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Georges Ibrahim Abdallah, trente ans de prison et ce n'est pas fini

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«Aujourd’hui, c’est certainement le plus ancien prisonnier politique en Europe », assure son avocat, Jean-Louis Chalanset. Le militant communiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, 62 ans, entre dans sa trentième année de détention dans les prisons françaises, et vit une situation que l’on peut qualifier de kafkaïenne, sa libération se heurtant à une série d’obstacles toujours insurmontables. Pourtant libérable depuis 1999, et alors que tant d’autres ont regagné leur pays, ce vieux prisonnier, considéré comme terroriste, est en butte à ce qu’il faut bien appeler la raison d’État. Il est actuellement détenu dans la centrale de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées.

25 octobre 1984. Georges Ibrahim Abdallah est interpellé par hasard à Lyon, où il est de passage pour récupérer la caution d’un appartement de location. Porteur d’un vrai-faux passeport algérien, il est rapidement identifié comme un militant clandestin libanais d’une certaine importance.

Ancien membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), Georges Ibrahim Abdallah a été blessé lors de l’invasion du Sud-Liban par Israël en 1978. En 1984, il est devenu un responsable de la Fraction armée révolutionnaire libanaise (FARL). Il s’agit d’une petite organisation d’obédience marxiste, regroupant quelques familles originaires du Nord-Liban, et qui entend réagir à l’invasion du Liban par Israël en exportant la guerre en Europe.

On attribue notamment aux FARL deux assassinats commis à Paris en 1982 : celui du lieutenant-colonel Charles R. Ray, attaché militaire de l’ambassade des États-Unis en France, le 18 janvier, et celui du conseiller de l’ambassade d’Israël en France Yacov Barsimentov, le 3 avril. À cette époque, les FARL revendiquent aussi (conjointement avec les Brigades rouges) l’assassinat du général américain Leamon Hunt, le 15 février 1984 à Rome.

Avec Jacques Vergès, lors de son procèsAvec Jacques Vergès, lors de son procès © Reuters

Mais lors de son arrestation à Paris, en octobre 1984, Georges Ibrahim Abdallah n’est pas impliqué dans cette série de crimes. Il n’est alors poursuivi que pour « association de malfaiteurs », et sera condamné pour cela à quatre ans de prison ferme et une interdiction de séjour de cinq ans, le 10 juillet 1986, par le tribunal correctionnel de Lyon.

Entre-temps, les FARL ont bien cru réussir à faire libérer celui qui apparaît comme leur chef, avec l’enlèvement retentissant du diplomate français Sidney Gilles Peyroles (qui est le fils de l’écrivain Gilles Perrault), le 23 mars 1985 à Tripoli, au Nord-Liban. La France, représentée par le directeur de la DST, Yves Bonnet, mène alors de discrètes négociations avec les ravisseurs, par l’intermédiaire de l’Algérie, et accepte secrètement le principe d’un échange Peyroles-Abdallah.

Le diplomate est effectivement libéré le 2 avril 1985. Mais à peine quelques heures plus tard, lors d’une perquisition ordonnée par les juges d’instruction parisiens, les policiers de la DST découvrent des explosifs et une arme dans une planque des FARL, un appartement loué par Abdallah dans la capitale. Et cette arme aurait justement servi aux deux assassinats commis à Paris en 1982. Du coup, Abdallah reste en prison.

« Comme directeur de la DST, je m'étais rendu à Alger pour négocier avec mes homologues de la sécurité algérienne, avec lesquels j'entretenais de bons rapports, et nous sommes arrivés assez vite à un accord. Je n’avais pas à être informé heure par heure de ce que faisaient les OPJ de la DST pendant ce temps-là à Paris sur commission rogatoire, et je l'ignorais », explique Yves Bonnet à Mediapart.

« Cette perquisition à Paris était tout à fait régulière, mais elle tombait mal pour moi, qui avait donné ma parole que Georges Ibrahim Abdallah serait libéré. Il y avait ses empreintes sur l’arme de poing qui a été découverte. Après ça, le ministère de l’intérieur, le quai d’Orsay et le ministère de la justice se sont mis aux abonnés absents, et il n’était plus question de libérer Abdallah. La France n'a pas respecté sa parole. Il m'a fallu du temps pour arranger les choses avec mes homologues algériens », raconte-t-il.

