Et maintenant ? Après le vote des motions par les militants du PS, où le texte signé par Manuel Valls et Martine Aubry derrière Jean-Christophe Cambadélis a obtenu une nette majorité, le congrès de Poitiers (5-7 juin) pourrait être l'occasion de lancer le « deuxième temps » du quinquennat. Candidat au poste de premier secrétaire lors d'un second vote militant ce jeudi, Christian Paul ne cache pas sa circonspection face à la période politique qui s'ouvre.
Premier signataire de la motion B (réunissant les ailes gauche du PS et le collectif “Vive la gauche” de parlementaires dits frondeurs) qui a recueilli près de 30 %, le député de la Nièvre revient dans un entretien à Mediapart sur les premiers enseignements du vote militant, les enjeux d'un congrès dont il regrette l'absence de « clarification du sens politique », les perspectives incertaines de la gauche de gouvernement, et son souhait de voir émerger une « prochaine gauche ».
Lors du vote des motions, votre texte a recueilli les suffrages de près de 20 000 militants. Soit environ le même nombre que la principale motion contestant l’orientation majoritaire du PS, congrès après congrès, depuis l’après 21 avril 2002. Comment expliquez-vous ce statu quo ?
Évidemment, je prends acte du résultat, tout en notant que l’abstention militante extrêmement forte résonne comme celle des Français. Mais dans ce paysage douloureux de désaffiliation socialiste massive, ces 20 000 voix ne sont pas rien dans ce moment politique.
Il n’y a de toute façon ni gagnant ni perdant, quand tant de militants s’abstiennent. Ce qui doit nous obliger et nous obséder, c’est l’urgente revitalisation du PS. Il parle une langue ancienne, quand le pays réclame une parole vivante dans la cité. Comment continuer d’être un parti majoritaire malgré une base réduite, sans se redonner une capacité attractive ? Je reste persuadé qu’il y a aujourd’hui une demande alternative à l’intérieur du parti, et l’on retrouve cette exigence dans toutes les motions.
Il y a certes une motion majoritaire, mais pas de clarification du sens politique de cette période. Et je suis certain qu’il y aura dans les semaines et mois à venir, au sein du parti, une majorité d’idées à géométrie variable qui surprendront, en ce qu’elles transgresseront les clivages peu lisibles de ce congrès.
On peut évoquer la baisse des effectifs, les réflexes légitimistes, le poids des élus sur le parti… Mais le PS n’est-il pas simplement un parti fidèle à l’orientation gouvernementale menée depuis trois ans ?
Le PS subit, mais n’inspire pas. L’ambition démocratique de ce congrès aurait dû être bien plus forte. À nous de l’incarner. Chacun doit apparaître à visage découvert, et non se réfugier derrière une motion paravent qui occulte les idées. La façon dont s’est déroulé le congrès jusqu’ici ne convainc pas grand monde sur le fond. Je ne parle pas de triche, ça n’est pas le sujet, mais de l’influence organisée sur les militants. Dans ce congrès, la conservation de l’appareil l’emporte jusqu’ici sur la sincérité des idées.
Je préfère les débats à ciel ouvert au huis clos. Les Français auraient pu constater la qualité des échanges et l’image du PS en serait sortie améliorée, voire grandie. Le peuple de gauche aurait pu y reconnaître ses préoccupations. Or la manière dont on conduit un congrès dit beaucoup de la conception du parti de chacun. Et aujourd’hui, le premier parti de la gauche française n’échappe pas à la défaillance démocratique nationale.
Finalement, au vu de vos pedigrees respectifs, Jean-Christophe Cambadélis n’est-il pas un candidat plus idoine que vous pour être le premier secrétaire qui verrouille le parti et l’aligne derrière le gouvernement ?
Vous désignez probablement ses qualités aux yeux de quelques-uns… Nous sommes les socialistes, pas un parti d’extrême gauche ou un petit parti. Il faut enfin cesser de subir son rétrécissement et son dépérissement. Cette analyse devrait être partagée par tous les dirigeants, même si nous avons des passés militants différents. Et une vision différente de l’avenir de la gauche !
