Pour eux, c'est Camba. Eux, ce sont les 45 000 militants socialistes à s'être déplacés dans leur section ce jeudi, pour voter en faveur de Jean-Christophe Cambadélis à la tête du PS, tandis que 20 000 autres ont préféré Christian Paul. Un résultat quasi conforme à celui du vote des motions la semaine dernière, avec une abstention en légère baisse (50 % des 130 000 adhérents, au lieu de 55 % jeudi dernier). Adhérent depuis 1986 et dirigeant depuis 1993, cela faisait près de vingt ans que le député de Paris attendait ce moment, qui lui avait échappé en 1997, quand Lionel Jospin devenu premier ministre lui avait préféré François Hollande comme courroie de transmission auprès du parti. Ce même François Hollande qui a finalement décidé de l'installer au poste en remplacement de Harlem Désir, il y a un an, après les municipales. À la faveur du remaniement où il nomma Manuel Valls à Matignon.
Désormais, on ne pourra plus l'appeler premier secrétaire “non élu” ou “par intérim”. Cambadélis se trouvait à la tête du PS par la grâce d'une évolution de palais aux airs de putsch estudiantin. Au départ équilibriste habile d'un PS sur le fil, il s'est peu à peu imposé en chef d'orchestre du Titanic, en même temps que s'enchaînaient les défaites électorales, et ses « états-généraux » dérangés par le tiers-état.
Tous les ministres croisés entonnent à son égard le même refrain : « Il fait le job. » Une secrétaire nationale nous confiait il y a peu les raisons de son soutien : « Quand Harlem Désir prenait la parole, on avait peur pour lui. Avec lui, on se fait peur en essayant de comprendre ce qu'il pense vraiment et comment fonctionne son cerveau. » À force de mystères, de huis clos et de formules rhétoriques parfois énigmatiques, « Camba » est devenu maître du vide autour de lui.
Il a maintenant gagné son congrès, en parvenant à convaincre l'équivalent de deux fois l'Unef, ce syndicat étudiant qu'il contrôla jusqu'à la moitié des années 1990. Certains de ses soutiens, comme le député Philippe Duron, ont expliqué leur rejet de Christian Paul en arguant qu'il n'était pas question d'élire un « préfet » comme patron du PS (« Et pourquoi pas un général ou un commissaire de police ? »). Question d'adéquation avec la sociologie du parti, la majorité du PS a privilégié un militant professionnel.
Un qui a pris la parole le 10 mai 1981 à la Bastille, le soir de l'élection de Mitterand (il était alors président de l'Unef, et militant trotskyste lambertiste). Un qui a été dix ans durant le bras droit de Dominique Strauss-Kahn, avant de se rapprocher de Martine Aubry, qui a choisi de se rendormir en l'adoubant. Un qui est député du XIXe arrondissement de Paris depuis 1988 (avec une parenthèse entre 1993 et 1997), même s'il ne s'y est jamais fait remarquer pour son activité législative. Un qui est un vrai homme de parti, un parfait organisateur d'appareil.
Et qu'importe ses diplômes universitaires usurpés, et ses deux condamnations en justice pour emploi fictif, dans l'affaire de la Mnef (mutuelle étudiante dont il fut longtemps l'un des dirigeants) et dans l'affaire Agos, une société gestionnaire de foyers de travailleurs immigrés. Comme il l'explique dans sa biographie présentée aux militants sur le site de sa motion, ce ne sont que « quelques déboires judiciaires » qui « assombrissent le ciel ». « Jamais il ne se soustrait à la justice », nous rassure-t-on. Et « celle-ci passe ». Alors, « les plaies se referment et malgré quelques cicatrices, la vie reprend ». Et l'on finit à la tête du PS.
Ce jeudi soir, au siège du parti, rue de Solférino, de mémoire de suiveur de l'actualité socialiste depuis plus de sept ans, jamais l'endroit n'avait été aussi vide et lugubre. Une sorte d'incarnation visuelle d'un des discours crépusculaires dont « Camba » a le secret depuis qu'il dirige le parti. Analyste hors pair de la situation politique concrète, il s'est fait dramaturge apocalyptique commentant l'état du socialisme. Désormais, il va devoir promettre aux côtés de François Hollande des lendemains qui chantent, mais auxquels personne ne croit.
Toute la soirée, Cambadélis est resté dans son bureau à l'étage, ne prévoyant une déclaration à la presse que le lendemain en fin de matinée. Vendredi matin dans le Monde, il indique vouloir proposer aux écologistes, radicaux et communistes de « co-organiser » la prochaine université d'été de La Rochelle. Son lieutenant, le député Christophe Borgel, s'est contenté de glisser qu'il entend « insister sur le renouvellement » au sein du parti, et estime que « l'ampleur du vote de ce soir montre que les militants veulent en finir avec les divisions ». Le challenger Christian Paul (interviewé cette semaine par Mediapart), chef de file de la motion B, celle des ailes gauches et des parlementaires critiques, a pris acte des résultats, espérant désormais voir le gouvernement céder à l'« exigence d’inflexion de la politique gouvernementale, que chaque motion a exprimée ».
Au rez-de-chaussée où s'éparpillent une vingtaine de journalistes et où l'on voit monter une caisse de champagne et l'ancien eurodéputé Henri Weber (seule “figure” de la majorité croisée, avec la porte-parole Corinne Narassiguin), on en vient à se demander ce qu'on fait encore là. Dans un couloir désert, le député Pascal Cherki, proche de Benoît Hamon, se fait clown triste : « Je ne fronderai pas, car je ne frondais pas avant. Je votais contre le gouvernement seulement quand il s'éloignait du discours du Bourget. Je vais faire pareil avec le texte de la motion A. » Ce fameux texte rédigé avec Martine Aubry, mais qui est censé tenir lieu de ligne pour Manuel Valls (lire ici et ici).
Dans un couloir désert, un autre pilier de la motion B confie en soupirant : « C'est sûr qu'on ne va pas pouvoir continuer comme ça. On ne peut plus envisager de sortir, depuis que les Verts ont choisi de se replier sur eux-mêmes. Mais il faut qu'on ait quelque chose à l'extérieur… »
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