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Logement social : controverses autour des dirigeants d'Adoma

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C’est un immense bouleversement que va connaître, le 1er juin, Adoma, une société plus connue dans le passé sous le nom de Sonacotra et qui est le premier opérateur national pour l’accueil des demandeurs d’asile, dans le secteur de l’hébergement adapté aux situations de grande précarité ou dans l’accueil des gens du voyage. À l’occasion d’une assemblée générale des actionnaires, l’entreprise va en effet être privatisée et son conseil d’administration sera profondément renouvelé, de même que la direction de l'entreprise, avec notamment la cooptation de deux personnalités qui alimentent la controverse et qui symbolisent à elles seules le séisme que va vivre la société.

La première de ces deux cooptations va profiter à Jean-Philippe Gasparotto, le responsable CGT de la Caisse des dépôts (CDC), qui va faire son entrée au conseil non pas en qualité d’administrateur élu par les salariés mais, de manière surprenante, sur proposition de la direction de l’entreprise, ce qui suscite l’indignation du… syndicat CGT d’Adoma ! Et la deuxième cooptation va profiter à Jean-Paul Clément, qui va devenir directeur général de la société, ce qui suscite également l’inquiétude des syndicats, car dans ses anciens postes, l’intéressé n’a pas laissé que de bons souvenirs. Mediapart a en particulier découvert que du temps où il était le directeur de la société de gestion immobilière de la Ville de Lyon, Jean-Paul Clément a donné des instructions pour faire des travaux dispendieux dans un logement occupé par un journaliste connu de la ville, qui a fait ses classes dans le journal d'extrême droite Minute.

Examinons d’abord la première de ces deux cooptations. Si elle est importante, c’est qu’elle va alimenter une crise qui couvait depuis de longs mois et qui est désormais devenue publique : le principal responsable de la CGT de la Caisse des dépôts est, de fait, mis en cause par des syndicalistes de sa propre confédération pour la « forte connivence » qu’il entretient avec l’un des dirigeants de la Caisse. L’histoire retient l’attention à double titre : d’abord parce qu’elle a pour origine une réforme importante et contestée, qui va conduire à la privatisation d’Adoma ; ensuite, parce qu’elle met à jour les difficultés innombrables que rencontrent parfois les militants qui entendent défendre les pratiques du syndicalisme indépendant.

Cette crise qui traverse la CGT trouve en effet sa source dans une réforme d’importance, qui va conduire à la privatisation d'Adoma (lire Logement des plus démunis : vers la privatisation d’Adoma). À l’occasion d’une assemblée générale des actionnaires, convoquée pour le 1er juin, le capital d'Adoma, qui remplit des missions d’intérêt général, va être bouleversé. Jusqu’à présent, Adoma était en droit une société d’économie mixte d’État, contrôlée à 57 % par l’État, les 43 % restants étant contrôlés par la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et premier bailleur social en France. Le 1er juin, Adoma va perdre son statut de société d’économie mixte d’État pour n’être plus qu’une société d’économie mixte : à cette échéance, la SNI va en effet contrôler 57 % du capital et l’État seulement 43 %.

Pour le syndicat CGT d’Adoma, il s’agit donc d’une réforme majeure, pour d’innombrables raisons. D’abord, le changement de statut de la société aura pour effet que celle-ci ne sera plus couverte par la loi de 1983 qui réserve des sièges aux conseils d’administration pour les représentants élus des salariés. Et deuzio, les syndicalistes redoutent qu’en entrant définitivement dans le giron de la SNI – qui assure la gérance de l’entreprise depuis quatre ans –, Adoma ne soit soumise à la logique financière de son actionnaire. Depuis plusieurs années, les syndicalistes font en effet grief à la direction de la SNI de se détourner de ses missions sociales pour se recentrer prioritairement sur le logement intermédiaire et surtout, financer son développement en recherchant des gisements de « plus-values latentes ».

Or, Adoma est riche en gisement de « plus-values latentes » de ce type. Dans les décennies 1950 et 1960, des nombreux foyers Sonacotra accueillant des travailleurs immigrés ont en effet été construits à la périphérie des villes. Mais l’urbanisation galopante intervenue les décennies suivantes a eu pour effet que ces constructions ont été englobées dans les centres urbains, et le foncier a pris depuis une valeur considérable.

D’où la crainte des syndicalistes : dans une logique financière, la SNI pourrait être tentée de céder certains biens immobiliers détenus par Adoma, pour reconstruire des logements à la périphérie beaucoup plus lointaine des villes. En somme, la privatisation d’Adoma pourrait avoir pour conséquence de soumettre la société à une logique financière, au mépris de celle de mixité sociale.

