C’est une mise en cause explicite, assortie d’une menace de suites judiciaires, qu’a formulée le député et maire (UMP) d’Étampes Franck Marlin à l’encontre du maire (PS) d’Évry Francis Chouat, ancien adjoint et bras droit de Manuel Valls en Essonne.
Dans des courriers adressés à Francis Chouat et obtenus par Mediapart, l’élu UMP qui préside le Siredom, deuxième syndicat intercommunal de traitement des déchets en France, se plaint des interventions et des pressions exercées sur la commission d’appel d’offres de son organisme, et ce afin de favoriser l’attribution des marchés au centre de traitements des déchets, la Semardel, une société d'économie mixte présidée par... le même Francis Chouat.
Le directeur général de la Semardel, déjà condamné à deux reprises pour malversations, aurait fait directement pression, en septembre, sur le président de la commission d’appel d’offres du syndicat intercommunal Seridom.
La Semardel, dont l’ex-président du conseil général (RPR) Xavier Dugoin, a été l'administrateur, est considérée depuis vingt ans comme l’un des plus gros pots de confiture du département. Dans les années 1990, le groupe Parachini, l’actionnaire privé de la SEM, racheté à prix d’or par Altus finances, avait obtenu, sans appel d’offres, le marché de la construction du centre d’incinération et de traitement d’ordures de Vert-le-Grand. Soit un milliard et demi de francs de travaux garantis en partie par le conseil général. Une fois l’usine construite, la Semardel rachètera encore, rubis sur l'ongle, les filiales de Parachini. L’ironie de l’histoire, c’est que Franck Marlin, qui dénonce aujourd’hui son vice-président socialiste, a été lui-même condamné pour avoir bénéficié des largesses de Parachini – un salaire fictif versé par une filiale du groupe de travaux publics au début des années 1990.
La position du maire d’Évry est des plus délicates car il est lui-même premier vice-président du Siredom, au titre de l’agglomération d’Évry, et il participe donc à la politique d’attribution des marchés au centre de traitement des déchets qu’il préside. Un conflit d’intérêts majeur, partagé par plusieurs élus qui siègent dans les deux instances, qui, même s’ils s’abstiennent lors de certains votes, pèsent de tout leur poids en faveur de leur usine d’incinération. « Les conflits d’intérêts de ces élus sont trop évidents pour imaginer que seule une volonté politique les anime », dénonce Franck Marlin, dans un récent courrier du 18 novembre.
Le maire d’Évry, lui, s’insurge dans une lettre à Marlin contre ces « règlements de comptes », ces « luttes fratricides et intestines », tout en contestant les pressions. Francis Chouat avait déjà été critiqué par l’opposition de droite pour l’embauche au conseil général, puis à la Semardel, de son fils Aurélien – en tant que chargé de mission, puis responsable qualité de la filiale Semaer (lire ici le billet de blog de l'ancien conseiller général Christian Schoettl).
La polémique, qui traverse le département, via les 130 communes adhérentes au Siredom, tombe assez mal pour Chouat. Le 14 novembre dernier, Manuel Valls l’a en effet décoré de la médaille de chevalier de la Légion d’honneur, en mettant l’accent sur sa « loyauté », son « engagement », et sa disponibilité locale – les images sont là. « Je sais qu’il n’y a pas une école, un gymnase, un centre de loisirs, un équipement municipal, une rue, un espace, une venelle que tu ne connaisses pas, a souligné le ministre de l’intérieur. Et je ne parle même pas des cages d’escalier dans lesquelles tu vas t’engouffrer bientôt. » Le candidat Francis Chouat s’est en effet engagé à prendre Manuel Valls sur sa liste aux municipales de 2014, lui offrant un parachute municipal en cas de bérézina gouvernementale.
Après avoir agité durant près d’un an les réunions d’élus du département, les pressions de l’équipe de Francis Chouat sur le syndicat intercommunal présidé par Franck Marlin donnent lieu depuis septembre à un conflit ouvert. Le 23 septembre, le président de la commission d’appel d’offres du Siredom, Jean-Claude Quintard, maire de la commune de Vert-le-Grand, est vivement interpellé – « pris à partie » selon un élu – par Marc Rajade, le sulfureux directeur général de l’usine Semardel, au seul motif qu'un marché vient de lui échapper.
