des accords de branche, et non plus individuellement, ce que prévoyait la loi initiale. Il acte par ailleurs que la déclaration de la pénibilité par les employeurs ne les exonère pas de chercher à en supprimer les causes, et corrige les dispositions de financement. Un déminage, mais qui n’est pas suffisant pour calmer la fronde : l'application pleine et entière du compte pénibilité, dont nous avons décrypté longuement les manquements ici, a été une nouvelle fois reportée au mois de juillet prochain.
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