L’exemple vient d’en haut, dit-on. Pas au ministère du travail. Les grandiloquentes déclarations de François Rebsamen sur le dialogue social ne s’appliquent pas en interne. En témoigne la situation ubuesque que vivent les six organisations syndicales nationales du ministère : CGT, CFDT, FO, FSU, UNSA, Sud. Jusqu’ici, elles bénéficiaient de locaux privatifs en dehors des enceintes administratives, loin de la rue de Grenelle, dans le XIXe arrondissement de Paris, ce qui permettait une activité syndicale indépendante et autonome. Mais le ministère veut y mettre un terme pour raisons budgétaires sous la pression de France Domaine, le grand gestionnaire de l’État. Et sous couvert d’unification par le bas : les autres ministères « chargés des affaires sociales », ceux de la santé et de jeunesse et sports, n’ont pas de locaux.
Les syndicats ont ainsi appris de manière assez brutale le mois dernier que la mise à disposition de locaux privatifs serait ni plus ni moins supprimée. Stupéfaits, ils ont demandé à être relogés dans d’autres locaux à moindre coût et réclamé l’ouverture de négociations, dans ce ministère où aucune réunion sur les droits syndicaux réglementaires n’a été tenue depuis plus de deux ans (la dernière remonte à janvier 2012). L’administration ne les a pas niés. Elle leur a proposé cette solution : intégrer les locaux de la rue de Grenelle, soumis à un contrôle d’accès des plus stricts, avec badgage et contrôle d’identité. Soit « la plus surréaliste des solutions et le meilleur moyen de “fliquer” les syndiqués ! », pour Anthony Smith, le délégué CGT. « On va devoir donner la liste des syndiqués au ministère du travail à chacune de nos réunions ou rendez-vous alors qu’on fait mine de combattre la discrimination syndicale », s’indigne le syndicaliste.
Dans un communiqué intersyndical, les six organisations, qui ont vu jusque-là toute autre issue refusée par l’administration, dénoncent cette situation « grotesque » où « le ministre du travail met ses syndicats à la rue ». Ils notent aussi que « la proposition de l’administration en surfaces est notoirement insuffisante sur trois sites différents pour l’ensemble des syndicats du ministère du travail mais aussi ceux des deux autres ministères chargés des affaires sociales et des services du droit des femmes, sans salles de réunions dédiées ». « À l’heure où François Rebsamen prône le dialogue social, cette attaque contre les organisations syndicales est très inquiétante. Un véritable dialogue social a un coût. L’assumer ou non reste un choix politique », écrivent-ils encore.
S’il est bien connu que les cordonniers sont les plus mal chaussés, ces mésaventures font écho à une problématique qui inquiète sérieusement les syndicats au national : la remise en cause, dans de nombreuses villes et départements, de la gratuité de l’hébergement ou de la mise à disposition de locaux comme au sein des bourses du travail. C'est le cas à Nice, Châteauroux, Chartres, ou encore Toulouse. Au point que les dirigeants de sept syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, UNSA et Solidaires) ont écrit au ministre du travail, lui demandant d'introduire dans le projet de loi sur le dialogue social en discussion à l'Assemblée une disposition garantissant l'hébergement de leurs antennes dans les territoires.
C'était d'ailleurs l'une des recommandations du rapport commandé en juillet 2012 par le ministre du travail de l'époque, Michel Sapin, à l'IGAS sur la situation du logement des antennes locales des syndicats en France : « Consolider l’usage de la mise à disposition des locaux dans la loi selon les principes suivants : les collectivités (communes, groupement de communes, départements, régions) pourvoient au logement des syndicats interprofessionnels (affiliés à une confédération ou une union nationale) qui en font la demande. Les frais, loyers et charges donneraient lieu pour l’occupant à la gratuité ou exonération. Ils pourront être financés par subvention des collectivités territoriales (par voie de conventions bilatérales ou multilatérales) ou par péréquation. »
Contacté, le ministère du travail n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
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