« M. Marc Rajade a ouvertement critiqué à cette occasion le mode de fonctionnement de la CAO – commission d’appel d’offres – et en particulier de son président, je cite “l’attribution est magouillée” », résume Franck Marlin dans un courrier du 24 septembre au maire d'Évry.
« Je ne peux tolérer un manquement aux règles élémentaires du respect des modes d’attribution des marchés du Siredom par un candidat quel qu’il soit, dénonce le député et maire d’Étampes. Cette forme d’ingérence mais surtout de pression directe est inadmissible. Si elle devait se reproduire, j’étudierais les modalités juridiques permettant de mettre un terme à ce comportement. »
Pour ne rien arranger, Marc Rajade a déjà fait l’objet de poursuites pénales, ce qui avait d’ailleurs fait polémique (lire ici) lors de sa nomination à la Semardel. Au début des années 1990, il a été poursuivi et condamné dans l’affaire des fausses factures de la Screg, une filiale de Bouygues dont il était l’un des directeurs ; puis dans les années 2000, il a été impliqué et condamné dans l’affaire des marchés truqués de la ville de Nice. Des condamnations prescrites, s’était défendu Rajade, en 2005.
Ci-dessous, le courrier de Franck Marlin, la réponse de Francis Chouat, et la nouvelle lettre de Marlin.
Joint par Mediapart, Jean-Claude Quintard, le président de la commission d’appel d’offres, minimise l’incident. « M. Marlin, c’est mon président, et il me défend, et il a écrit des choses, voilà c’est tout, explique M. Quintard. Moi je dis halte au feu, je ne veux pas qu’il y ait de bagarres. Des fois, on s’engueule. Que celui qui n’a pas eu le marché ne soit pas content, ça se comprend, c’est la vie. Et qu’il le dise, c’est la vie aussi. »
Cette fois, c'est le marché de collecte des déchets des services techniques qui a échappé à l'usine de la Semardel. « Notre syndicat Siredom est le plus gros actionnaire de la Semardel (24,35 %), poursuit M. Quintard. Je préfère travailler avec elle, mais on est obligé de faire des appels d’offres. Pour l’instant, dans les appels d’offres concernant les déchets, la Semardel a eu 93 ou 95 % des marchés ; il leur en manque un tout petit peu, mais ils ne sont pas contents, ils auraient préféré avoir tout ! »
Plus d’un mois après avoir reçu le courrier de Franck Marlin, le maire d’Évry décide de lui répondre, estimant que les faits relatés mettent « très gravement en cause le comportement et la déontologie du directeur de Semardel », et que « l’institution (qu’il) préside est atteinte de manière intolérable ». Cela écrit, Chouat explique qu’il a convoqué l’intéressé qui a « totalement démenti » la version de Marlin. Mais Francis Chouat a aussi convié le président de la commission d’appel d’offres à une réunion d’explication avec Rajade. « Il n’y a pas eu de critique de la CAO ni de son président, mais une critique sur la qualité technique du rapport d’analyse des offres », relativise Chouat. Par ailleurs, pas d’ingérence non plus, selon Chouat, puisque la discussion avait eu lieu après la tenue de la commission d’appel d’offres.
Affaire close ? Pas du tout : dès le 18 novembre, Franck Marlin relance les hostilités. Il rappelle que malgré les liens contractuels – un bail emphytéotique signé en 1993 –, « en aucun cas les choix de la commission d’appel d’offres ne peuvent être mis en cause par un prestataire candidat ». « C’est la raison pour laquelle, j’ai fait part à plusieurs occasions de mon étonnement suite à vos interventions et à celles d’administrateurs de la Semardel sur le bien-fondé des décisions de la commission d’appel d’offres votées par ailleurs à l’unanimité », souligne Marlin. Le président du syndicat intercommunal explique avoir fait adopter, en avril 2013, un code de déontologie « pour éviter de telles dérives ».
