Le directeur général de l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) Martin Hirsch a proposé un deal aux syndicats des hôpitaux de Paris : renoncer à leurs RTT pour éviter la suppression de 4 000 emplois en cinq ans. Olivier Cammas, de la CGT, n’est même pas surpris : « On nous menace d’un plan social si on ne renonce pas à nos acquis sociaux. C’est la même logique que celle de l’entreprise. » CGT, FO et Sud, qui représentent 80 % des 70 000 personnels non médicaux de l’AP-HP, ont quitté, mercredi 6 mai, au bout d’une heure la réunion qui venait tout juste de s’ouvrir sur la renégociation de l’accord sur le temps de travail au sein du 1er CHU de France.
Le scénario était en réalité cousu de fil blanc. Martin Hirsch a annoncé dès le début de l’année qu’il voulait s’attaquer au sujet. Aux Échos au mois de mars, il a livré l’état de sa réflexion, bien avancée. Son objectif est avant tout économique : malgré 150 millions d’euros d’économies en 2015, l’AP-HP va finir l’année avec un déficit de 50 millions d’euros. Martin Hirsch vise l’équilibre en 2016. De cette réorganisation du temps de travail, il escompte « 20 à 25 millions » d’euros d’économies.
La CGT, FO et Sud sont organisés depuis la semaine dernière en intersyndicale et appellent à une grève le 21 mai, sur de larges revendications : retrait du pacte de responsabilité, du projet de loi Macron, du projet de loi de santé, etc. « Le personnel hospitalier est en train de faire les frais de la politique d’austérité du gouvernement », assure Gilles Damez, de FO. La surprise vient de la CFDT, le 3e syndicat de l’AP-HP (18 %), qui appelle elle aussi à la mobilisation le 21 mai, sur un mot d’ordre limité au temps de travail à l’AP-HP.
Pour Abdel Abdoun, « le directeur général prétend négocier, mais le projet est déjà ficelé, il veut supprimer 5 jours de RTT. On ne peut faire, comme toujours, des économies sur le personnel. On ne peut pas aller plus loin. » Sur le terrain, Olivier Cammas de la CGT constate que « des assemblées générales se tiennent dans tous les hôpitaux. Elles sont très revendicatives, elles nous demandent d’aller plus loin. Il y a eu 200 personnes à l'AG de la Pitié-Salpêtrière, 300 à Saint-Louis, 150 à Robert-Debré, je n’ai pas vu ça depuis longtemps ».
Les envolées lyriques de Martin Hirsch sur « la reconquête du temps perdu » cachent des comptes d’apothicaires : en modifiant les horaires de travail, même de quelques minutes, l’AP-HP veut réduire le nombre des RTT et faire des économies. 50 % du personnel – soignant, administratif et technique – travaille 5 jours par semaine, 7 h 36 par jour, soit 38 heures par semaine, ce qui ouvre un droit à 18 jours de récupération du temps de travail (RTT) sur l'année. 18 % travaillent en 7 h 50 quotidiennes, et bénéficient de 20 jours de RTT.
Martin Hirsch verrait bien « un plus grand nombre de personnes travaillant 7 h 30 ou 7 heures par jour, d'autres peut-être 10 heures si cela permet de mieux "coller" au cycle de soins pour le patient, de mieux utiliser des blocs opératoires. À l'arrivée, il y aura certes moins de jours à récupérer, mais plus de prévisibilité, et l'on pourra répondre à des demandes non satisfaites, en matière de formation professionnelle notamment », a-t-il déclaré aux Échos. Ce qui revient à supprimer 5 jours de RTT dans le premier cas, et la totalité dans le second. Sont en jeu également de vieux avantages des personnels de l’AP-HP, comme la journée de congés supplémentaires accordée à toutes les mères de famille, ou encore le décompte du temps de travail du repas, de l’habillage et du déshabillage.
Mis bout à bout, ces heures et ces jours de travail économisés sur 70 000 postes représentent un véritable pactole, que lorgnent les établissements soumis à une cure d’austérité sans précédent : 3 milliards d’euros d’économies sont attendues de l’hôpital d’ici 2017. Cet automne, devant la commission d’enquête parlementaire sur l’impact de la réduction du temps de travail, la Fédération hospitalière de France a proposé de « plafonner le nombre de RTT à 15 jours », en évoluant vers des journées en 7 heures ou en 12 heures. La FHF escompte ainsi 400 millions d’euros d’économies.
