Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Laurent Berger (CFDT) : « Nous assistons à une crise des solidarités »

$
0
0

Alors que le Parlement s'engage à la fin du mois dans l'examen de la loi sur le dialogue social, la CFDT semble de plus en plus isolée dans la sphère syndicale, critiquée pour sa volonté d'accompagner les réformes menées par le gouvernement. Pour autant, la formation enregistre de bons scores auprès des salariés, et pourrait même doubler la CGT lors des prochaines élections sur la représentativité. Son secrétaire général Laurent Berger, à rebours des différents représentants des salariés, refuse toujours de parler d'austérité en France et soutient l'application rapide des mesures qu'il a contribué à créer. Il concède cependant un échec des socialistes sur le chômage.

Le 1er mai 2015 a révélé des fractures syndicales profondes. En organisant un rassemblement en solo, la CFDT s’est coupée de tous, même de son traditionnel allié, l’Unsa, qui a défilé contre l’austérité et le FN avec la CGT. N’est-ce pas regrettable ?

Laurent BergerLaurent Berger © Mathilde Goanec

Lors du congrès de Marseille, en juin dernier, nous avions décidé d’organiser un rassemblement pour les jeunes, adhérents et non adhérents. Car même si l'on a 66 000 jeunes de moins de 35 ans à la CFDT, le syndicalisme a besoin de redorer son blason auprès de la jeunesse. Cela ne préjugeait pas pour la CFDT de participer ou non au traditionnel défilé du 1er Mai à Paris avec les autres syndicats. D’ailleurs, on a participé à l’intersyndicale et travaillé sur le texte commun, mais les désaccords étaient trop profonds sur la vision de la situation actuelle et surtout sur les propositions à apporter. Mais ce 1er Mai n’était pas l’un contre l’autre, comme les médias l’ont raconté. On n’a pas organisé un rassemblement pour les jeunes en réaction à une manifestation contre laquelle nous n’avons rien.

Certes, mais les syndicats démontrent encore une fois leur incapacité à s’unir à un moment trouble pour la France, en proie à un chômage de masse record et au lendemain des attentats de Paris et du score du FN aux départementales… 

C’est dans une démarche d’unité que nous sommes allés aux réunions de l’intersyndicale sur le 1er Mai et que nous avons travaillé sur un texte concernant les valeurs du syndicalisme. Mais d’autres organisations syndicales, notamment en Ile-de-France, ont décidé de faire un appel qui était la suite du 9 avril. Nous refusons l’instrumentalisation, le double jeu. La CFDT ne signe pas un texte sur les valeurs qui nous rassemblent pour découvrir un appel parallèle sur des logiques respectables mais qui ne sont pas les siennes.

Pour vous, la situation économique très dégradée explique-t-elle la progression du FN ?

La situation sociale explique la montée du FN. L’économie doit fonctionner pour permettre aux salariés de vivre. La finalité de toute activité pour un citoyen démocrate, c’est le bien-être, le bonheur de chacun. Le FN s’ancre sur un terreau de mal-être fort, un sentiment de relégation à la fois sociale et spatiale. On assiste aussi à une montée du rejet de l’autre, du vivre-ensemble. Tout cela s’entremêle. Il y a aussi une attente de l’ensemble des citoyens, notamment de ceux qui vivent des situations sociales dures ou qui sont inquiets à bonne ou mauvaise raison parfois. Il y a aussi désormais des votes installés du FN. Cela doit tous nous interroger : politiques, syndicats, médias aussi. On va bientôt avoir les détails des repas de famille chez les Le Pen. Je ne suis pas sûr que cela ne leur fasse pas du bien.

Est-ce que cela vous interroge sur votre action syndicale ?