« Malheureusement force est de constater que les pressions et contestations perdurent voire s’accentuent, dénonce-t-il. Comment de manière aussi criante et répétitive pouvez-vous laisser des délégués ayant mandats au sein de la Semardel décrier une commission d’appel d’offres indépendante (…). Les conflits d’intérêts de ces élus sont trop évidents pour imaginer que seule une volonté politique les animent. » Franck Marlin menace le maire d’Évry : « Au demeurant, un prestataire ne saurait prétendre se substituer au choix du pouvoir adjudicateur et vous ne pouvez plus longtemps participer à une telle confusion, ni la laisser faire. »
En 2012, le marché des encombrants avait déjà échappé à la Semardel – au profit de l’entreprise Paprec –, provoquant tout autant de remous. Deux puissants élus du département, malgré leurs fonctions apparemment modestes, sont montés au créneau : Jacky Bortoli, simple maire adjoint de Grigny, et Pierre Champion, ancien maire de Sainte-Geneviève-des-Bois, tous deux anciens présidents et administrateurs de la Semardel, représentant leurs agglomérations respectives au Siredom.
« Bortoli règne carrément sur le monde des déchets, commente un élu. Il est vice-président du Siredom, vice-président de la Semardel, président de la filiale CEL-Semavert, vice-président de son agglo en charge des évolutions urbaines, de l'aménagement et du développement économique. Il a tissé des liens personnels insoupçonnés dans le département. » Jacky Bortoli, premier président de la Semardel, jouait à l’origine un rôle décisif dans le financement du parti communiste dans le département de l’Essonne. Ce qui explique la présence du bureau d’études Berim, réputé proche du PCF, parmi les actionnaires de la Semardel.
En 2013, l’élu de Grigny n’hésite pas à déclarer au conseil syndical du Siredom que le président Franck Marlin « a failli sur le marché des encombrants » perdu par la Semardel. De son côté, Pierre Champion, le parrain de Julien Dray en Essonne, dont Mediapart a déjà évoqué le parcours ici, se rend personnellement au siège de la société concurrente Paprec pour vérifier la mise en œuvre du contrat. « Ce n’était pas des pressions, se justifie-t-il à Mediapart. Le Siredom est majeur. Ça a toujours été la ligne. Mais si c’est au meilleur prix et meilleur service, il n’y a pas de raison de ne pas prendre la Semardel. » « Paprec valorise 90 % de ce qu’on leur amène, Semardel ne valorisait je pense que 50 %, c’était normal qu’on prenne Paprec, rétorque Jean-Claude Quintard. Et aujourd’hui on peut se dire qu’on a bien fait. »
Plusieurs élus déplorent la présence de Jacky Bortoli aux « commissions qualité » au cours desquelles les choix des prestataires sont présentés : « Ses propos pèsent systématiquement sur les décisions. » En février 2013, Franck Marlin met sur la table un projet de code déontologique lors d’une réunion du Siredom. Il se plaint des réticences de Chouat, et annonce qu’un « problème grave existe ». Gérard Lacan, le directeur général du Siredom, lui a adressé un courrier lui « faisant part de dysfonctionnements graves, relevant du code pénal ». « Il n’admet pas que ses collaborateurs soient considérés comme des moins que rien, insultés, fourvoyés. En tant qu’employeur, il ne laissera pas faire », signale le compte rendu de la réunion du Siredom.
Derrière ces conflits, qui justifieraient sûrement des investigations judiciaires, des équilibres politiques locaux sont en jeu. « Dans l’accord de 2008, Marlin s’est fait élire président du Siredom avec une liste de vice-présidents négociée à l’avance avec la gauche », fait remarquer un conseiller territorial. Cet accord semble voler en éclats aujourd’hui.
BOITE NOIRELe 20 novembre, nous nous sommes entretenus avec Jean-Claude Quintard, vice-président du Siredom, l’élu président de la commission d’appel d’offres, qui aurait subi des pressions de la Semardel, ainsi qu’avec l’ancien maire de Sainte-Geneviève-des-Bois, Pierre Champion, présent dans les deux instances. Nous avons laissé des messages à MM. Francis Chouat, Franck Marlin, Marc Rajade et Jacky Bortoli, qui n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.
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