On pourrait certes objecter que la Caisse des dépôts est une institution financière publique et que la privatisation n’en est pas véritablement une. L’argument n’est toutefois pas de nature à apaiser les inquiétudes syndicales. D’abord, à cause de la recherche de ces « plus-values latentes », qui est au cœur de la stratégie de la SNI. Ensuite, parce que le capital pourrait encore évoluer. En 2010, l'Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL – l’ex-1 % Logement) a fait un apport en compte courant à Adoma de 25 millions d’euros, et une clause pourrait permettre à l’avenir que cette somme soit convertie en part du capital, et donc à l’organisme de monter jusqu’à 20 % du capital de la société d’économie mixte. Or, si, sur le papier, l’UESL est un organisme paritaire, dans les faits, c’est le Medef qui en assure le pilotage. Ce qui renforce les craintes des syndicalistes.

Seulement voilà ! Le syndicat CGT d’Adoma a fort à faire pour se faire entendre. D’abord, parce que Manuel Valls a donné son feu vert à cette absorption d’Adoma par la SNI, mais aussi parce que le responsable CGT de la Caisse des dépôts, Jean-Philippe Gasparotto, a pris fait et cause pour la SNI et son président, André Yché, dont il est proche. Résultat : à chaque fois que le syndicat CGT d’Adoma a fait valoir dans les instances représentatives du personnel que ce projet de privatisation l’inquiétait, la direction de la SNI et de la CDC a fait la sourde oreille, en faisant comprendre qu’ils avaient Jean-Philippe Gasparotto dans leur poche.

André Yché (à gauche), Jean-Philippe Gasparotto (au centre)André Yché (à gauche), Jean-Philippe Gasparotto (au centre)

Du coup, au sein même de la CGT, l’affaire a tourné au vinaigre. Et à l’unanimité, le 7 avril, la commission exécutive du syndicat CGT d’Adoma a décidé d’adresser une « demande de soutien » à Philippe Martinez, le nouveau secrétaire général de la CGT. Dans ce courrier (dont on peut lire la teneur dans sa version intégrale sous l’onglet Prolonger de cet article), le syndicat rappelle d’abord ce qu’il a fait contre le projet de privatisation : « Nous avons manifesté le 28 mars 2011 avec plus de 1 000 salariés contre cette prise de contrôle, nous avons rencontré nos ministères de tutelle (Logement, Intérieur, Finances) à plusieurs reprises pour porter la défense de l’insertion des plus démunis par le logement en accord avec nos revendications confédérales. La privatisation d’Adoma a été dénoncée par la presse, par les politiques que nous avons interpellés, par des associations et des syndicats au travers d’une pétition en ligne. »

Mais ensuite, le syndicat entre dans le vif du sujet : « Notre bataille a déchaîné les foudres des directions générales d’Adoma et du groupe SNI qui n’ont pas hésité à nous menacer, à nous discriminer, mais aussi à nous attaquer de façon nauséabonde au travers d’articles de presse. […]. Malheureusement, on trouve dans chacun de ces articles des références à la position de la CGT CDC qui est favorable à cette montée au capital, ce que n’a pas manqué de nous rappeler notre direction lors des diverses réunions de négociation devant les autres organisations syndicales. Les actions du Secrétaire de la CGT CDC (Jean-Philippe Gasparotto) vont donc à l’encontre de toutes les actions que nous avons mises en place pour défendre les salariés et les missions d’Adoma : nous pensons qu’une forte connivence existe entre lui et André Yché (Président du Directoire du Groupe SNI) depuis qu’il a été détaché auprès de la direction SNI. De plus la politique actuelle du Groupe SNI semble plus que paradoxale : Elle s’affiche en matière de logement social (Cf La prise de contrôle d’Adoma), tout en prônant la construction de logements plus chers et moins sociaux, dit[s] "intermédiaires". Du coup, on ne peut que douter de l’engagement de ses dirigeants pour "l’intérêt général". Et le silence de la CGT SNI et CDC sur les différentes dérives du groupe ne font [fait] que renforcer nos doutes sur la défense des orientations confédérales sur le logement par ces syndicats. »

La Fédération nationale des salariés de la construction, bois, ameublement (FNSCBA-CGT) à laquelle appartient le syndicat d’Adoma a, elle-même, pris position. Dénonçant le « désengagement de l’État », elle a apporté le 14 janvier son soutien aux militants d’Adoma : « C’est avec cette légitimité que nous partageons cette analyse, vos propositions et soutenons le combat engagé par votre syndicat auprès des salariés. »

Cette crise au sein de la CGT, qui a donc pris une tournure publique, s’est encore creusée depuis que cette « demande de soutien » a été adressée au nouveau secrétaire général de la confédération. Car le président de la SNI, André Yché, et le responsable de la CGT Caisse des dépôts, Jean-Philippe Gasparotto, ont depuis donné un nouveau signe de leur proximité et de leur bonne entente – pour ne pas parler de leur « forte connivence » : le premier a en effet décidé de coopter le second comme administrateur d’Adoma.

