Stop ou encore ? Un mois après les départementales, rien ne s’est arrangé dans les rangs d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Si les risques d’une scission provoquée par un hypothétique remaniement gouvernemental ont fait long feu, l’apaisement espéré par les dirigeants du mouvement est encore loin d’être acquis. Et les tensions stratégiques internes continuent d’animer le parti écologiste.
Surtout consacré à la désignation des têtes de listes aux prochaines régionales, le conseil fédéral se réunit ce week-end pour la première fois depuis janvier. Il devrait voir la majorité du parlement écolo manifester son mécontentement à l’égard des positions pro-gouvernement d’une majorité de parlementaires, notamment à travers le vote d’une motion sur le projet de loi sur le renseignement.
« Aujourd’hui il y a ceux qui veulent garder un semblant de cohésion, en cornérisant les pro-PS, et il y a ceux pour qui la loi renseignement est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », explique un cadre local, pour qui « une majorité du parti n’en peut plus de se voir représenter dans les médias par des élus qui disent et votent l’inverse de ce qu’elle pense ». Durant ces dernières semaines, plusieurs motions ont été votées par une grosse dizaine d'instances régionales d’EELV, pour exprimer ce mécontentement.
Signe de cette fracture, cette semaine a été actée officiellement la dissolution de « Cap écolo », la majorité issue du dernier congrès de Caen, alors que les écolos étaient encore au gouvernement. « On officialise juste un état de fait, plus personne ne venait aux réunions, et plus personne n'a envie de faire semblant », dit un dirigeant. Lors du congrès, à l'hiver 2013, la direction sortante s’était alliée à l’aile “réaliste” du parti. Désormais, au bureau exécutif et au conseil fédéral, les proches de Cécile Duflot et les amis de Cohn-Bendit votent avec les ailes gauche du parti, tandis que Jean-Vincent Placé s’est rapproché des “pragmatiques” souhaitant comme lui un retour à tout prix au gouvernement, tels les députés François de Rugy et Denis Baupin.
Les votes des assemblées régionales d'adhérents ont pourtant fait connaître une nette préférence pour l’autonomie vis-à-vis du PS pour les prochains scrutins régionaux. Cette autonomie est privilégiée dans la quasi-totalité des scrutins militants locaux. Seuls Rhône-Alpes, où la porte a été ouverte à un rassemblement de type “grenoblois” avec d’autres forces non-socialistes, et deux régions à “risque FN” (la nouvelle région Nord-Picardie et Paca) où une alliance avec le PS reste possible au premier tour, pourraient déroger à la règle de l'indépendance. Pour les partisans de l’union avec les socialistes, il conviendrait aussi de ne pas fermer la porte en Île-de-France, où l’investiture surprise de Claude Bartolone pourrait rebattre les cartes.
« Pour l’instant, tout le monde se satisfait de se retrouver dans une autonomie hypocrite, qui ne dit pas grand-chose en termes de clarification stratégique, explique le conseiller régional Christophe Rossignol, proche de Placé. Les deux seuls à avoir été clairs devant les militants, de Rugy (en Pays de la Loire) et Cormand (en Normandie), se sont fait étaler tous les deux, alors qu’eux au moins assumaient leur préférence pour le PS ou pour le Front de gauche. »
Pour Nicolas Dubourg, membre du bureau exécutif, c’est bien « l’autonomie contractuelle » telle qu'elle va être mise en œuvre aux régionales, qui ferait aujourd’hui largement consensus à EELV : « Dans 80 % des cas, on partira seul au premier tour, et si on doit s’allier, ce sera sur la base d’un contrat de gouvernement rédigé en amont. »
« Il y a une volonté d’affirmer l’autonomie pour retrouver le camp de l’écologie, abonde David Cormand, surtout aux régionales où on a de vrais bilans à faire valoir, où il y a plus de 250 élus sortants, et où on défend une vision régionaliste assez éloignée du Front de gauche. » La secrétaire nationale Emmanuelle Cosse, qui sera aussi tête de liste aux régionales d’Île-de-France, appelle de son côté à « se remobiliser sur les questions écologiques, et arrêter de répondre aux tentations de parler stratégie avec les médias, les ministres, le PS ou le Front de gauche ».
