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Six enseignants toulousains se disent victimes de leur activisme

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La procédure, par son ampleur, est inédite. Cinq enseignants du collège Bellefontaine de Toulouse ont en effet reçu, mardi 22 mai, par voie d’huissier, un recommandé du rectorat les informant de leur mutation d’office et de l’ouverture pour chacun d’une procédure disciplinaire. Dans ces courriers, quasi identiques, que Mediapart a pu consulter, leur sont reprochés un « manquement à l’obligation d’exercer [leurs] missions conformément aux instructions de [leurs] supérieurs », un « manquement à l’obligation de courtoisie et de respect de [leurs] supérieurs hiérarchiques », un « manquement à l’obligation de loyauté vis-à-vis de l’équipe de direction ». Ces professeurs sont enfin et surtout accusés de perturber « gravement le bon fonctionnement du service public d’éducation ».

Derrière ces formules administratives, les enseignants de ce collège difficile de l’agglomération toulousaine sont persuadés que c’est en réalité leur participation au mouvement de grève de l’automne dernier qui leur vaut aujourd’hui de telles sanctions. Fin novembre, pour protester contre le décalage entre les moyens annoncés dans le cadre de la réforme de l’éducation prioritaire et ceux effectivement affectés à leur collège, les professeurs de Bellefontaine avaient entamé une grève de près de trois semaines. Leur établissement avait en effet été désigné collège préfigurateur pour appliquer la réforme des REP+, un an avant sa généralisation à l’ensemble du réseau d’éducation prioritaire.

Avec le chef d’établissement, qui conteste le bien-fondé de leur mouvement, le conflit explose. « Il nous a insultés dès le premier jour de grève en nous disant que nous étions la honte de l’éducation nationale et a très vite adopté un ton menaçant », raconte Régis Boselli, l’un des cinq profs concernés par la procédure disciplinaire. Selon plusieurs enseignants contactés – le principal du collège, M. Roques, n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien –, les mesures de rétorsion à l’encontre des grévistes n’ont d’ailleurs pas tardé à arriver.  « Depuis la grève, nos notations administratives ont été gelées, un enseignant a même vu sa note baissée [ce qui est rarissime – ndlr]. À chaque fois, ce sont les grévistes qui ont été ciblés », rapporte l'enseignante de français Sonia Mani. Selon elle, tous les projets, voyages, organisés par les grévistes, auraient aussi été annulés.

Entrée du collège Bellefontaine.Entrée du collège Bellefontaine.

« Nous ne sommes pas dupes, à travers nos six collègues, c'est tout notre mouvement social de cet hiver qu'on veut criminaliser et bien évidemment ceux à venir. Cela sonne comme un avertissement lancé à tous ceux et celles qui auraient l'idée de se battre pour défendre leurs conditions de travailarrow-10x10.png et leur conception du service public d'éducation », écrivent dans un communiqué les personnels de Bellefontaine qui se sont mis en grève depuis le début de la semaine. « Bellefontaine est en train de servir d'exemple, aujourd’hui, c’est nous, demain, à qui le tour ? » s’interrogent-ils.

La consultation de leur dossier au rectorat a laissé les enseignants un peu dubitatifs. « Il est constitué d’allégations infondées, fallacieuses », affirme Régis Boselli, professeur d'histoire-géo, qui explique que ce rapport a été réalisé par deux inspecteurs d’académie venus dans l’établissement le 30 avril dernier sans rencontrer les enseignants concernés. « Ils l’ont rédigé sur la seule foi des propos du chef d’établissement », explique Sonia Mani, qui précise qu’il contient par ailleurs nombre d’erreurs factuelles, ne serait-ce que sur son état civil. « Ils me reprochent par exemple de ne pas avoir fait la minute de silence [après les attentats de janvier – ndlr] alors que j’étais en grève ce jour-là », s’agace Régis Boselli, enseignant dans l’établissement depuis dix ans et qui assurearrow-10x10.png n'avoir eu jusque-là « que des remarques élogieuses de [ses] chefs d’établissement. »

Une liste, constituée par leur principal, qui classe les enseignants en trois catégories – les meneurs, « personnes œuvrant délibérément contre le pilotage de l'établissement », les suiveurs, « personnes ayant œuvré sous influence », et enfin les « personnels victimes de leurs collègues » – les a aussi choqués sur le principe

