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France Télévisions : la désignation de la PDG entachée d’irrégularités

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Dans un grand pays comme la France, qui se targue d’être régi par des règle dignes d’un État de droit, est-il concevable qu’une personnalité qui ne connaît strictement rien aux métiers télévisuels soit portée à la présidence du plus grand groupe de télévision publique, maison commune qui est censée appartenir au peuple tout entier ? Est-il concevable que la nomination du PDG de France Télévisions se passe à huis clos, entre intrigues, jeux d’influences dans les coulisses du pouvoir et des milieux d’affaires et ne donne donc pas lieu au grand débat public que les citoyens seraient en droit d’attendre ? Est-il admissible que ce débat soit confisqué par un petit clan qui, au terme de conciliabules, parvient à faire nommer celle qu’il a choisie comme favorite, sans doute longtemps à l’avance ?

Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, on se souvient de ce qu’il en était : s’étant approprié les pouvoirs de nomination autrefois dévolus au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le chef de l’État faisait ce que bon lui semblait. Un jour, il envisageait de porter à la tête de France Télévisions Alexandre Bompard, le protégé d’Alain Minc, son conseiller occulte. Et si le projet faisait scandale, il pouvait, sans rendre des comptes à qui que ce soit, changer de pied et nommer un président par défaut, en l’occurrence Rémy Pflimlin, l’actuel PDG dont le mandat arrive à son terme. Le coup d’État télévisuel permanent. L’audiovisuel public sous tutelle, à la merci des humeurs présidentielles, avec à tous les postes clefs des obligés du Palais…

Delphine ErnotteDelphine Ernotte

Mais sous François Hollande, même si tout va de travers, ne faut-il pas au moins donner crédit au chef de l’État du fait que le CSA a été rétabli dans ses pouvoirs anciens et que la nomination du PDG de France Télévisions échappe enfin à ces jeux d’influence et de connivence ? C’était l’une des promesses de François Hollande, qu’il avait déclinée en énonçant ses célèbres anaphores : « Moi président de la République, je n'aurai pas la prétention de nommer les directeurs des chaînes de télévision publique, je laisserai ça à des instances indépendantes » !

Eh bien, non ! C’est triste à dire mais c’est ainsi : en la personne de Delphine Ernotte, jusque-là directrice générale adjointe d’Orange et directrice exécutive d’Orange-France, c’est une personne sans la moindre expérience des enjeux télévisuels – ni des programmes, ni de l’information ! – qu’une très courte majorité des membres du CSA a pris le responsabilité de porter à la présidence du groupe public. Et si cela a été possible, c’est par un concours stupéfiant de jeux d’influence multiples, sur lequel Mediapart a enquêté et qui donnent le tournis. Voici les différents épisodes de cette invraisemblable désignation, tels que nous sommes parvenus à les reconstituer.

* Acte I : Schrameck recompose le CSA à sa main

Quand François Hollande annonce, en décembre 2012, qu’il entend nommer Olivier Schrameck à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), la droite fait valoir, à l'époque, qu’il s’agit d’une nomination très politique. Le chef de l’État honore certes la promesse qu’il avait prise de rendre au CSA le pouvoir de nomination des PDG de l’audiovisuel public. Mais puisque le nouveau patron du CSA est l’ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, et un familier de David Kessler qui a travaillé sous son autorité à Matignon et qui est devenu en 2012 le conseiller du chef de l’État pour les médias et l’audiovisuel, beaucoup de dirigeants de l’UMP raillent la soi-disant indépendance reconquise du CSA. Et ils raillent la promesse bafouée du président de la République avec d'autant plus de pugnacité que nul n’ignore comment cela s’est passé : usant de son pouvoir d’influence que lui confèrent ses fonctions de conseiller élyséen, David Kessler a pesé pour convaincre François Hollande de porter Olivier Schrameck à la tête de cette autorité supposée indépendante.

Après une longue carrière de haut fonctionnaire, attaché au service de l’intérêt général, le conseiller d’État qu’est Olivier Schrameck a pu être offusqué d’être la cible de telles attaques. Le fait est, pourtant, que François Hollande a donc commencé d’un très mauvais pas son quinquennat, en matière audiovisuelle comme en tant d’autres…

Entrant en fonction à la présidence du CSA le 24 janvier 2013, Olivier Schrameck n’a pourtant pas, dans un premier temps, les coudées franches. Car la grande majorité des autres membres de l’institution ont été nommés les années précédentes, sous des majorités de droite. Mais deux ans plus tard, tout est en passe de changer. Comme le mandat de deux des huit membres du collège du CSA arrive à échéance en janvier 2015, le président de l’organisme se prend à espérer que les deux personnalités qui vont leur succéder soient celles auxquelles il pense. Car Olivier Schrameck a deux noms à l’esprit, qu’il n’hésite pas à livrer à ceux qui l’interrogent – Mediapart a recueilli des témoignages très précis de parlementaires socialistes et écologistes qui en attestent : celui de Nathalie Sonnac et celui de Nicolas Curien. De la sorte, en prévision des grandes décisions à venir que devra prendre le CSA et notamment la désignation en avril 2015 du PDG de France Télévisions, il peut espérer enfin faire prévaloir ses vues et contrôler au moins trois voix sur huit, en comptant la sienne.