Nous n’en sommes encore qu’au commencement de quelque chose, une transition, une nouvelle étape dans le grand livre de la gauche. Ce que nous portons ne saurait se résumer à une fronde ou à une contestation, car cela exprime les interrogations d’une majorité de citoyens engagés à gauche et de militants.
Se contenter de dire : « Il faut soutenir le gouvernement », et pour certains, tenter en même temps de réorienter la politique de Manuel Valls sera un exercice difficile. Lors de ce congrès, on n’a pas pu approfondir les débats menés à l’Assemblée nationale depuis un an. Encore ce dimanche, François Lamy [très proche de Martine Aubry – ndlr] a tweeté : « Pas de doute : ce n’est pas la ligne de Jean-Marie Le Guen qui a gagné. » Tout est dit en cent quarante caractères.
En fait, sont désormais seules en présence deux grandes options au sein de la gauche de gouvernement. Elles se sont cristallisées depuis l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, qui a sans doute été un contresens historique, et les départs du mois d’août après Frangy-en-Bresse : d’un côté une ligne social-libérale assumée, de l’autre, une gauche de transformation, prolongeant le projet socialiste de 2011, où l’on trouve une bonne partie des engagements et des idées de la “prochaine gauche”. À Poitiers, j’en suis sûr, l’une comme l’autre s’exprimeront.
Changeriez-vous quelque chose à votre campagne de congrès, si c’était à refaire ? Notamment votre ton finalement très légitimiste, demandant l’application du programme de François Hollande de 2012…
Jusqu’ici, on peut demander des changements profonds dans la politique menée par François Hollande et le retour à ses engagements sans se trahir soi-même et sans manquer à la loyauté ! Il y a plusieurs sortes de congrès. Ceux de “routine”, comme à Toulouse en 2012 ou de Brest en 1997, ceux de “leadership” comme à Reims en 2008 ou Rennes en 1990, ceux d’“orientation” comme à Dijon en 2003 ou au Mans en 2005. Aujourd’hui, nous sommes dans un congrès d’“orientation”, en pleine tempête politique et institutionnelle et à deux ans d’un renouvellement électoral présidentiel à très haut risque. Du coup, ce congrès s’est retrouvé percuté par l’argument légitimiste.
Clairement, nous nous sommes inscrits de façon responsable dans la volonté de sauver la fin du quinquennat, car si celui-ci se termine par un échec, la gauche sera au placard pour longtemps ; et l’on connaît les projets de la droite. C’est donc un enjeu stratégique pour nous, qui n’épuise pas notre volonté de voir émerger une “prochaine gauche”. Mais il aurait été trop facile de se détacher du réel et de la menace immédiate qui pèse sur l’avenir de la gauche.
Cela nous a conduits, à notre corps défendant, à jouer les pompiers et à nous sentir aussi comptables de l’urgence. Mais la gauche de transformation ne se résume pas aux deux ans à venir. Son projet s’affirme depuis quelques mois. La droite et l’extrême droite piaffent pour le pouvoir. Nous n’avons pas souhaité être dans l’après-Hollande, par respect pour ceux qui croient encore à la gauche. Mais il est certain qu’il faudra élever le niveau de jeu, à commencer par Poitiers, lors de la tenue du congrès.
Si l'on veut que ce congrès ne soit pas un mauvais souvenir pour tous, il faut qu’il y ait des confrontations d’idées. C’est aussi le sens de ma candidature face à Jean-Christophe Cambadélis. On ne dirige pas un parti grâce à l’habileté des textes. Je défends une éthique de la politique pour la clarté des idées, le respect des engagements, face à la fracture civique actuelle. Je reste persuadé que la défiance naît de l’impuissance et du non-respect des engagements. Ce qui va se passer après le congrès sera révélateur, de la sincérité des choix et de la capacité du PS à retrouver un rôle… Ou pas.