Partout où l'on fait le boulot pour défendre l’emploi, améliorer les conditions de travail, en termes de pouvoir d’achat avec les accords, on participe à faire que les gens soient mieux. Mais il n’y a pas de recette miracle anti-FN. Nous avons fait beaucoup d’argumentaires, autour de l’euro, la crise, et aussi sur les valeurs, même si ce n’est pas suffisant. On a par ailleurs des référents « volants » dans la CFDT, qui vont animer dans des sections locales des débats sur ce sujet. Et puis on a des procédures d’exclusion pour ceux qui se lanceraient en politique sous l’étiquette Front national. Aux départementales, on a eu trois, quatre cas. Cela fait longtemps que nous sommes alertés par nos équipes sur le terrain des entreprises d’une montée du FN. Et c’est compliqué même dans les fonctions publiques. Je rappelle que dans l’éducation nationale, les deux syndicats qui progressent sont ceux soutenus par le FN : FO et le SNALC. Dans la salle des profs ou des maîtres, les profs assument de voter FN. Une amie institutrice me racontait l’autre jour comment une collègue en Zep votait FN et l’assumait haut et fort. Il y a dix ans, personne ne l’aurait fait. Malgré tout, la CFDT ne baisse pas la garde contre le FN et le danger qu'il représente pour les salariés et la démocratie. 

Vous préparez un texte intersyndical (en dehors de FO) qui aborde notamment la question de la laïcité. Est-ce que les attentats de janvier et les crispations autour de l’islam concourent à renforcer le FN dans la société et donc dans le monde du travail ?

Ce texte aborde beaucoup plus que la laïcité. Il traite de toutes les dimensions du vivre-ensemble. La question de la laïcité doit être abordée dans les entreprises. Mais c’est compliqué. En fait, là où ça marche, c’est là où l’on parle. Nous réfléchissons à un guide pour nos équipes sur comment traiter le fait religieux dans les entreprises.

Quelle est la position de la CFDT ?

Justement, si vous avez une position définitive, vous n'aurez pas les conditions du dialogue. Ce qui est certain, c’est que tout ce qui se fait sous le tapis et sans dialogue conduit à des crispations. 

FO par exemple a une position : pas de voile en entreprise...

Oui. Nous on dit : tout dépend des situations. L’enjeu de la société ne se situe pas là mais dans ses fractures. Nous sommes à l’heure du choix entre une société ultra-autoritaire où le chef – ici la cheffe – monterait les uns contre les autres, et une société du dialogue.

Sur le front du social : le compte pénibilité, mesure phare du quinquennat Hollande, pourrait bien disparaître sous la pression patronale et le rétropédalage gouvernemental (lire ici notre article). Deux missions de simplification sont en cours. Ce dispositif était la seule avancée de la réforme des retraites de janvier 2014. La CFDT avait conditionné sa signature à la mise en place de ce compte…

Le gouvernement a créé un compte pénibilité car la CFDT l’y a poussé. C’est une mesure de justice sociale pour les salariés qui meurent plus vite ou qui ont des problèmes de santé à cause de leur travail. On demande sa mise en place le plus rapidement possible. Quant aux missions de simplification, il n’est pas question que leurs conclusions soient rendues publiques au creux de l’été. Elles doivent être rendues en juin ou début juillet au plus tard. Et elles doivent permettre que le compte entre en application. Cela ne me gêne pas que le dispositif soit simplifié, tant mieux, on crève de trucs compliqués en France. Ce que je veux, c’est qu’il soit effectif pour tous les salariés concernés sans exception. Le moindre ministre ou président qui le remettra en cause aura affaire à la CFDT. 

Quelle est votre lecture de la politique du gouvernement, notamment depuis le tournant libéral assumé, concomitant à l’arrivée de Manuel Valls à la tête du gouvernement ? Est-ce que c’est une politique de gauche qui est menée actuellement ? 

Nous n’avons jamais jugé si une politique était de droite ou de gauche parce que ce n’est pas notre boulot. Et si elle était de gauche, serait-elle vertueuse par nature ? La grille de lecture, c’est de savoir si c’est bon pour les salariés ou pas. Le chômage, par exemple, n’est pas bon pour les salariés. Et ça pénalise l’ensemble de la société car quand le chômage est élevé, nos systèmes de protection sociale sont affaiblis en termes de financement. Il y a donc un échec sur ce terrain-là.

Laurent BergerLaurent Berger © Mathilde Goanec

Et sur le terrain des idées ? 