À l’époque, ses interlocuteurs – ceux qui se sont confiés à Mediapart ont requis l’anonymat – comprennent que dans le cas de l’Assemblée nationale, Olivier Schrameck sait comment s’y prendre. Et sans grande surprise, le 26 janvier 2015, le chef de l’État nomme Nathalie Sonnac (ici sa bio) membre du CSA, sur désignation du président socialiste de l’Assemblée nationale.

Mais dans le cas du Sénat, dont le président est Gérard Larcher (UMP), c’est une autre paire de manche. Certains sénateurs socialistes ou écologistes, consultés par Olivier Schrameck, lui recommandent donc de faire campagne en faveur de Nicolas Curien en jouant la carte « high tech », et en essayant de mettre dans sa manche des élus de droite comme Bruno Retailleau, le président du groupe UMP au Sénat, qui pourrait ne pas être insensible à ce profil. Les mêmes préconisent aussi de passer par le président UMP de la commission de la culture, François Baroin, qui pourrait avoir de l’influence sur Gérard Larcher. Ces conseils ont-ils donc porté leurs fruits ? Et les dirigeants de l’UMP, à commencer par Gérard Larcher, n’ont-ils pas été très finauds ? En tout cas, ce même 26 janvier 2015, le chef de l’État nomme également Nicolas Curien (ici sa bio) membre du CSA, sur désignation du président du Sénat. Voilà donc qui commence bien ! À la fin du mois de janvier 2015, Olivier Schrameck a, à ses côtés, deux nouveaux membres qui lui sont redevables de leur nomination. Et bientôt, nous le verrons dans un instant, il pourra compter sur une quatrième voix, celle de l’ex-journaliste du Point Sylvie Pierre-Brossolette, qui va faire cause commune avec lui.

Olivier Schrameck, qui a accepté de nous recevoir, s’offusquerait certes de cette présentation. Car, il le répète sans cesse : dans ses fonctions, il veille par-dessus tout à l’indépendance des membres du CSA qu’il préside, et il assure qu’il s’interdit d’exercer sur eux la moindre pression. Mais le fait est là, difficilement contestable. Quatre voix sur huit dans sa manche : à quelques encablures de la désignation du nouveau patron de France Télévisions, le patron du CSA tient bien sa maison en main…

Mais de cette proximité entre le président du CSA et les deux nouveaux entrants, sans parler de son alliance – ou de sa convergence d’intérêts – avec Sylvie Pierre-Brossolette, « qui s’épanouit dans ses relations politico-mondaines et qui agit comme si elle était vice-présidente du CSA », selon un très bon connaisseur de ce microcosme, nul ne se doute. Et quand commence, quelques temps plus tard, la procédure de nomination du futur président de France Télévisions, on a toutes les raisons de penser que la règle du jeu va être totalement différente par rapport aux années Sarkozy. Fini le fait du Prince ! La présentation de leur projet par les différents candidats devant le CSA va enfin donner lieu à un vaste débat, public et transparent, sur la télévision publique dont la France a besoin. Erreur…

* Acte II – Le piège d’une élection à huis clos

Si l’élection du nouveau PDG de France Télévisions commence très vite à dérailler et plonge le CSA dans l’une des crises les plus graves de son histoire, c’est parce que quand la procédure de désignation s’engage pour départager les 33 candidats qui se sont mis sur les rangs, tout se passe à huis clos, ce qui facilite grandement la tâche des lobbyistes et communicants en tous genres, qui multiplient à l’envi les chausse-trapes et les intrigues. Dans une authentique démocratie, la télévision publique devrait être une maison de verre, et son avenir devrait être débattu devant tous les citoyens ; dans le cas présent, elle devient une maison close, et cette opacité démultiplie les manœuvres obliques.

Olivier SchrameckOlivier Schrameck

Quand on évoque cette opacité devant Olivier Schrameck, il s’offusque que l’on puisse le rendre responsable de cet état de fait. Il fait valoir que sa fonction de président du CSA lui fait obligation de veiller au respect de la loi et qu’il ne peut prendre la responsabilité qu’une délibération de son institution soit attaquée devant le Conseil d’État et éventuellement annulée. Or, selon lui, le huis clos choisi par le collège du CSA pour départager les 33 candidats était une obligation impérative, découlant de la jurisprudence édictée par une décision du Conseil constitutionnel en date du 27 juillet 2000 (elle est consultable ici). En clair, le Conseil constitutionnel a édicté que « la publication intégrale de ces auditions et débats pourrait porter atteinte à la nécessaire sauvegarde du respect de la vie privée des personnes concernées ».

En application de cette jurisprudence, l’assemblée plénière du CSA adopte donc, le 4 février 2015, des règles très précises pour les auditions des candidats à la présidence de France Télévisions (règles que l’on peut consulter ici). « Le Conseil établira une liste restreinte de candidats qu’il auditionnera. Cette liste sera rendue publique à la condition qu’aucun des candidats retenus ne s’y oppose auprès du président. Les auditions ne seront pas publiques, en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2000 », indique ainsi la délibération du CSA.

Seulement ces règles de confidentialité sont évidemment stupéfiantes et démocratiquement choquantes. Car sous Nicolas Sarkozy, le CSA n’ayant qu’à rendre un avis consultatif sur les PDG de l’audiovisuel public choisis par le chef de l’État, les auditions auxquelles procédaient le CSA pouvaient être publiques. À titre d’exemple, celle de Jean-Luc Hess, le 8 avril 2009, choisi par Nicolas Sarkozy pour présider Radio France, a été publique, et la presse s’en est faite largement l’écho (par exemple Arrêt sur Images, dont on peut retrouver ici, par ce lien payant, le compte rendu).