Que des syndicalistes siègent comme administrateurs élus par les salariés, c’est naturellement pratique courante : c’était d’ailleurs ce que connaissait Adoma jusqu’à aujourd’hui. Mais que des syndicalistes deviennent administrateurs d’une société en étant non pas élus par les salariés, mais désignés par le PDG, et de surcroît pour appliquer une politique contraire au syndicat de l’entreprise : voilà qui est pour le moins inhabituel. C’est pourtant à cet exercice que va se prêter le syndicaliste Jean-Philippe Gasparotto : adoubé par le président et non par les salariés de l’entreprise, il va y défendre la logique de la privatisation contre laquelle s’insurge… le syndicat CGT de l’entreprise.

Et l’affaire prend un relief moins anodin qu’il n’y paraît. Car la CGT de la Caisse des dépôts est l’un des syndicats importants de la Fédération CGT des finances, qui a toujours eu des penchants très droitiers ; laquelle fédération est un membre fondateur de l’association Attac ou encore l’un des pivots de l’association Droit au logement. L’étrange collusion entre le principal dirigeant CGT de la Caisse des dépôts et la direction de la SNI est donc suivie de près, et depuis longtemps, par de très nombreuses autres organisations syndicales de toutes sensibilités, qui interviennent dans le secteur public financier ou celui du logement social, car elle a fortement freiné les initiatives communes, qui sont une tradition. En particulier, elle pèse depuis longtemps.

La seconde cooptation qui retient l’attention et risque d’alimenter la controverse est donc celle de Jean-Paul Clément, qui va devenir directeur général d'Adoma. Peu apprécié des organisations syndicales de la société, l’intéressé a fait toute sa carrière dans des organismes liés à la SNI. En particulier, il a été jusqu’à la mi-2011 le directeur général de la SACVL, la société de construction et de gestion immobilière de la Ville de Lyon, fondée en 1954 par Édouard Herriot.

Cherchant à comprendre la défiance des syndicats, Mediapart a fait parler beaucoup d’acteurs du logement social à Lyon, et a découvert, par exemple, cette histoire. En avril 2011, à une époque où Jean-Paul Clément était donc toujours directeur général de la SACVL, des travaux dispendieux ont été entrepris pour rénover de fond en comble un appartement de 126 m2 occupé par un journaliste, dans le 2e arrondissement de la ville. Mediapart a pu consulter les factures : elles font apparaître que les travaux ont coûté au total 85 670,79 euros. Il est souvent mentionné par les services de la SACVL qu'ils ont été engagés sur instruction du directeur général. « Demande DG SACVL », lit-on fréquemment sur les feuilles récapitulant les travaux. Sur l’un des documents, on relève même cette mention : « Reconstitution des plinthes et jambages de cheminées en matériaux composites + peinture à effet (une solution sans coût supplémentaire avait été proposée par le plâtrier mais refusée par le locataire qui avait considéré qu’elle n’était pas suffisamment esthétique). » On comprend ainsi que les services jugent souvent ces travaux superflus, ou du moins, que ceux-ci ont dérogé aux procédures habituelles.

Et l’identité de l’heureux locataire est, elle aussi, intéressante. Il s’agit de Gérard Angel, un ancien du journal d’extrême droite Minute, devenu par la suite rédacteur en chef des pages politiques du Progrès, avant de fonder à Lyon un journal satirique, Les Potins d’Angèle. Lesquels Potins d’Angèle n’ont pas hésité à dire de temps à autre tout le bien qu’ils pensaient de la SACVL en général et de Jean-Paul Clément en particulier. Témoin, cet article que l’on peut consulter ci-dessous, qui applaudit au désendettement auquel est parvenue la société sous l'autorité de son directeur général :

                                              (Cliquer sur le document pour l'agrandir)

« En trois ans », depuis la nomination de Jean-Paul Clément à la direction générale, « le ciel s’est largement éclairci […] ; la situation financière de la société s’est très largement redressée », applaudit ainsi le journal.

Interrogé par Mediapart sur le montant de ces travaux, Gérard Angel s'est défendu de toute relation de connivence avec Jean-Paul Clément : « Je ne connais pas le montant des travaux que je n’ai ni de près ni de loin commandés. Ce que je sais, c’est que l’appartement était auparavant dans un état de délabrement avancé. Il a été remis aux normes, sans luxe », nous a-t-il déclaré (on trouvera toutes ses observations sous l'onglet Prolonger de cet article). Jean-Paul Clément lui-même nous a fait valoir que le montant de ces travaux n'avait rien d'exorbitant pour un appartement qui avait été occupé pendant près de trois décennies par le locataire précédent.

Dans le lot des nouveaux dirigeants d'Adoma, il en est d’autres, qui ne susciteront pas la polémique ou même font plaisir aux associations attachées au droit au logement. Ainsi, le nouveau président du conseil d’administration d’Adoma sera Patrick Doutreligne, l’ex-délégué général de la fondation Abbé-Pierre. Mais son arrivée ne sera sans doute guère suffisante pour contenir toutes les autres controverses…

BOITE NOIREMis en ligne ce jeudi 28 mai à 9H du matin, cet article a été légèrement modifié vers 11 heures. J'avais indiqué que Jean-Paul Clément entrait également au conseil d'administration, ce qui est inexact. Cette erreur a donc été corrigée.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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