Le sort de Georges Ibrahim Abdallah va, en outre, pâtir de la série d’attentats à la bombe qui ensanglantent Paris en 1986, et sont hâtivement attribués à son organisation et à ses frères par le tandem de la place Beauvau, Charles Pasqua-Robert Pandraud. Une accusation portée à tort. Pour ne rien arranger, un mystérieux Comité de soutien avec les prisonniers politiques arabes du Proche-Orient (CSPPA) revendique les attentats parisiens en demandant la libération d’Abdallah, ainsi que celle d’Anis Naccache, un militant libanais pro-iranien auteur d’un attentat raté contre Chapour Bakhtiar qui avait fait deux morts, en 1980, à Neuilly. En outre, l’avocat Jean-Paul Mazurier, qui défendait Abdallah, renseignait en fait sur son compte les services secrets français (la DGSE), comme il le confessera dans un livre (L’Agent noir, de Laurent Gally, éditions Robert Laffont), avant d’être radié du barreau.

Lors du second procès, en 1987 devant la cour d’assises spéciale antiterroriste de Paris, ce contexte pèse lourd. Georges Ibrahim Abdallah n’est plus un militant, mais un inquiétant terroriste barbu, l’œil noir, qui fait figure d’ennemi public numéro un. Jugé pour « complicité d’assassinats » sur Charles R. Ray et Yacov Barsimentov, ainsi que pour « complicité de tentative d’assassinat » sur le consul général des États-Unis à Strasbourg, Robert Homme, Georges Ibrahim Abdallah est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le 28 février 1987. Cela malgré un réquisitoire inhabituellement clément de l’avocat général, qui n’avait réclamé que dix ans de réclusion, car plusieurs otages français (Marcel Fontaine, Marcel Carton, Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat) étaient alors retenus au Liban, et que l'État craignait d'éventuelles représailles.

Lors de son arrivée au tribunal de LyonLors de son arrivée au tribunal de Lyon © Reuters

Le temps a passé. La cour d’assises n’ayant pas prononcé de peine de sûreté, Georges Ibrahim Abdallah était en droit de demander une libération conditionnelle à partir de 1999. Or ses demandes successives ont été systématiquement refusées en 2001, 2003, 2004, 2006, 2007 et 2009. « Risque de récidive », « absence de remords », « revendication politique » d’un « acte de résistance », « pas de perspectives de réinsertion », autant d’arguments opposés par les tribunaux d’application des peines pour refuser ses demandes.

« C’est ridicule, puisque Georges Ibrahim Abdallah ne sollicite pas une libération conditionnée à une réinsertion en France, mais qu’il veut seulement retourner dans son pays », explique Jean-Louis Chalanset, qui défend Abdallah depuis le décès, le 15 août dernier, de son avocat historique, le sulfureux Jacques Vergès.

Une décision favorable a pourtant été rendue le 21 novembre 2012, autorisant sa remise en liberté à la condition que Georges Ibrahim Abdallah fasse l’objet d’un arrêté d’expulsion vers le Liban. Son pays est officiellement prêt à l’accueillir. Mais voilà : le ministère de l’intérieur français n’a rien fait pour l’expulser.

Confirmée le 10 janvier 2013 par la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, cette décision a fait l’objet d’un pourvoi. Et la Cour de cassation a fini par casser la décision dans un arrêt rendu le 4 avril, jugeant qu’Abdallah ne pourrait être libéré qu’après avoir fait l’objet d’une mesure de semi-liberté ou de placement sous bracelet électronique pendant un à trois ans... ce qu’il refuse.

Dans cette affaire, une partie civile hors du commun a un droit de regard sur la procédure : les États-Unis. « Les pressions des États-Unis pour que Georges Ibrahim Abdallah ne soit pas remis en liberté figurent au dossier », confirme Me Chalanset. L’ambassade américaine ne s’en cache d’ailleurs pas, qui s’est prononcée par communiqué après la décision du tribunal de l’application des peines, en novembre 2012.

« Les États-Unis se sont toujours opposés à la libération de Monsieur Abdallah. L’emprisonnement à vie était approprié aux graves crimes perpétrés par Monsieur Abdallah et il est légitime de s’inquiéter du danger qu’il représenterait pour la communauté internationale s’il était libéré », fait savoir l’ambassadeur Charles Rivkin, dans un communiqué diffusé le 21 novembre 2012 (on peut le lire ici). Une déclaration de nature à impressionner les autorités françaises, et à peser sur le cours de la justice.

En France, un comité de soutien assez modeste s’est mobilisé en faveur de Georges Ibrahim Abdallah depuis plusieurs années, obtenant quelques appuis auprès d’associations de défense des droits de l’homme (la LDH), et d’organisations politiques (PCF, PG, NPA, LO), ainsi que d’intellectuels comme Gilles Perrault (lire également ici l’article de Dominique Conil sur le livre récent de Chloé Delaume et Daniel Schneidermann, Où le sang nous appelle).