En quelque sorte, l’avancée démocratique qu’a constitué le rétablissement du CSA dans ses pouvoirs anciens de nomination s’est accompagnée en 2012 tout aussitôt… d’un recul démocratique, celui du huis clos. Recul d’autant plus préoccupant que les modalités de ce huis clos, arrêtées par le CSA lors de sa délibération du 4 février 2015, vont bien au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C’est du moins l’opinion de nombreux juristes, par exemple ceux du Cercle français de droit des médias et de la culture. « À la vérité, estiment ces spécialistes, ce n’est pas à la décision du Conseil que sont imputables les turbulences de la nomination en cours du président de France Télévisions puisque ces turbulences et ces récriminations d’opacité sont provoquées par deux règles : 1. la règle de confidentialité de leur candidature exigible du Conseil par tout candidat ; 2. la règle de confidentialité de leur candidature exigible du Conseil par tout candidat retenu en vue d’une audition. Ces règles ne sont ni de près ni de loin imputables au Conseil constitutionnel mais au CSA seul : la règle de confidentialité posée par le Conseil constitutionnel ne vaut que pour les auditions et les débats du Conseil relatifs à la nomination des présidents des sociétés nationales de programme et non pour les candidatures. »

C’est donc une conception très extensive du secret et de l’opacité que met en place le CSA en ce début d’année 2015 pour la prochaine désignation du futur patron de France Télévisions. Une conception qui suscite à bon droit l’indignation des sociétés de journalistes (SDJ) de France 2 et de la rédaction nationale de France 3, ordinairement pourtant assez peu belliqueuses. Témoin cette tribune libre des deux SDJ que publie le quotidien Le Monde (lien payant) le 21 avril 2015, sous ce titre : « France Télévisions, le règne de l’opacité ». « Nous ne saurons rien de ce qui préside à la nomination du prochain président de France Télévisions. A un moment crucial de l'histoire de notre groupe, où l'Etat nous demande de faire toujours plus d'économies, où les 10 000 salariés sont inquiets pour leur avenir, le CSA nomme à l'abri des regards et dans la plus grande opacité, notre nouveau président. Citoyens et salariés sont donc tenus à l’écart des débats autour de l'avenir de la télévision publique. Nous, journalistes, nous le regrettons », s’indignent les journalistes de France Télévisions.

Et ils ajoutent : « Nous regrettons que le CSA nous donne, d'une main, une mission d'information et de l'autre nous empêche de la remplir quand il s'agit de notre entreprise : injonction paradoxale et formidable carburant pour la machine à rumeurs qui pollue la procédure depuis des mois. Le Conseil constitutionnel a estimé, il y a 15 ans, que “la publication intégrale (des auditions des candidats et des débats) pourrait porter atteinte à la nécessaire sauvegarde du respect de la vie privée des personnes concernées”. Mais le CSA va encore plus loin : il refuse de révéler le nombre et le nom des candidats retenus. L’équipe dirigeante va donc être choisie dans les bureaux d’un organe administratif de 8 membres, sans aucune transparence. Un organe de plus en plus fragilisé : la crise à Radio France et la contestation de son président, nommé par le CSA, l’ont encore montré dernièrement. »

Et les deux SDJ concluent : « Pour les journalistes du service public, il s’agit d’une procédure anti-démocratique, sur la forme comme sur le fond. Que sait-on du projet éditorial qui sera retenu ? Quelle vision pour l’information des différentes chaînes à l’heure où une fusion des rédactions de France 2, France 3 et Francetvinfo est amorcée ? Quel engagement pour que l’indépendance et le pluralisme restent la priorité de nos rédactions ? Cette opacité traduit un mépris troublant pour les téléspectateurs qui font confiance à l’information de leur télévision publique, à la qualité de ses journaux et de ses magazines. La présidence de France Télévisions est un poste suffisamment sensible pour qu'on y attache un souci absolu de transparence. Alors, à quand un processus de désignation enfin à la hauteur des enjeux de notre groupe ? »

* Acte III – Intrigues en coulisses autour de Delphine Ernotte

C’est donc dans un très étrange climat que commence, en ce début d’année 2015, la procédure de sélection du futur patron (ou de la future patronne) de France Télévisions, avec un CSA sur lequel son président a renforcé son autorité, et des règles de confidentialité qui inquiètent légitimement les salariés de France Télévisions.

Mais ce que ne savent pas les journalistes de France Télévisions au moment où ils écrivent leur point de vue, c’est que l’opacité qu’ils dénoncent donne lieu à des intrigues encore plus nombreuses qu’ils ne l’imaginent. Il y a certes l’histoire officielle. Au fur et à mesure, certains candidats annoncent qu’ils sont entrés en lice ; d’autres sont démasqués par la rumeur publique. On découvre ainsi tour à tour l’identité de quelques-uns des 33 candidats : le président sortant de France Télévisions Rémy Pflimlin ; le consultant Pascal Josèphe, passé par les directions de France 2 et France 3 ; Didier Quillot, ancien patron de Lagardère Active et d'Orange France ; Marie-Christine Saragosse, patronne de l'audiovisuel extérieur de la France (France 24, RFI) ; le patron de l’AFP Emmanuel Hoog ; Christophe Beaux, PDG de la Monnaie de Paris ; Nathalie Collin, directrice générale adjointe de La Poste ; Robin Leproux, ancien dirigeant de RTL et de M6…

Mais en vérité, dès le début, c’est une autre candidature qui intrigue, celle de Delphine Ernotte, directrice générale d’Orange pour la France. Sur le papier, elle ne semble certes avoir aucune chance. Comment une Delphine Ernotte, qui a fait toute sa carrière au sein d’Orange, et qui ne connaît strictement rien aux métiers de l’audiovisuel et de l’information pourrait-elle avoir la moindre chance, face à des vieux routiers de cette profession ? Ou s’il s’agit de privilégier une candidature féminine, comment pourrait-elle avoir la moindre chance face par exemple à Marie-Christine Saragosse, qui connaît tout de l’audiovisuel public ? 