Martin Hirsch a d’autres arguments qu’économiques pour défendre cette renégociation. Il parle d’« adaptation aux besoins des patients », aux « nouveaux modes de prise en charge ». Les syndicats craignent au contraire une dégradation de la qualité des soins. Aujourd’hui, les personnels soignants (infirmières, aides-soignants) couvrent les 24 heures de soins en deux équipes de jour en 7 h 36, et une de nuit en 10 heures. Les 24 heures sont dépassées de 72 minutes, ce qui ménage environ 20 minutes de transition entre les équipes qui se succèdent au lit des patients. « 20 minutes pour 20 patients, c’est un minimum, on ne peut diminuer les temps de transmission sans toucher à la qualité de soins », explique Thierry Amouroux, le secrétaire général du syndicat d’infirmiers SNPI CFE-CGC.
L’autre argument du directeur général de l’AP-HP est pour le moins paradoxal : il veut « améliorer la qualité et les conditions de travail » en supprimant des jours de repos. Pour la direction, les horaires sont si « rigides » qu’ils obligent à « modifier régulièrement les plannings », ce qui conduit à « un absentéisme d’usure ». La CGT invite la direction à s’intéresser aux « causes » de cet absentéisme, par exemple la création de postes en nombre insuffisant au moment du passage aux 35 heures. S’est alors enclenché un cercle vicieux décrit par tous les syndicats, les médecins, y compris du travail : sous l’impératif économique, les effectifs augmentent moins vite que l’activité, le travail s’intensifie, l’absentéisme et les accidents du travail progressent, les personnels sont rappelés sur leurs jours de repos pour combler les postes vacants, etc.
En quelques chiffres, le document fourni par la direction décrit cette dégradation des conditions de travail. Les agents sont en arrêt maladie 20 jours par an en moyenne. Les comptes épargne temps, où sont stockés les jours de repos non pris, explosent : rien qu’en 2014, 60 % des agents y ont cumulé 6 jours en moyenne, soit une grosse semaine de repos.
Alors que les salaires de la fonction publique sont gelés depuis 2010 et jusqu’en 2017, la direction demande au personnel de renoncer à ses RTT « sans contreparties, si ce n’est de belles phrases sur la qualité de vie au travail », constate Olivier Cammas de la CGT. « Martin Hirsch parle de donnant-donnant, mais on ne voit rien venir », renchérit Gilles Damez, de FO. Non concernés par cette négociation, les médecins observent avec « des yeux écarquillés », raconte Loïc Capron, le président de la Commission médicale d’établissement, qui représente le corps médical.
Il soutient Martin Hirsch : « On a besoin de réorganiser le temps de travail. Le plan d’économies que subit l’hôpital est terrible. Pour ne pas réduire l’offre de soins, il faut remettre de l’ordre. » Mais il trouve tout de même le directeur « hardi » : « Martin Hirsch a de grandes ambitions, une carrière devant lui, il veut tenir son projet d’établissement qui prévoit un retour à l’équilibre en 2016. Mais il joue avec une boîte d’allumettes à côté d’un bidon d’essence. On est dans une période très dure. Est-ce vraiment le moment de demander à un personnel sous-payé de renoncer à ses jours de repos ? »
Selon le calendrier, le protocole d’accord devrait être sur la table le 28 mai. Les syndicats auront alors mobilisé le personnel le 21 mai. Toutes les parties savent que le résultat découlera moins des discussions officielles que d’un « rapport de force » qui va se construire dans les assemblées générales et par la grève. « Le fait de s’attaquer à l’accord sur les 35 heures du plus grand CHU de France est un test, estime Olivier Cammas, de la CGT. Si on flanche, c’est tout l’hôpital public qui devra renoncer à ces acquis sociaux. » Martin Hirsch peut aussi passer en force. Depuis la loi Hôpital, patients, santé, territoires du gouvernement Sarkozy, le directeur n’a pas besoin de l’accord des syndicats pour décider du temps de travail et de repos.
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