Depuis le mois d’avril, une enseignante fait par ailleurs l’objet d’une mesure conservatoire après une plainte au pénal pour « menace de mort » contre son chef d’établissement. Elle doit prochainement passer devant une commission disciplinaire et ne peut plus mettre les pieds dans l’établissement. Contactée par Mediapart, cette enseignante, qui souhaite rester anonyme, explique avoir échangé sur une boîte mail privée, créée pour l’occasion avec ses collègues grévistes, sur les actions à mener dans le cadre de leur mouvement. « Certains ont évoqué l’idée de faire un recours en justice contre le chef d’établissement. Je plaisantais avec mes collègues à l’idée qu’il puisse aller en prison où, ai-je écrit, je connaissais quelques gros bras qui pourraient lui régler son comptearrow-10x10.png », raconte-t-elle, se demandant encore comment son chef d’établissement a pu avoir accès à cette messagerie privéearrow-10x10.png. « Le principal ne m’a jamais parlé de la procédure qu’il engageait pendant tout ce temps. J’ai été remplacée du jour au lendemain, ça a été très violent », affirme-t-elle, expliquant lui avoir, depuis, adresséarrow-10x10.png une lettre d’excuses pour les propos tenus. 

Le rectorat de Toulouse, qui n’a pas souhaité « s’exprimer sur des actions en coursarrow-10x10.png », a néanmoins démenti dans un communiqué tout lien entre la grève de novembre et les procédures engagées. Ces mesures, déclare le rectorat, « ne sont en aucun cas une réponse au mouvement de grève qui s'était produit fin 2014 dans cet établissement. Ce serait en effet une atteinte à un droit fondamental de la fonction publique, ce dont il ne peut être question ». Les procédures engagées ne l’ont été qu’à « la seule fin d'assurer, dans l'intérêt des élèves, le fonctionnement normal du service public dans cet établissement en souffrance depuis de nombreux mois. En effet, malgré l'écoute assurée par les services du rectorat et de l'inspection académique de la Haute-Garonne, malgré les nombreuses rencontres avec les personnels, l'équipe de direction, les parents, malgré la médiation mise en place par la rectrice après la grève, à partir de janvier, pour rétablir le dialogue et la sérénité dans ce collège de l'éducation prioritaire, il n'a pas été possible de restaurer un climat de travail permettant d'assurer correctement le service public d'enseignement dû aux élèves », poursuit ce communiqué, qui conclut que « les manquements de quelques professeurs aux missions relevant de leurs obligations de fonctionnaires de l'État, et la difficulté, compte-tenu du climat actuel, de préparer la prochaine rentrée scolaire justifient les procédures engagées par la rectrice d'académie ». Le principal est lui aussi muté dans un autre collège de l'académie, ce qui, selon les termes du rectorat, ne correspond pas à une sanction.

Pour la représentante des parents d'élèves au conseil d’administration, Malika Baadoud, « ces sanctions ne sont pas une surprise », les collégiens ayant « vécu cette année une année blanche », explique-t-elle, décrivant un établissement sens dessus dessous depuis des mois. « Les parents n’ont jamais été solidaires de ce mouvement de grève, dont les revendications étaient ridicules. Avec trois CPE [conseiller principal d’éducation] pour 400 élèves, une quinzaine d’assistants d’éducation, on doit être l’établissement le plus doté de l’académie. Le collège a des difficultés mais pas par manque de moyens », estime-t-elle. Celle qui dirige par ailleurs l’association L’école et nous, installéearrow-10x10.png dans le quartier depuis quinze ans, dénonce une « ambiance exécrable » dans le collège depuis l'automne. « Les non-grévistes ont reçu des menaces, des insultes », croit-elle savoir, en s’insurgeant contre le fait que « les enseignants boycottent des conseils de classe » ou soient si souvent en arrêt maladie. Les enseignants ont en effet refusé de participer au conseil de classe du premier trimestre car ils étaient en grève, comme à ceux reprogrammés plus tard par le principal, au motif qu'il est illégal d'obliger à rattraper un travail non-fait durant une période de grève, assure une enseignante du collège, qui avance aussi que « s'il y a eu un certain nombre d'arrêts maladie, c'est le fait du harcèlement du chef d'établissement ». Pour plusieurs enseignants interrogés, cette responsable aurait été manipulée par le principal du collège pour court-circuiter leur dialogue avec les familles.

Des arguments qui hérissent la représentante des parents d'élèves du collège. « Ce sont des gens qui ne veulent pas de direction, qui sont dans l’autogestion », dit-elle encore, très remontée. « Ils disent qu’ils se battent pour nos enfants mais ils ne s’en sont jamais souciés. Le rectorat a débloqué 450 heures sup pour le collège. Ils n’en veulent pas. L’établissement va donc devoir les rendre », s’énerve-t-elle. Elle affirme avoir fait signer début janvier à plus de trois cents parents du collège une pétition demandant le retour à un fonctionnement normal de l'établissement. 

Les enseignants mutés d'office et menacés de sanction ont, eux, entrepris une démarche auprès du défenseur des droits. Selon nos informations, la députée socialiste de Haute-Garonne, Martine Martinel, un temps contactée pour assurer la médiation avec le ministère, aurait, au vu du dossier, refusé de les soutenir.

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