Mais la vérité, dont à l’époque personne ne se doute, c’est que Delphine Ernotte a de très puissants appuis. Ou plutôt, par une conjonction hétéroclite d’intérêts, elle a de très influents amis qui aimeraient beaucoup la voir atterrir à la présidence de France Télévisions.

Il y a d’abord Stéphane Richard qui aimerait bien la voir partir d’Orange. Comme le bruit en a couru, Delphine Ernotte se serait-elle montré peu solidaire quand le patron du groupe a été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans le cadre de l’affaire Tapie ? Mediapart en a obtenu des confirmations très précises. Selon de très bonnes sources, Stéphane Richard a jugé que Delphine Ernotte avait même intrigué pour essayer de prendre sa place. Le patron d’Orange a donc considéré que l’exfiltration de l’intéressée vers France Télévisions serait une bonne façon de la mettre dehors sans faire de vagues.

Et, de surcroît, le patron d’Orange aurait-il voulu aussi récupérer son poste, pour que l’ancien directeur du Trésor, Ramon Fernandez, puisse en hériter ? Quoiqu’il en soit, il ne s’est trouvé personne pour la retenir. Mieux que cela ! Au sein même du groupe Orange, la candidate trouve de très influents parrains pour l’aider à partir à l’assaut de la présidence de France Télévisions.

Elle trouve d’abord Xavier Couture, l’ancien patron de Canal +, qui officie depuis plusieurs années aux côtés de Stéphane Richard, et qui après s’être mis un moment au service de la candidature de Didier Quillot, s'est rangé derrière celle de Delphine Ernotte, dès qu’elle s’est déclarée. Mais surtout, Delphine Ernotte reçoit un appui majeur : l’ancien conseiller pour les médias et l’audiovisuel de François Hollande, David Kessler, qui a rejoint le groupe Orange depuis le 1er décembre 2014, se met presque aussitôt au service de la candidature de Delphine Ernotte. Comment l’ancien conseiller de l’Elysée ne comprend-t-il pas qu’en entrant ainsi dans la mêlée, il va derechef jeter la suspicion sur la procédure de nomination elle-même, puisqu’il a été l’un de ceux qui ont contribué à la nomination d’Olivier Schrameck à la tête du CSA ? Même si ce dernier n’y est pour rien, comment David Kessler ne perçoit-il pas qu’il va donner le sentiment d’un petit arrangement entre amis, si d’aventure la candidate derrière laquelle il s’est rangé, remporte la procédure de sélection ? Comment ne se doute-il pas que l’on verra immanquablement la main de François Hollande derrière toute cette affaire, même s’il s’en est tenu à l’écart ?

Avec David Kessler, cette pratique du conflit d’intérêts n’est pas franchement nouvelle. Déjà, au début du quinquennat, il s’était illustré en acceptant ce poste de conseiller à l’Élysée pour les médias et la communication, alors que peu de temps auparavant, il était le responsable du mini-pôle presse du banquier d’affaires Mathieu Pigasse (Lire La gauche, les médias et les conflits d’interêts (1/2) et La gauche, les médias et les conflits d’interêts (2/2) ). Ce qui était évidemment très choquant. Qu’aurait dit la gauche si, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce dernier avait pris pour conseiller à l’Élysée une figure connue du Figaro ? Tout le monde y aurait vu, à bon droit, une énième illustration du capitalisme de connivence à la Française.

Et voilà qu’à peine après avoir quitté l’Élysée, David Kessler se met au service d’une candidate qui brigue la présidence de France Télévisions, le plus grand groupe en Europe de télévision publique.

À l’évidence, ces questions ne font pourtant pas hésiter David Kessler, qui multiplie les déjeuners et les rencontres, pour que sa candidate décroche le poste tant convoité. Et visiblement, ce n’est pas que son choix personnel. Car progressivement, l’équipe de Delphine Ernotte se renforce de figures connues. Comme plusieurs médias s’en sont fait l’écho, le communicant Denis Pingaud (ancien du service de presse de Laurent Fabius, du temps où ce dernier était à Matignon, et ancien d’Euro-RSCG) arrive aussi en appui, lequel Denis Pingaud a aussi conseillé Mathieu Gallet tout au long de la crise de Radio France).