C’est aux électeurs qui ont voté Hollande de dire si oui ou non la ligne est conforme à ce qui avait été défini. Il faut redire ce qu’est le rôle d’un syndicat. Quand ce gouvernement est arrivé, nous avons fait ce que nous faisons à chaque fois, présenter nos propositions. Il y a des sujets sur lesquels nous sommes écoutés et d’autres pas. La loi Macron est symptomatique de la qualité du débat dans notre pays. Il fallait être pour ou contre, sans nuance. Or il y avait du bon et du mauvais dans cette loi. Nous avons essayé d’infléchir sur un certain nombre de sujets, et on n’a pas réussi sur tout, loin s’en faut. Ensuite, il y a des choses qui ne vont pas. C’est pourquoi je demande aujourd’hui des inflexions pour une exigence plus forte à l’égard des entreprises.

Justement, vous avez espéré que le pacte de responsabilité porterait ses fruits et on voit que les employeurs ne jouent pas le jeu. Faut-il davantage leur forcer la main ? 

Nous étions d’accord pour une partie de politique de l’offre, sans être en opposition, d'ailleurs, sur une politique de la demande. Mais nous nous sommes également battus pour qu’il y ait une trajectoire qui ne soit pas automatique sur trois ans. Pour ceux qui ne seront pas couverts par un accord de branche ou d’entreprise au moment de l’examen du projet de loi de finances 2016, par exemple dans la grande distribution, je plaide pour réorienter les aides financières, vers ceux qui jouent le jeu.

On peut aussi légitimement s’interroger sur l’ANI, qui avait permis de donner un cadre sur le temps partiel. Or depuis, on n’a pas cessé de le repousser sous la pression du patronat… 

Non, il y a eu plus d’une vingtaine d’accords de branche. Ailleurs, c’est la loi qui s’applique avec 24 heures minimum et ça a amélioré les choses.

Oui, mais tout le monde n’y a pas le droit, or l'on sait que le temps partiel fait le lit de la précarité, et notamment celle des femmes ? 

Oui, la France vient d’ailleurs d’être pointée du doigt sur cette question-là, et c’est pour ça qu’il faut lutter contre le temps partiel imposé. Et c’est pour ça qu’on a fait cette proposition des 24 heures minimum. Ce n’est pas la mesure miracle. Évidemment, il y a toujours des endroits où ça déroge en douce, où ça met du temps à se mettre en place. Mais parfois, on a remonté des durées de travail de 10 ou 15 heures à 21 heures, et ceux qui en ont bénéficié sont satisfaits. Là, le syndicalisme commence à faire son boulot d’utilité.

Depuis hier, plusieurs associations dont le haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes s'inquiètent de la suppression dans le projet de loi sur le dialogue social, qui arrive au Parlement, d'un instrument coercitif favorable à l'égalité professionnelle dans les entreprises. Était-il nécessaire de simplifier aussi sur cette question ?

Rien ne doit remettre en cause la lutte contre les discriminations dont sont victimes les femmes, que ce soit dans le travail, l’emploi ou dans l’ensemble de la vie. Il faut mesurer les écarts existants entre les femmes et les hommes. La base de données unique (BDU), qui se met en place dans les entreprises (et qui remplace le rapport de situation comparée), doit permettre de le faire pour tous les aspects touchant à la situation des femmes : salaire, évolution de carrière, type d’emploi, précarité, conditions de travail… C’est en fait une intégration des données du rapport de situation comparée dans la BDU. Cela doit permettre, mieux qu’avant, l’analyse des écarts et de véritables négociations ou plans d’action, avec des sanctions quand les entreprises n’amélioreront pas la situation des femmes dans l’entreprise. Pour la CFDT, le ministère du travail doit préciser très rapidement comment seront mesurés ces écarts, comment on luttera contre, par le biais de négociations intégrant la situation des femmes sur tous les sujets. Il faudra évidement continuer à sanctionner par le biais de pénalités les entreprises qui ne négocieraient pas la situation des femmes dans l’entreprise. 

Toujours concernant la loi sur le dialogue social, les commissions paritaires régionales vont-elles avoir les moyens de travailler dans les petites entreprises et partagez-vous la vision du gouvernement sur la pérennisation assurée des CHSCT ? 