Comment croire à un “deuxième temps” du quinquennat, où le gouvernement infléchirait à gauche sa politique, quand depuis le vote du congrès le CV anonyme a été abandonné, le 49-3 est déjà brandi pour la loi Rebsamen, et un nouveau report a été annoncé pour la mise en œuvre du compte pénibilité ?
Mon devoir est de tout faire pour que ces deux années soient efficaces, avec une empreinte sociale forte. J’en sais les difficultés. Mais quand nous défendons des projets palpables, concrets, sur des problèmes vécus, les regards se tournent vers nous. Les amendements de Benoît Hamon sur le burn out seront, je l’espère, soutenus par tous. De même, je poursuis mon combat contre la « rente bancaire » et les frais prélevés sur tous les Français.
La loi Rebsamen sur le dialogue social est typique d’une méthode de gouvernement qui contribue à inquiéter les Français et à déboussoler l’électorat de gauche. Avant la loi, on redoute des entailles sérieuses au droit du travail. Finalement, quand le texte est présenté, il pèche plus par ce qu’on n’y trouve pas que par ce que l’on y trouve. Puis le compte pénibilité, mesure ayant permis à de nombreux députés socialistes de voter la réforme des retraites, est encore reporté. Il ne faudrait pas que nous bradions l’une des potentielles avancées sociales du quinquennat.
Comme pour l’abandon du CV anonyme, cela montre que le dialogue avec le parti existe peu, car ces choix n’ont pas été débattus au PS. D’autres moments de vérité vont arriver, notamment le retour de la loi Macron à l’Assemblée, et encore plus précisément le travail du dimanche. Il est urgent de rechercher un compromis entre le PS – toutes les motions le demandent – et le gouvernement. Puis il y aura le débat budgétaire, et l’opportunité d’engager la réforme de justice fiscale attendue et le redéploiement des milliards du pacte de responsabilité. Je n’imagine pas que les débats aillent à l’encontre des orientations des quatre motions soumises au vote des militants, convergentes au moins sur ces points.
Mais imaginons que tout aille dans le meilleur des mondes possibles jusqu’en 2017, tel qu’imaginé par la motion A de Jean-Christophe Cambadélis et Martine Aubry. Pensez-vous que cela permettra de retrouver les sympathisants qui se sont éloignés, à force de renoncements sur les libertés publiques, les discriminations et les quartiers populaires, les droits des migrants, l’environnement… ?
Pour reconquérir le cœur des Français et l’adhésion des militants politiques, non, ça ne suffira évidemment pas. Nous insistons sur la bataille économique, contre le chômage de masse qui ne baisse pas, les choix fiscaux et budgétaires, le rapport de force en Europe, face à l’austérité et à la rigueur. Mais je sais aussi que dans les domaines que vous évoquez, les choix et les paroles déçoivent et déconcertent. Et si nous ne menons pas une offensive politique, avec des principes et des actes, nous perdons tout crédit dans la société.
Le PS doit s’armer pour répondre à ces grands enjeux, et surtout avec les citoyens. Si l’on prend l’exemple du 11-Janvier, nous n’avons pas profité de la fécondité de ce moment pour en obtenir le meilleur. Dès janvier, nous avons avancé l’idée d’un “plan République”. On aurait pu imaginer la tenue de forums et de débats participatifs, non pour imposer, mais pour reformuler à l’échelle du pays le sens actuel des valeurs de la République, de la laïcité. Pas sur un mode technocratique, mais aussi en questionnant le maillage territorial, celui des services publics du XXIe siècle et les inégalités qu’il génère. Ce n’est pas seulement lié à un point ou non de croissance en plus. On a l’impression qu’on a tout misé sur ce seul objectif…
Durant ce congrès, nous avons tenté de faire entendre notre voix sur la politique d’accueil des migrants, la lutte contre le contrôle au faciès, le fonds d’interpellation citoyenne, la loi renseignement ou le manque d’ambition de la transition écologique. Ces questions sont au cœur de l’identité de la gauche, qui doit imprimer un élan dessus. Là, on a décidé sans ou contre la société mobilisée. Et le langage techno et les effets de communication nous détachent de ce que nous avons élaboré dans l’opposition. Nous devons retrouver l’intelligence de parler avec cette société mobilisée, de miser sur la société créative, de ne pas nous contenter d’administrer le réel à court terme. Car le pragmatisme ne peut suffire, à lui seul, à remplacer le socialisme.