Selon plusieurs médias, Anne Hommel, l’ancienne conseillère de Dominique Strauss-Kahn, serait aussi entrée dans la danse et venue aider Delphine Ernotte. Hypothèse logique ! Ancienne secrétaire de Jean-Christophe Cambadélis, puis consultante d’Euro RSCG, la communicante fait partie de la même bande que David Kessler. Au nombre de ses clients, on compte ainsi également l’ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn, Mathieu Pigasse, devenu patron de la banque Lazard et coactionnaire du journal Le Monde. Or, David Kessler a lui-même été l’un des collaborateurs de Matthieu Pigasse et a supervisé ses participations dans la presse, juste avant l’alternance de 2012. Tous ceux-là font en quelque sorte partie de la même bande. Une bande très proche du pouvoir socialiste. Lors de son récent anniversaire, Anne Hommel avait convié ses proches : on avait ainsi appris que Dominique Strauss-Kahn, Manuel Valls ou encore Jean-Christophe Cambadélis, s’étaient retrouvés pour une soirée de fête, au milieu d’une cohorte de journalistes pas très regardants sur les questions de déontologie (lire ce billet de blog : Quand Valls, Cambadélis et DSK font la fête avec des journalistes).

Nous ne sommes pourtant pas parvenus à vérifier que Anne Hommel était bel et bien de l’aventure. Une source proche de Delphine Ernotte nous l’a même formellement démenti. Ce qui, dans tous les cas de figure, n’élude pas une question de fond, à laquelle nous n’avons pas trouvé de réponse certaine : dans les coulisses du pouvoir, la candidate issue d’Orange n’a-t-elle pas eu des appuis encore plus éminents et plus influents ?

* Acte IV  Sylvie Pierre-Brossolette en campagne

Si, contre toute attente, la candidature de Delphine Ernotte s’annonce sous des auspices favorables en ce début d’année 2015, ce n’est pas seulement parce que ce clan lui vient en appui. C’est aussi parce qu’un membre du CSA, en l’occurrence Sylvie Pierre-Brossolette, va se ranger dans son camp, sans le montrer trop publiquement.

Soumise à une obligation d’impartialité, l’intéressée ne peut, certes, pas l’afficher ouvertement. Mais la vérité, c’est que Sylvie Pierre-Brossolette fait très vite son choix. Et ce choix a pour nom… Delphine Ernotte !

Et de cela, une anecdote en témoigne. Menant une campagne effrénée, l’un des candidats, Didier Quillot, rencontre comme tous ses rivaux les huit membres du CSA pour se présenter. Mais il demande aussi à rencontrer plus d’une centaine de personnalités de la vie publique parisienne, pensant que cela peut contribuer à assoir la légitimité de sa démarche et enrichir le projet qu’il prépare. Dans le lot, en passant par la communicante Anne Méaux, il demande à rencontrer le milliardaire François Pinault, pensant sans doute qu’il serait utile qu’il expose son ambition à un homme d’affaires influent, qui de surcroît est l’un des visiteurs du soir du chef de l’État.

Or, peu de temps après, surprise ! Le même Didier Quillot, selon un membre de son équipe, découvre que Delphine Ernotte a eu vent de sa démarche – allez savoir comment ! – et effectue la même. Mais cette fois, ce n’est pas Anne Méaux qui intervient ; c’est Sylvie Pierre-Brossolette qui demande à François Pinault, propriétaire de son ancien journal, Le Point, de recevoir la directrice générale d’Orange pour la France.

Et la rencontre a bel et bien lieu, le 14 ou le 15 avril. Interrogée par Mediapart, Sylvie Pierre-Brossolette a d’abord nié son intervention en faveur de Delphine Ernotte. Puis elle a marqué un blanc, quand nous lui avons précisé que nous connaissions très précisément le film de ces rencontres avec François Pinault. Alors, notre interlocutrice s’est reprise et a admis à demi-mot son rôle. Se résignant à nous confirmer qu’elle avait déjeuné avec François Pinault le 9 mars, et qu’à cette occasion la rencontre entre le milliardaire et Didier Quillot avait été évoquée, elle nous a expliqué qu’il avait été effectivement envisagé que l’homme d’affaires rencontre d’autres candidats. Mais dire qu’elle a joué un rôle dans l’organisation de la rencontre qui s’en est suivie avec Delphine Ernotte, « c’est un raccourci », nous a dit Sylvie Pierre-Brossolette, qui nous a répété plusieurs fois la même formule : « C’était juste des propos de table » ; « C’était juste des propos de déjeuner ».

La communicante habituelle de François Pinault, Anne Méaux, nous a, de son côté, confirmé qu’elle n’avait joué aucun rôle dans l’organisation de la rencontre Pinault-Ernotte.

* Acte V – Le plagiat du projet de Didier Quillot

Cette étonnante mésaventure n’est pas la seule que connaît Didier Quillot pendant sa campagne. Il va lui en advenir une autre encore plus stupéfiante mais il ne découvrira le pot aux roses qu’au lendemain de la désignation de Delphine Ernotte au poste de PDG de France Télévisions : celle-ci s’est faite élire par les membres du CSA en défendant un projet – aussi invraisemblable que cela soit – qui a été en partie… plagié sur le sien !