Elle qui avait assisté à la réunion des écolos pro-gouvernement (aux côtés de Jean-Luc Bennahmias et Corinne Lepage), avant de les rappeler à l’ordre avec son bureau exécutif, estime désormais que le “repli écolo” est le seul moyen d’en finir avec « ce haut niveau d’invectives réciproques qui décourage et empêche tout débat constructif ». Un point de vue que partage Stéphane Sitbon, proche de Cécile Duflot : « Le verdict militant est très clair, il ne veut plus débattre sans cesse des alliances. La grande majorité du parti souhaite une ligne écolo centrée sur la conférence climat, et une autonomie aux régionales, ouverte à des mouvements citoyens. »
Une « motion de clarification », appelée « motion disciplinaire » par les pro-gouvernement visés, a tout de même été déposée au conseil fédéral. Elle évoque la possibilité de sanction en cas de vote contraire aux décisions du parlement du parti, avec la loi renseignement en ligne de mire. « On n'est pas pour le mandat impératif, mais sur ce sujet, aucun parti vert en Europe ni dans le monde n’est sur une ligne anti-libertés publiques ! En plus, ça contredit nos positions lors de la loi Hadopi sous Sarko, parfois combattue par les mêmes qui défendent aujourd'hui un texte pire », dit un des signataires de la motion, très remonté.
Si certains sont tentés de crever l'abcès en « dégageant » les pro-gouvernement qui avaient eux-mêmes envisagé une scission avec les écolo-centristes, la direction actuelle semble davantage être tentée de passer l'éponge (« Leur serment du jus de pomme a fait pschitt ! », raille un écolo en référence à la réunion du 4 avril dernier à l'Assemblée). Mieux vaudrait pour beaucoup recouvrir ledit abcès de pommade, permettant ainsi de le cacher, à défaut de le soigner.
« Il faut se convaincre que rajouter du bordel à la situation accréditera l'idée d'une fracture, alors que le centre de gravité du parti rassemble 80 % des militants », tempère David Cormand. Certains lui opposent le constat que « ça ne se calmera jamais, tant les parlementaires sont dans la surenchère provocatrice permanente », comme l'avance un responsable régional. Mais la plupart des dirigeants du parti semblent « décidés à ne pas en rajouter des couches », comme le dit Stéphane Sitbon, un proche de Duflot, alors qu'Emmanuelle Cosse se veut presque fataliste, sinon découragée : « C'est comme si certains dans chaque camp n'avaient pas intérêt à ce que tout ça s'apaise… »
D’ores et déjà, il paraît acquis pour tout le monde que le prochain congrès d’EELV sera avancé au printemps 2016, pour s’expliquer enfin ailleurs que dans la presse, et (peut-être) trancher les désaccords.
D’ici là, le spectre de la participation gouvernementale devrait encore planer sur les têtes, certains misant sur des remaniements cet été ou après les régionales de décembre. Mais François Hollande et Manuel Valls se rendent bien compte du hiatus entre la volonté des parlementaires de rejoindre le gouvernement, et l’hostilité de la base militante à son orientation politique. Et ils se sont pour l’instant refusés à se livrer à un débauchage qu’ils jugent eux-mêmes contre-productif.
« Le propre d’une organisation, c’est de travailler à sa survie, sourit Nicolas Dubourg. Jusqu’ici, François Hollande comme Jean-Luc Mélenchon nous aident bien à nous resserrer pour tenter de nous relancer. On voit bien que l’écologie politique garde toute sa légitimité, surtout à côté d’une social-démocratie en panne et d’un Front de gauche où tout le monde a des points de vue différents. Personne n’a envie de faire le deuil d’EELV. » Reste à savoir comment peuvent évoluer les choses d’ici 2017. Dans la foulée de leur repli autonome de toutes parts, EELV devrait logiquement défendre l’idée d’un(e) candidat(e) à la présidentielle.
À moins qu’un scénario ne vienne à s’imposer, évoqué par un nombre croissant de cadres écolos : la mise en œuvre par Hollande de la proportionnelle intégrale aux législatives de 2017, qui pourrait dès lors amener les écologistes à se concentrer sur celles-ci.
« Sarkozy a mis en branle une martingale imbattable, explique ainsi David Cormand : avec son alliance avec l’UDI au premier tour, la droite se qualifie toujours au second et bénéficie soit du report de la gauche, soit du FN, selon qui est éliminé. Le seul moyen de contrer cela, c’est la proportionnelle intégrale, et ce débat existe chez les socialistes. » « Autant il est très compliqué de faire l’impasse sur une candidature présidentielle dans le cadre institutionnel actuel, poursuit-il, autant dans une “Cinquième République et demie”, le débat démocratique principal se transférerait sur les législatives, et la question de la présidentielle se reposerait. Les cartes sont dans les mains de l'exécutif. »
Au terme d’un quinquennat où il n’a cessé de chercher ce sur quoi il influençait la gauche au pouvoir, EELV pourrait alors au moins se targuer d’avoir permis, malgré son piteux état, une avancée institutionnelle forte. Qui pourrait au moins lui permettre d’espérer une perspective politique pour se relancer.
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