Plus de sept années après la plainte déposée par Françoise Meyers-Bettencourt, et au terme de deux procès successifs, le tribunal correctionnel de Bordeaux vient de rendre ce jeudi sa décision dans l’affaire Bettencourt. Les trois juges ont passé le dossier au tamis pendant les trois mois de délibéré. Il en ressort rétréci, et dépolitisé. Et en substance, il ne reste plus du dossier initial que les abus de faiblesse commis aux dépens de la milliardaire Liliane Bettencourt, ainsi que le blanchiment des sommes indûment obtenues par les aigrefins de son entourage, et les complicités.
Disparues, les espèces qui auraient été remises par le gestionnaire de fortune Patrice de Maistre au trésorier Éric Woerth dans la perspective de la campagne présidentielle Sarkozy de 2007. Exit, l’échange de bons procédés entre les mêmes amis de l’UMP, la même année, quand le premier embauchait l’épouse du second et se voyait attribuer la Légion d’honneur.
Le volet « trafic d’influence » du dossier, dans lequel seuls Patrice de Maistre et Éric Woerth étaient jugés, se termine par une relaxe en faveur des deux prévenus, conformément au réquisitoire presque complaisant du procureur adjoint de Bordeaux, le 24 mars dernier. En substance, le tribunal estime qu’il n’est pas démontré que la médaille remise à de Maistre soit la contrepartie de l’emploi attribué à Florence Woerth.
Le tribunal tient pour établi qu’Éric Woerth a bien abordé la carrière de son épouse lors d’une discussion avec Patrice de Maistre en mars 2007. « Pour autant, le recrutement de Florence Woerth ne pouvait dépendre de la seule volonté de Patrice de Maistre : il est évident, au regard de la personnalité de Florence Woerth, de ses compétences professionnelles et de sa légitime volonté de décider elle-même du déroulement de sa carrière, qu’il était nécessaire et indispensable qu’elle donne son accord pour un recrutement quel qu’il soit », note le tribunal dans son jugement.
« Éric Woerth a profité de sa qualité de trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy pour favoriser l’obtention de la Légion d’honneur par Patrice de Maistre. Éric Woerth est intervenu non pas en sa qualité de député de l’Oise et en raison de la carrière de Patrice de Maistre, mais bien en raison de l’attitude de ce dernier pendant la campagne », poursuit le tribunal.
Mais les juges concluent ainsi. « S’il est établi qu’Éric Woerth est bien à l’initiative de la demande de Légion d’honneur pour Patrice de Maistre, gestionnaire d’un des plus importants family-office de la première fortune de France, dans des conditions totalement atypiques, celle de trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy, pour autant il n'est pas démontré l’existence d’un pacte de corruption dont la contrepartie serait l’emploi de Florence Woerth au sein de ce même family-office. Dans ces conditions, si Patrice de Maistre a voulu “rendre service” à Éric Woerth en recevant puis en embauchant à l‘été 2007 Florence Woerth en raison de la qualité de ministre du budget de son époux, dans le but d’un avantage ultérieur, pour autant il n'est pas établi que cet acte constitue la contrepartie de la démarche d’Éric Woerth pour l’obtention de la Légion d’honneur. » Première relaxe pour Éric Woerth.
En résumé, la théorie de « deux droites parallèles qui ne se rencontrent pas », soutenue par l'ex-ministre, et selon laquelle la décoration de l’un et l’embauche de l’épouse de l’autre sont des faits distincts et totalement indépendants l’un de l’autre, a donc été plus convaincante aux yeux des juges que les enregistrements de Patrice de Maistre et la lettre de recommandation visant à le faire décorer, signée par le trésorier de la campagne Sarkozy.
Dans le volet principal du dossier, tous les prévenus sont condamnés à l’exception notable d’Éric Woerth, la preuve n’ayant pu être rapportée qu’il avait reçu des espèces (on peut lire ce second jugement ci-dessous, le cas d’Éric Woerth étant détaillé des pages 158 à 162).
Le tribunal note que les deux rendez-vous suspects entre Patrice de Maistre et Éric Woerth, pendant la pré-campagne présidentielle de 2007, sont intervenus après la remise de 50 000 euros par Claire Thibout à Patrice de Maistre, puis après la remise de 400 000 euros venant de Suisse au même Patrice de Maistre par Cofinor. « Ainsi au vu des agendas des différents protagonistes, des déclarations de Claire Thibout, des rendez-vous préalables, des remises d’argent provenant de Suisse, il apparaît peu probable que les rendez-vous de janvier et février 2007 entre Patrice de Maistre et Éric Woerth n’aient eu pour objectif que de parler de la carrière de Florence Woerth et de l’avenir des petites entreprises, ironise le tribunal. Il existe donc une forte suspicion de remise d’argent des fonds Bettencourt, sans que la démonstration de la remise ne soit totalement acquise. »
Mais voilà… « Il n’est pas démontré qu’Éric Woerth avait connaissance de l’origine illicite de cette somme ou de ces sommes » : il aurait fallu, pour cela, que le ministre du budget ait alors connaissance de la vulnérabilité de Liliane Bettencourt ou de l’existence d’une fraude fiscale, ce qui n’est pas démontré, estime le tribunal. En outre, le volet « financement de parti politique » de l’affaire Bettencourt a fait l’objet d’un non-lieu le 2 juillet 2013. « Dans ces conditions, une relaxe doit être prononcée » pour Éric Woerth sur le recel, tranchent les juges.
La plupart des condamnés ayant annoncé leur intention de faire appel, un second procès se déroulera d’ici douze à dix-huit mois, mais sans Éric Woerth (pour lequel le parquet de Bordeaux avait également requis une relaxe) dont ladite relaxe est aujourd’hui définitive. Ayant bénéficié récemment d’un non-lieu dans l’affaire de l’hippodrome de Compiègne, le député et maire de Chantilly n’a que des raisons de se réjouir du traitement que lui réserve la justice. Son mentor, Nicolas Sarkozy, ayant quant à lui auparavant bénéficié d’un non-lieu de la part des juges d’instruction.
Pour les autres prévenus du volet « abus de faiblesse », en revanche, l’ambiance n’est pas à la fête. L’ancien gestionnaire de fortune Patrice de Maistre écope d’une peine de 30 mois de prison dont 12 avec sursis, 250 000 euros d’amende et la confiscation de biens saisis. Le photographe milliardophile François-Marie Banier est condamné à 3 ans de prison dont 6 mois avec sursis, 350 000 euros d’amende et la confiscation de biens saisis. Son compagnon, Martin d’Orgeval, à 18 mois de prison avec sursis et 150 000 euros d’amende. L’ancien gestionnaire de l’île d’Arros, Carlos Vejarano, à 18 mois de prison dont 9 mois avec sursis et 250 000 euros d’amende. Le notaire, Jean-Michel Normand, est lui condamné à 12 mois de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende.
Trois autres personnes pour lesquelles le parquet avait requis une relaxe sont elles aussi condamnées. L’homme d’affaires Stéphane Courbit écope d’une simple amende de 250 000 euros, l’avocat fiscaliste Pascal Wilhelm de 30 mois de prison dont 12 mois avec sursis et 250 000 euros d’amende, et le notaire Patrice Bonduelle de 6 mois de prison avec sursis et 80 000 euros d’amende.
Aucun mandat de dépôt n’a été prononcé à la barre, les personnes condamnées ont pu repartir libres.
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