Pour les toutes petites entreprises, c’est d’abord une victoire idéologique. Je viens de ce monde-là, donc je mesure les choses. Bien sûr, on aurait pu rêver mieux et nous souhaitons que le débat parlementaire leur donne plus de pouvoir, mais après 20 ans de combat, on met enfin le pied dans la porte. Sur le CHSCT, il n’y a pas de remise en cause ni de ses prérogatives, ni de la possibilité d’aller en justice.

Sauf que les élus auront différentes casquettes à assumer ?

Oui, mais je crois que nous devons nous interroger pour savoir si c’est normal que dans notre système de représentation des salariés, il y ait une instance qui traite de la stratégie économique, qui serait noble, et à côté une instance sous-dotée qui traite de ce qui est la base pour nous, à savoir la question du travail.

Dans ce cas, n’aurait-il pas fallu renforcer le CHSCT dans la loi ? 

Est-ce que ça n’a pas du sens que l’on traite, au même endroit, la stratégie de l’entreprise et celle du travail ? Et qu’on le fasse avec des moyens accrus pour l’ensemble de l’instance ? Cette question n’est pas dans la loi, mais elle mérite d’être posée. À toujours considérer que le social et le travail sont le sous-produit de la situation économique, on continue à faire en sorte que les travailleurs soient relégués. Pourquoi ne pas imaginer un conseil d’établissement et des conditions de travail ? Moi j’espère que le droit à l’expérimentation par des accords majoritaires pour faire évoluer le rôle des instances représentatives permettra de faire la preuve que là où le dialogue social est réel, on peut avancer dans ce sens.

Pour beaucoup, le chômage dure depuis trop longtemps. Un plan a été présenté l’an dernier par le ministre du travail, qui se trouve être une simple compilation de toutes les mesures qui existent déjà contre le chômage de longue durée. C’est un énième coup de communication ? 

Nous avons effectivement regretté que les partenaires sociaux au sens large ne soient pas partants pour négocier un vrai accord sur l’insertion des chômeurs de longue durée. Avec le collectif Alerte, nous avions pourtant fait des propositions. Cela a été mis sous le boisseau, avec un plan qui n’en est pas un. On le regrette. Car s'il y a une reprise en termes d’emploi, on sait malheureusement que ceux qui sont exclus durablement du travail nécessitent des mesures spécifiques d’incitation et de soutien.

Comment voyez-vous les deux années à venir d’ici 2017, sachant que la société française semble sérieusement fracturée ?

Mon horizon n’est pas 2017. Celui des salariés et des citoyens non plus.

Oui, mais il y a quand même un scrutin majeur avec le risque que la France passe à l’extrême droite ?

Évidemment, il faut rejeter l’extrême droite mais le problème, c’est que notre système est tellement politique que l’on attend tout d’une élection. Tout ne va pas si mal. Je vais rentrer à Saint-Nazaire ce week-end, il y a plus de commandes sur le chantier naval aujourd’hui qu’il y a trois ans. Ça n’a pas empêché le Front national de faire 17 %, sur une terre où les inégalités de revenus sont parmi les plus faibles. Au-delà de la question économique, la société a perdu ses repères. C’est quoi notre destin collectif ? Il n’y a plus personne pour le dire. Parce qu’on est resté sur des visions techniques, sans être capable de redéfinir les grands équilibres. Je le redis, le grand reproche sur ces trois dernières années, c’est qu’il n’y a pas eu de grande réforme fiscale. Nous n’avons pas choisi ce qu’il fallait financer et qui allait payer. Résultat : une crise des solidarités. Les gens disent en avoir marre de payer pour les chômeurs, marre de payer des impôts, marre de participer au financement de la protection sociale. C’est un défi immense et il faut dépasser nos désaccords, pour trouver les priorités : la jeunesse, les quartiers relégués et les chômeurs.

BOITE NOIRECet entretien a été réalisé dans les locaux de la CFDT, dans le cadre d'une série de rencontres avec les responsables syndicaux français. Il a duré une heure. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’ovni Zlatan


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles