La loi "Baby-Loup" défendue par les radicaux de gauche, et votée ce mercredi 13 mai, servira-t-elle à quelque chose ? Ce n’est pas certain, car elle prétend sanctuariser dans la loi une décision de justice se rapportant à une affaire bien précise. La portée normative de ces lois bien trop nombreuses liées à des faits d’actualité se trouve forcément réduite.
Le débat dans l’hémicycle, qui vient clore plusieurs semaines de tergiversations au sein de la majorité, a toutefois eu son utilité. Une fois de plus, il a prouvé le schisme au sein de la gauche sur la question de la laïcité. Et à nouveau montré l'empressement de certains députés de droite ou de gauche à rêver de lois qui interdiraient les signes religieux à l’université et dans les entreprises, après la loi sur les signes religieux à l’école de 2004 et l’interdiction de la burqa dans les lieux publics qui date de 2010.
La proposition de loi d’initiative parlementaire sur laquelle se sont penchés les députés mercredi vient de loin. Déposée par les radicaux de gauche au Sénat en 2012, elle fait suite à la très médiatisée affaire Baby-Loup, cette crèche privée de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) qui avait licencié en 2008 une salariée voilée pour « faute grave ». La directrice estimait que le port du voile par sa directrice adjointe violait le principe de neutralité religieuse inscrit dans le règlement intérieur de la crèche. Le licenciement avait été confirmé par les prud’hommes et la cour d’appel de Versailles. Mais en 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation avait cassé la décision, estimant le règlement intérieur trop général et le licenciement « discriminatoire ». Un an plus tard, la Cour de cassation démentait sa proche chambre sociale et autorisait définitivement le licenciement. De très nombreux politiques s’étaient emparés de l’affaire, instrumentalisée dans tous les sens.
Connus pour leur défense d’une laïcité maximaliste, les radicaux de gauche avaient déposé en 2012 au Sénat une proposition de loi visant à imposer une « obligation de neutralité en matière religieuse » dans les établissements et services (crèches, centres de vacances et de loisirs) qui accueillent des enfants de moins de six ans, qu’ils soient financés sur fonds publics ou privés (sauf les établissements confessionnels). La loi prévoyait même d’interdire le port de signes religieux aux assistantes maternelles exerçant à domicile (donc dans un espace privé). Elle avait été votée en ces termes par le Sénat début 2012, grâce aux voix additionnées de nombreux socialistes (alors majoritaires au Sénat), des radicaux de gauche et de la droite – les communistes s’étaient abstenus et les écologistes avaient voté contre.
Insignifiants en termes d'influence dans la société française, mais désormais seuls au gouvernement avec le PS depuis l’arrivée de Manuel Valls à Matignon et le départ des écologistes (et donc politiquement précieux), les radicaux de gauche ont remis la loi à l’agenda.
Le 4 mars dernier, le texte était voté par la commission des lois de l’Assemblée, avec la bienveillance du gouvernement. Avant d’être soudainement renvoyé en commission, face à la levée de boucliers d’une partie de la majorité. À quelques jours des départementales, l’Élysée et Matignon s’étaient brusquement inquiétés. Le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, avait dénoncé sur Mediapart une loi « dangereuse », induisant « une limitation excessive de la liberté religieuse ».
La présidente de la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), la juriste Christine Lazerges, juge elle aussi cette loi « inutile ». Pour elle, la loi de séparation de 1905 et le droit permettent déjà de régler d’éventuelles difficultés, sans que la loi ne s’en mêle. « L’idée d’étendre le devoir de neutralité des agents du service public à des salariés, quand bien même ils remplissent une mission d’intérêt général, est contraire à la loi de 1905 qui garantit le respect de toutes les croyances, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme, rappelait-elle récemment dans La Croix. Par ailleurs, cette proposition de loi est dangereuse car, dans le contexte actuel, elle risque de rallumer la guerre sur le sens de la laïcité et d’avoir des effets discriminatoires en excluant des personnes de certains emplois. »
Finalement, c’est une toute petite loi qui a été votée. Reprenant très précisément la jurisprudence "Baby-Loup", elle ne concerne plus que les crèches, et pas les autres structures accueillant des mineurs. Les fédérations scouts, notamment, étaient montées au créneau, se jugeant ciblées. Les crèches familiales et les assistantes maternelles ne sont plus concernées.
Dépêchée pour représenter le gouvernement, la secrétaire d’État à la famille Laurence Rossignol, personnellement défavorable à cette loi, a fait le service minimum. « La laïcité doit être pour nous une valeur d’apaisement et de rassemblement », a-t-elle rappelé, en demandant aux députés d’éviter « la surenchère ».
Alors que la ministre citait Jean Jaurès et Aristide Briand, partisans d’une laïcité de compromis, le rapporteur de la proposition de loi, le radical de gauche Alain Tourret, alertant contre la « montée des communautarismes », a vanté la « laïcité combattante », citant volontiers Émile Combes ou Georges Clemenceau – ce dernier étant souvent cité comme référence par Manuel Valls.
Le député radical, tout comme certains socialistes (par exemple l’ancien ministre de Lionel Jospin Jean Glavany) a redit sa volonté de voir le voile interdit à l’université, comme l’a d’ailleurs proposé la secrétaire d’État au droit des femmes, Pascale Boistard. Sulfureuse dans le contexte post-attentats de Paris, la proposition, rejetée par une partie de la gauche, a été vite déminée par le gouvernement. Manuel Valls avait toutefois estimé l’idée « digne d’intérêt » lorsqu’il était ministre de l’intérieur. On voit pourtant mal comment elle pourrait s’appliquer aux adultes qui fréquentent les facultés.
Orateur choisi par l’UMP, Éric Ciotti, tenant d’une ligne très dure à droite, a salué le « courage » de la ministre Boistard sur l’interdiction des signes religieux à l’université. Il a profité de ce débat pour réclamer l’interdiction dans la loi des signes religieux dans les entreprises, pour les accompagnateurs de sorties scolaires (c’est aujourd’hui une circulaire, la circulaire Chatel, qui laisse les chefs d’établissement apprécier), ou les collaborateurs occasionnels du service public. Ses amendements ont tous été rejetés.
La proposition de loi a été votée à l’unanimité, écologistes compris, moins l’abstention des communistes : le texte ayant été vidé de ses aspects les plus polémiques, les opposants les plus farouches au texte à gauche (l’écologiste Sergio Coronado, le socialiste Patrick Mennucci) n’étaient pas venus défendre leurs amendements. La loi devra repasser par le Sénat cet été pour être définitivement adoptée.
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