Notre projet en 2011 reposait sur une puissance publique forte et notre capacité à mobiliser les Français pour les transformations à réussir. C’est plus que jamais d’actualité ! Le marché ne peut pas tout. Or aujourd’hui, la puissance publique est faible, on l’a vu avec la loi bancaire. Les conférences sociales ont montré les limites de notre capacité à mobiliser la société. Je ne me résous pas à ce que les titres des livres qui en 2017 relateront cette période se résument à « la gauche sans ambition ».
Que vous inspirent les victoires de Podemos en Espagne, du point de vue de l’innovation politique, et celle de Syriza, en termes de pratique du pouvoir ?
Je ne partage pas du tout la peur de Jean-Christophe Cambadélis à l’égard de ce qui se joue là-bas. Il est bon de noter que les socialistes espagnols (PSOE) n’ont pas attendu Podemos pour perdre des élections. Mais seul un projet de gauche pour la gauche rassemblée permettra l’alternance, comme dans les grandes villes ces jours-ci. Le PSOE peut gagner les prochaines législatives, s’il parvient à réunir la gauche. De la même façon, quand le Pasok s’est effondré, personne ne doit regretter que Syriza ait pris le pouvoir.
En tout état de cause, chaque pays a son histoire et le transfert de concept politique n’est pas automatique. Mais ça doit nous interroger sur les exigences démocratiques et les fortes attentes sociales, ici comme là-bas ! Ce qui se passe en Espagne ringardise d’ores et déjà les habiletés du congrès de Poitiers. Cela doit nous encourager à faire vivre les « valeurs agissantes » et les « offensives concrètes » sur des nouvelles formes de militantisme et d’association avec les citoyens. Et cela demande de l’authenticité.
Je ne suis pas dupe du positionnement tactique de quelques-uns chez Podemos, ni de la facilité de certains discours quand on n’exerce pas le pouvoir. Mais quand ils s’adressent au peuple, ils sont compris, et répondent concrètement à la vie réelle des gens. Il n’y a aucune raison de les diaboliser !
Pensez-vous que la prophétie de Manuel Valls sur la possible mort de la gauche est derrière vous ? N’y a-t-il pas nécessité de clarifier les ambiguïtés à gauche, de façon plus nette qu’elles ne l’ont été lors de ce congrès ? Pour le dire plus clairement encore, un centre-gauche “démocrate” est-il encore conciliable avec une “gauche de gauche” ?
La confrontation des gauches au sein du PS existe. Le cacher serait stupide, l’exploiter serait suicidaire. L’issue n’en est pas connue. L’exercice du pouvoir ne respecte pas la trajectoire dessinée au PS avec Martine Aubry, ni même durant les primaires. Aujourd’hui, la messe n’est pas dite. Les élections de 2017 donnent une indication en vraie grandeur. Avant comme après l’élection présidentielle, ce débat aura lieu. Je ne cois pas à l’assise populaire et électorale de ceux qui veulent faire une OPA libérale sur la gauche.
À coup sûr, l’analyse selon laquelle la vie politique serait désormais dictée par le tripartisme est une vision paresseuse et inexacte de la situation, qui aurait pour seul avantage de vouloir rassembler sans débattre. Il s’agit en fait d’un déni de réalité vis-à-vis d’une quatrième galaxie bien présente, qui est celle d’une gauche de la gauche pouvant représenter de 10 à 15 %. L’ignorer serait se condamner à devenir un petit parti de centre-gauche sans allié. Je plaide pour que l’on travaille à une « grande gauche ».
Jean-Christophe Cambadélis parle de la nécessité d’un nouvel Épinay, mais je crains fort que nous ne soyons en 1958 plutôt qu’en 1971. Saurons-nous raccourcir les étapes ?
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