Né à Casablanca et naturalisé français en 2003, Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi a été condamné le 22 mars 2013 pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Le Tribunal correctionnel de Paris l’a condamné à sept ans de prison ferme et à cinq ans de privation de ses droits civils, civiques et familiaux. Le 28 mai 2014, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, après avis du Conseil d’État, l’a déchu de sa nationalité, comme le permet la loi française en cas de condamnation pour acte terroriste.
Son avocat Me Nurettin Meseci avait déposé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État, estimant que cette mesure était discriminatoire et donc contraire à plusieurs textes européens, comme la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la convention européenne des droits de l’homme. Cette dernière interdit « toute discrimination exercée en fonction de la nationalité ».
Dans la foulée du Conseil constitutionnel qui, le 23 janvier, a jugé conforme à la Constitution française la déchéance de nationalité « à l'endroit de personnes condamnées pour faits de terrorisme », le Conseil d’État a rejeté lundi 11 mai son recours. Ce qui n’est pas vraiment une surprise puisqu’il avait jusqu’alors systématiquement confirmé les cas de déchéance. « Cela veut dire que le ministère de l’intérieur peut désormais prendre un arrêté d’expulsion, qui sera bien sûr contestable », explique Me Nurettin Meseci. L’avocat perçoit une volonté des autorités françaises « d’aller très vite pour pouvoir mettre Ahmed Sahnouni dans un vol pour Rabat dès sa sortie de détention », prévue « fin octobre-début novembre 2015 ». Selon lui, son client encourt au Maroc « vingt ans d’emprisonnement pour les mêmes faits pour lesquels il a déjà été jugé en France ». C'est en effet le Maroc qui avait signalé les faits aux autorités françaises, entraînant en 2010 l'arrestation de Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi par l'ex-Direction centrale des renseignements intérieurs (DCRI).
Dans sa décision du 11 mai, le Conseil d’État a estimé que compte tenu de l’encadrement strict, par la loi, de la déchéance de nationalité, la loi française n’était pas « incompatible avec les exigences résultant du droit de l’Union ». Ce qui fait bondir Me Nurettin Meseci. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit que « toutes les personnes sont égales en droit » et que « toute discrimination exercée en fonction de la nationalité est interdite ». « Or retirer la nationalité d’une personne a pour conséquence automatique la perte de droits liés à la citoyenneté européenne, comme celui de circuler librement, de voter, etc., argumente-t-il. C'est donc une discrimination en raison de la naissance ! » Le Conseil d’État a quant à lui jugé que cette charte n’interdisait pas « que la perte de nationalité puisse dépendre du mode ou des conditions d’acquisition de la nationalité ». Il a de même écarté le protocole n° 12 à la convention européenne des droits de l’homme qui interdit toute discrimination fondée sur « l'origine nationale » au motif que ce protocole n’a jamais été ratifié par la France.
Me Nurettin Meseci entend désormais saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour tenter dans un premier temps de suspendre les effets de cette déchéance de nationalité. Puis sur le fond, pour contester « le mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel » qui a validé la déchéance de nationalité.
Selon le ministère de l'intérieur, 21 déchéances des nationalité ont été prononcées depuis 1990. L’article 25 du Code civil français prévoit quatre motifs :
– une condamnation pour un « crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ou pour « terrorisme » ;
– une condamnation pour un « crime ou délit prévu au chapitre 2 du titre III du livre IV du Code pénal » (espionnage, haute trahison militaire, etc.) ;
– s’être soustrait « aux obligations résultant pour lui du Code du service national » ;
– s'être « livré au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».
En 1998, le gouvernement Jospin avait abrogé un cinquième motif qui visait, depuis 1945, les personnes condamnées pour crime « à une peine d'au moins cinq années d'emprisonnement ».
Trois conditions sont nécessaires. La personne ne doit pas être née française mais avoir été naturalisée. Elle doit posséder une autre nationalité, la Déclaration universelle des droits de l'homme interdisant de créer des apatrides. Enfin, les faits reprochés doivent s’être produits avant l'acquisition de la nationalité française ou moins de dix ans après. Et la déchéance « ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits ». Concernant les actes de terrorisme, ces deux délais ont été portés à quinze ans par la droite en 2006. C’est-à-dire qu’une personne, naturalisée en 2000, qui commet un acte terroriste en 2014, peut se voir enlever sa nationalité jusqu’en 2029.
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