Le 23 octobre, douze élus de gauche ou écologistes (députés, sénateurs, maires, conseillers généraux) ont adressé une lettre ouverte à François Hollande pour demander la libération de Georges Ibrahim Abdallah, qui « a passé plus de temps en prison que Nelson Mandela » (on peut lire cette lettre ouverte ici).

Jean-Louis ChalansetJean-Louis Chalanset

Certains de ces élus ont écrit à Christiane Taubira, qui leur a répondu qu’elle n’intervenait pas dans les procédures individuelles. « C’est tout de même curieux, dans la mesure où il y a eu un pourvoi du parquet général de la cour d’appel de Paris », remarque Jean-Louis Chalanset. L’avocat se dit aujourd’hui « bloqué », avec un dossier « au point mort », entre pressions politiques et raison d’État.

Serge Janquin, le député (PS) du Pas-de-Calais déjà à l’origine de la lettre ouverte, nous l'annonce : il va bientôt entreprendre une démarche auprès de François Hollande. « Ce sont mes amis André Delcourt et Patrick Braouezec qui m’ont sensibilisé au sort de Georges Ibrahim Abdallah », explique Serge Janquin à Mediapart. « J’étais un peu réservé tant que Jacques Vergès était dans ce dossier, mais son nouvel avocat m’a l’air plus soucieux de travailler le fond », raconte le député.

Serge JanquinSerge Janquin

« J’ai rencontré Georges Ibrahim Abdallah dans sa prison de Lannemezan, fin août. Il porte un regard intéressant sur le Liban, la Syrie, et les révolutions arabes. Lorsque je me suis rendu au Liban, en décembre 2012, comme rapporteur sur la question syrienne à la commission des affaires étrangères, j’ai constaté que toutes les forces politiques libanaises demandent son élargissement. »

« Même mon collègue Alain Marsaud (ndlr : député UMP et ancien magistrat antiterroriste), qui est allé avec moi au Liban, et connaît bien la question, est d’accord sur ce point : Georges Ibrahim Abdallah ne représente plus aucun danger. Sa libération ne poserait aucun problème. Je pense qu'il pourrait même proposer des réflexions intéressantes sur la Syrie. »

En prisonEn prison

Serge Janquin le reconnaît, les soutiens sont peu nombreux au sein de son parti. Il n'a pas souhaité contacter Manuel Valls. « Mais j’ai rencontré Laurent Fabius, qui ne voit aucun inconvénient à l'expulsion de Georges Ibrahim Abdallah. Et à la suite de notre lettre ouverte, je vais bientôt demander une audience au président Hollande, maintenant qu'il est rentré d'Israël, pour qu’il puisse entendre nos arguments. »

Le préfet Yves Bonnet, qui fut directeur de la DST de 1982 à 1985, puis député (UDF), est tout aussi clair. « J’ai fait mon devoir à l’époque en arrêtant Georges Ibrahim Abdallah. Il dit être un résistant, et chacun peut avoir son avis là-dessus. En ce qui me concerne, je n’ai ni haine, ni ressentiment. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison de le maintenir en détention. Il a très largement payé sa dette », déclare-t-il à Mediapart. La parole donnée en 1985, et non tenue par la France, le laisse mal à l'aise, aujourd'hui encore.

Yves BonnetYves Bonnet

« Ce qui me gêne énormément », poursuit Yves Bonnet, « c’est que pour garder Georges Ibrahim Abdallah en prison, on s’est notamment appuyé sur une attestation de mon ancienne maison, la DST, qui a prétendu en 2007 qu’il s’est converti à l’islam. C’est faux. C’est un mensonge inadmissible », tonne Yves Bonnet. Me Chalanset confirme cette anomalie grave qui figure au dossier. Abdallah est toujours marxiste, et laïque, assure son avocat.

« En outre, la France a expulsé des criminels qui avaient été condamnés pour des crimes plus atroces, comme celui qui a décapité Chapour Bakhtiar avec un couteau en 1991 à Suresnes » (ndlr : il s’agit d’Ali Vakili Rad, expulsé vers l’Iran en 2010), poursuit Yves Bonnet. L’ancien directeur de la DST est catégorique. « Je l’ai dit récemment à la télé lors d’un séjour au Liban, je l’ai déclaré au juge d’application des peines parisien, je le répète aujourd’hui : le retour là-bas de Georges Ibrahim Abdallah ne poserait aucun souci. Ce qu’on lui fait en le gardant en prison est scandaleux. »

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