Saisi en référé, le Conseil d’État vient de suspendre les articles du décret qui interdisaient aux étudiants étrangers non communautaires de passer, dorénavant, les concours de l’enseignement privé. Révélée par Mediapart en septembre dernier, la mesure prise au cœur de l’été était passée d’autant plus inaperçue qu’elle se nichait au cœur d’un texte, par ailleurs bien anodin, sur les nouveaux concours Peillon. À la rentrée, les étudiants concernés s'étaient étonnés de ne pouvoir s’inscrire informatiquement : la case “nationalité” du serveur n’envisageait pas leur situation ! Radical. Pour ces étudiants désemparés, le choc était rude puisqu’ils avaient alors compris que le master dans lequel ils étaient pourtant déjà inscrits ne les mènerait nulle part (lire ici leurs témoignages). Il y a quinze jours, le Gisti, la Ligue des droits de l’homme, le syndicat national de l’enseignement initial privé-CGT (Sneip-CGT), la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture (FERC-CGT) mais aussi le collectif Sauvons l’université avaient porté l’affaire en référé devant le Conseil d’État.
Dans l'ordonnance qu’il vient de rendre, le conseil a donc décidé la suspension « en urgence » des articles concernés – principalement l’article 3 – et ordonne au ministère de l’éducation nationale de procéder à la réouverture « sous huit jours » des inscriptions aux concours.
Sur la légalité de cette mise à l’écart des candidats non communautaires, le Conseil d’État émet des « doutes sérieux » mais, conformément à la procédure de référé, ne se prononcera sur le fond que dans quelques mois. Sans attendre, le ministère a annoncé à Mediapart que pour lui le juge a déjà tranché. Mieux, il se réjouit d’une décision qui va dans un sens qui « éthiquement nous convient », explique un conseiller. Curieuse schizophrénie. Pour mémoire, lorsque nous l’interrogions en septembre sur ce qui avait motivé la rédaction de cet article restrictif, le cabinet de Vincent Peillon assurait que « pour que le décret ne soit pas entaché d’illégalité, et retoqué par le Conseil d’État, il a donc fallu se mettre en conformité avec la loi qui applique cette règle (de restriction) à tous les concours de la fonction publique ». Aujourd’hui, ironie de l’histoire, le même Conseil d’État suspend en urgence non pas le décret dans son ensemble mais, précisément, cet article…
(Vidéo de Juliette Chapalain et Lorraine Khil)
Depuis le début, le ministère marche sur des œufs dans ce dossier. Derrière le simple « ajustement technique », un temps invoqué par la rue de Grenelle, qui parlait alors d’un alignement des conditions des concours du privé sur celles du public (où ne peuvent se présenter les étrangers non communautaires), il se pourrait que l’affaire révèle en fait un préoccupant dysfonctionnement au sein de l’administration.
Interrogé en septembre, le ministère nous avait d’abord répondu, par courriel, que cette restriction ne concernait que très peu d’étudiants : « entre zéro et un ». Avec une telle fourchette, la marge d’erreur est faible. En réalité, il reconnaît désormais que la mesure touche bien « plusieurs centaines d’étudiants » : 721 exactement l’an dernier, comme il le précise lui-même dans son mémoire en défense (voir notre document).
Comme nous l’évoquions en septembre, la direction de l’enseignement privé, qui a rédigé le texte, semble dans cette affaire avoir répondu aux demandes des représentants de l’enseignement catholique d’exclure les candidats non-européens au motif (officiel) qu’ils posaient des « difficultés lourdes (incertitude quant à l’obtention d’un titre de séjour ; durée limitée du titre de séjour détenu) », comme l’exposait l’argumentaire présenté au Conseil supérieur de l’éducation. « Je ne sais pas si l’on peut dire qu’il s’agit d’une revendication de l’enseignement catholique. En tout cas, il est certain que nous n'y sommes pas opposés », nous répondait mi-septembre le délégué général en charge des ressources humaines de l’enseignement catholique, Yann Diraison.
Seuls les syndicats minoritaires de l’enseignement privé, la CGT et Sud, s’étaient opposés à cette mesure lors de la présentation du texte devant le Conseil supérieur de l’éducation. La FEP-CFDT, majoritaire, avait ainsi estimé que « faire capoter le texte uniquement sur ce point, c’était disproportionné », nous avait expliqué son secrétaire national Francis Moreau.
Aujourd’hui, le ministère rejette catégoriquement l’idée d’avoir cédé à un quelconque lobbying de l’enseignement privé catholique. « Des débats ont eu lieu avec des divergences d’appréciation », reconnaît-on sobrement au cabinet de Vincent Peillon, confirmant que, sur le sujet, c’est bien « la direction de l’enseignement privé qui est à la manœuvre ». Pour Michèle Dupré, responsable CGT enseignement privé, l’affaire est bien plus grave et révèle des réflexes xénophobes dans l’enseignement catholique : « L’enseignement catholique ne veut pas de candidats étrangers et nous estimons que le ministère leur a cédé. »
Par chance, comme il s’en félicite, le Conseil d’État l’a protégé contre lui-même.
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