Comment une telle chose a-t-elle pu être possible ? C’est Xavier Couture qui nous a mis involontairement sur la piste. Comme nous l’interrogions sur les similitudes nombreuses, pointées par plusieurs médias, entre le projet de Delphine Ernotte et celui de Didier Quillot, notre interlocuteur nous a d’abord fait observer qu’il n’y avait à cela rien que de très normal. Comme il en va de la télévision publique et que les ambitions de l’État tout comme celle du CSA sont affichées, il est logique, nous a-t-il d’abord fait valoir, qu’il y ait des points communs d’un projet à l’autre. Mais dans la foulée, Xavier Couture a poursuivi, en nous faisant ces commentaires complémentaires qui nous ont intrigué : « Je peux assurer que Delphine Ernotte n’a pas été destinataire du moindre document provenant de Didier Quillot. Si quelqu’un met en cause mon honnêteté, il aura affaire à moi. »

Que pouvaient bien vouloir dire ces mots énigmatiques ? En poursuivant notre enquête, nous avons fini par trouver la réponse. En fait, comme on l’a vu, Xavier Couture est, au début, dans le staff qui accompagne la candidature de Didier Quillot. Mais quand Delphine Ernotte déclare la sienne, il change de camp et la rejoint. Et ce transfert est à l’origine d’un quiproquo. Quand il adresse à tous ceux qui l’ont aidé le projet définitif qu’ils ont mis au point ensemble, Didier Quillot oublie que dans le mail groupé figure aussi l’adresse mail de Xavier Couture.

Selon un membre de l’équipe de Didier Guillot qui a accepté de nous transmettre les va-et-vient de mails, son champion essaie sur le champ de réparer la gaffe. Aussitôt, le 16 mars à 9h22, Didier Quillot adresse donc un second mail à Xavier Couture : « Xavier, je viens te t'envoyer par erreur (ou est-ce un acte manqué) mon projet définitif. Je te demande instamment de le détruire de ta boite mail. Je t'embrasse. Didier. » La réponse arrive presque une heure plus tard, à 10h19 : « J’ai ce mail mais pas l’autre, je te tiens au courant, le cloud Apple se fait désirer. Xavier Couture. » En somme, le supporter de Delphine Ernotte assure sur un ton moqueur qu’il n’a pas reçu le premier mail ni la précieuse pièce jointe qu’il contenait. À moins qu’il ne veuille faire comprendre sur un ton badin que le fameux document est déjà oublié.

Voici, ci-dessous, ces échanges de mails, tels qu'un membre de l'équipe de Didier Quillot a accepté confidentiellement de nous les transmettre. En premier apparaît la réponse de Xavier Couture et, dessous, le mail initial de Didier Quillot :

                          (Cliquez sur ces mails pour les agrandir)

Xavier Couture dit-il vrai ? En fait, c’est quand le CSA décide, le 23 avril, d’adouber Delphine Ernotte comme nouvelle présidente de France Télévisions et qu’il rend public son projet stratégique (le communiqué est ici), que Didier Quillot comprend, un peu tardivement, qu’il s’est fait rouler dans la farine. Et que le Cloud d’Apple a en fait merveilleusement fonctionné.

Examinons en effet les deux projets. Voici d’abord celui de Didier Quillot, qu’il a rendu public au lendemain de sa défaite :

Et voici le projet de Delphine Ernotte, que le CSA a révélé après sa désignation :

Or, il suffit de se promener d’un texte à l’autre pour vite se rendre compte qu’il existe des similitudes troublantes.

« Face à la nécessité d’agir vite et de façon structurée, je proposerais au management actuel de France Télévisions de démarrer la période de "tuilage" dès le 1er juin 2015, pour engager très rapidement les actions clés de début de mandat », édicte ainsi le projet Quillot, page 92, avant de préciser quelles devraient être ces actions clefs : « Mettre en place le nouvel organigramme, strictement paritaire hommes/ femmes et rassemblant les compétences internes et quelques expertises externes (troisième trimestre) ». Et, comme en écho, usant des mêmes mots, le projet Ernotte indique à sa page 10 : « La période de tuilage prévue par le Conseil est l’occasion, sans perdre un instant, de préparer la constitution de cette nouvelle équipe dont la caractéristique doit notamment être la capacité à travailler de manière collégiale. Dès mon entrée en fonction, je nommerai une équipe strictement paritaire. »

Autre mimétisme, dans son projet, Didier Quillot annonce, à la page 92, son intention de « réaliser un audit de la situation financière 2015 pour préparer une révision du budget prévisionnel 2015 (troisième trimestre) ». Or, à la page 11 de son projet, Delphine Ernotte dit presque la même chose : « Dès mon entrée en fonction, je procéderai à l’élaboration d’un budget rectificatif 2015. »

Quand on examine ensuite le détail des propositions qui sont faites pour chacune des chaînes de France Télévisions, les mêmes cousinages sautent aux yeux : presque à chaque fois, les pistes sont identiques, comme les exemples cités, souvent même les mots. Ainsi en est-il pour France 2. Dans ce cas, à la page 36 de son rapport, Didier Quillot fixe ainsi cet objectif : « Elle doit aussi encore plus s’affirmer comme la chaîne de l’événement : culturel, sportif, spectacle vivant, prévu ou impromptu, France 2 sera prête à bouleverser son antenne à n’importe quel moment, avec en particulier la conception de soirées évènementielles. » « Le direct événementiel, qu’il s’agisse de sport, de divertissement ou d’information, constitue le pivot du rassemblement d’une audience mixte et intergénérationnelle », dit de son côté, page 16, le projet Ernotte. Dans la foulée, Didier Quillot souligne qu’il faut pas hésiter à marcher sur les brisées de TF1 : « Par exemple, “The voice”, programme distractif et fédérateur, inventé par la BBC et diffusé en Belgique par la RTBF aurait parfaitement sa place sur France 2. » Et page 65, il fait cet ajout : « Ne plus fermer la porte aux formats étrangers en adaptation française (ex : “The voice” sur la RTBF et la BBC, ou “Danse avec les Stars” sur la BBC ». De son côté, toujours à la page 16 de son projet, Delphine Ernotte indique : « D’une certaine façon, avec “Danse avec les Stars” ou “The Voice”, la chaîne privée TF1 réussit à capter, dans sa première partie de soirée le samedi, un public non seulement nombreux mais sensiblement plus jeune que la moyenne. »

Même chose pour France 3. « Une direction commune France 3 et réseau France 3 Régions sera créée et sera directement rattachée à la présidence », énonce Didier Quillot page 38. « Pour rendre sa cohérence et une ambition à France 3, je commencerai par rétablir une unité de commandement entre le National et les Régions », surenchérit page 17 Delphine Ernotte. Il faut faciliter les « possibilités de “prises d’antennes exceptionnelles” plus nombreuses et plus aisées pour les stations régionales », dit le premier. Il faut « multiplier les décrochages évènementiels », complète la seconde.

Même chose encore pour France 4. « France 4 sera recentré sur un format lisible et cohérent et sans ambiguïté : la chaine de la jeunesse, de l’éducation et de la famille », recommande page 41 Didier Quillot. « France 4 doit devenir la référence pour la jeunesse. Ce recentrage a d’ores et déjà été entrepris », complète page 18 Delphine Ernotte.

Dernier exemple – mais on pourrait en cite d’autres à foison – Didier Quillot suggère, page 49, « la création d’un comité éditorial diversité rattaché directement à la direction générale déléguée aux programmes ». Exactement comme Delphine Ernotte qui propose, page 25, « la création d’un comité pour la diversité des programmes auprès de la présidence de France Télévisions ».

Bref, s’il n’y avait que quelques ressemblances, elles pourraient apparaître fortuites. Mais leur accumulation suggère que le projet de Didier Quillot a bel et bien été mis à contribution pour la confection de celui de Delphine Ernotte.

Dans ce projet de Delphine Ernotte, il y a juste un manque. Selon une très bonne source à laquelle Mediapart a eu accès, Delphine Ernotte a récemment confié à certains de ses interlocuteurs qu’elle ne comprenait pas que le service public puisse diffuser des émissions qui « fassent polémique », allusion notamment à « Cash Investigations ». Mais de cette détestation du journalisme d’enquête, on ne trouve pas trace dans son projet officiel.

Interrogée par Mediapart sur ces similitudes, Delphine Ernotte n'a pas souhaité nous répondre. Dans son entourage, on nous a pourtant fait comprendre que notre version des faits ne correspondait pas du tout à la réalité. Et on nous en a présenté une autre : Xavier Couture et Delphine Ernotte se sont croisés chez Orange et, en marge de leurs réunions chez l'opérateur téléphonique, ont bien sûr parlé de France Télévisions. Mais pour autant, Xavier Couture n'aurait jamais fait partie de l'équipe de Delphine Ernotte, et dans le projet présenté par celle-ci au CSA , il n'y aurait aucune ligne qu'elle n'aurait écrite elle-même. Bref, pour les proches de Delphine Ernotte, l'affaire est entendue: tout cela est pure calomnie, teintée de machisme crasse...

Pour sa part, Xavier Couture, nous a fait les observations suivantes : « 1- Je n'ai jamais travaillé pour Didier Quillot, je n'ai jamais participé à la moindre réunion de travail. 2- il n'y a jamais eu “d'équipe” Ernotte, juste un avis ou une opinion au détour de nos conversations chez Orange, tout le reste est affabulations. Pas une fois nous ne nous sommes vus en réunion avec David Kessler. 3- Cette histoire de dossier transféré est grotesque: d'abord parce que Delphine ne l'a jamais vu et surtout parce que ce serait faire injure à mes compétences que d'imaginer que je puisse avoir besoin du dossier de Monsieur Quillot pour réfléchir à la problématique FTV. J'ai eu quelques responsabilités dans ce métier et je supporte difficilement ces insinuations. Tout cela est insultant pour moi et je ne peux malheureusement rien pour guérir les souffrances d'ego de ce Monsieur. »

* Acte VI – Le vote-guillotine du CSA

Avec un CSA qui a été en partie renouvelé et une candidate mystère qui dispose d’influents parrains et d’un projet stratégique qui a fait, semble-t-il, quelques emprunts à celui d’un rival, la compétition à huis clos pour la présidence de France Télévisions prend donc une très étrange tournure, en ce début 2015.

Mais notre histoire va connaître encore un ultime emballement, avec la procédure de vote qui sera finalement retenue pour départager les candidats.

C’est le 1er avril que le dénouement commence à prendre forme. Ce jour-là, les membres du CSA sont en conclave et ouvrent les enveloppes des candidats, pour les recenser. Même si rien ne filtre, le bruit se répand donc que 33 personnes se sont mises sur les rangs. Puis le 15 avril, nouvelle séance plénière : il s’agit cette fois pour les huit membres du CSA d’établir une « short list » : parmi les 33 candidats déclarés, il convient de voter pour savoir quels seront les 7 ou 8 candidats que les membres du CSA auditionneront les jours suivants, avant finalement de désigner le futur ou la future président(e) de France Télévisions.

Et c’est ce jour-là que tout déraille. D’abord, selon plusieurs sources qui ont accepté de violer le huis clos, Olivier Schrameck fait une déclaration liminaire. En substance, il rappelle dans quel contexte difficile le CSA va faire son choix, marqué notamment par la crise sociale très grave qui paralyse au même moment un autre pan du service public, celui de Radio France. Il invite les membres du CSA à veiller à ne pas déstabiliser d’autres entreprises du même secteur, et évoque en particulier la situation de Marie-Christine Saragosse, la patronne de l'audiovisuel extérieur de la France.

De la sorte, le patron du CSA contribue-t-il à ruiner une candidature qui pourrait être très sérieuse ? Le président du CSA s’en défend avec énergie et fait valoir que dans cette déclaration liminaire, il a juste voulu situer les enjeux du scrutin qui allait suivre, avec les risques éventuels de jeux de chaises musicales qu’il pouvait occasionner.

Puis surtout, plusieurs membres du CSA sont surpris quand, l’instant d’après, Olivier Schrameck annonce les modalités du vote. Rompant avec la formule qui avait été retenue lors de l’élection par le CSA de Mathieu Gallet, au terme de laquelle chaque membre du conseil pointait tous les candidats pour lesquels il souhaitait une audition, le président du CSA annonce que cette fois les noms des 33 candidats seront appelés à tour de rôle et qu’à chaque fois les membres du collège voteront « oui » ou « non », étant entendu qu’il faudra au moins cinq voix pour qu’un candidat soit retenu, en prévision des prochaines auditions.

Un membre du CSA, Nicolas About, s’en étonne et demande à Olivier Schrameck pourquoi ce changement de procédure a été choisi. Il souhaite également savoir si une solution de repêchage peut être envisagée, si d’aventure un ou plusieurs candidats ayant de l’expérience passe d’emblée à la trappe. Mais les remarques ne sont pas prises en compte par le président du CSA, et le collège passe ensuite au vote.

Avec le recul, quand on l’interroge sur l’incident, le président du CSA conteste qu’il y ait eu le moindre changement important de procédure et fait valoir qu'avec la première méthode, celle retenue pour Mathieu Gallet, ou avec la seconde, cela serait revenu arithmétiquement strictement au même.

Pourtant, comme le craignaient certains membres du CSA, le scrutin qui commence s’apparente vite à un vote guillotine. Marie-Christine Saragosse à la trappe : 2 voix seulement ! Didier Quillot à la trappe : 4 voix seulement ! Emmanuel Hogg à la trappe : 4 voix également ! Si beaucoup de candidats inconnus sont éliminés, d’autres, qui connaissent par cœur les problématiques de la télévision ou de la presse, sont également écartés, sans avoir pu être entendus par le CSA, alors qu’ils travaillent depuis des mois sur le sujet. Et même si le vote est secret, tout le monde au CSA sait comment les choses se sont passées : la coalition des votes d’Olivier Schrameck, des deux nouveaux entrants et de Sylvie Pierre-Brossolette a fait barrage. 

Le 21 avril, le CSA commence donc les auditions des 7 candidats encore en lice. Et le 22 avril, après l’achèvement de ces auditions, une nouvelle séance de vote commence, qui va tourner au psychodrame. Car, selon de très bonnes sources, Olivier Schrameck, les deux nouveaux entrants et Sylvie Pierre-Brossolette apportent chacun leur voix à Delphine Ernotte, tandis que Pascal Josèphe obtient 3 voix et Rémy Pflimlin 1 voix. En quelque sorte, la même coalition de votes est toujours à l'œuvre…

Contre toute attente, le 23 avril au matin, le CSA est donc contraint de procéder une nouvelle fois à un vote. Et toujours un vote pour rien, car la conseillère qui avait voté pour Rémy Pflimlin, en l’occurrence Florence Mariani-Ducray, se rallie à la candidature de Pascal Josèphe. Résultat : 4 voix pour Delphine Ernotte, toujours les mêmes, et 4 voix pour Pascal Josèphe.

Dans un climat de crise, il faut donc, en urgence, qu’une nouvelle audition des deux candidats soit organisée, avant qu’encore une fois un vote n’intervienne. Et cette fois, Florence Mariani-Ducray rend les armes. Avec 5 voix sur 8, Delphine Ernotte est donc enfin désignée présidente de France Télévisions.

Triste épilogue ! En piteux état, l’audiovisuel public n’avait guère besoin d’une semblable élection, marquée par autant d’irrégularités, qui en disent long sur les systèmes de connivence et de réseaux d’influence qui gangrènent notre démocratie…

BOITE NOIREPour cette enquête, j'ai interrogé beaucoup de personnalités impliquées dans cette affaire, mais je n'ai pas pu les citer toutes, car beaucoup ont requis l'anonymat. J'ai par ailleurs rencontré le président du CSA, Oliver Schrameck, dont j'évoque les points de vue, au fil de cet article. J'ai eu aussi un échange téléphonique avec une autre membre du CSA, Sylvie Pierre-Brossolette, qui a accepté de répondre à mes curiosités. De son côté, Delphine Ernotte, en voyage à San Francisco, m'a fait savoir qu'elle n'entendait pas prendre la parole avant sa prise de fonction, en août, mais j'ai pu accéder à certains de ses proches qui m'ont donné leur version des faits. J'ai par ailleurs eu plusieurs échanges téléphoniques avec Xavier Couture, qui m'a  adressé un SMS résumant sa version des faits, SMS que j'évoque dans le fil de cette enquête.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : JACK avec Pulseaudio


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