Tout ça pour ça... Après avoir gelé le cours de l'instruction pendant plus de huit mois, sur décision de sa présidente Édith Boizette, et au terme d'un délibéré de deux mois, la chambre de l'instruction 7-2 de la cour d'appel de Paris a finalement validé, ce jeudi matin, la quasi-totalité de la procédure et des écoutes judiciaires visant Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog, ainsi que le haut magistrat (en retraite) Gilbert Azibert, dans trois arrêts remis à leurs avocats.
L'ex-président de la République et actuel patron de l'UMP reste donc mis en examen pour « corruption active », « trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel ». La décision lui avait été signifiée par les juges d'instruction du pôle financier parisien Patricia Simon et Claire Thépaut le 1er juillet 2014, à l'issue de sa garde à vue.
De source informée, seule une écoute marginale de Thierry Herzog, opérée après l'ouverture de l'information judiciaire, mais pour laquelle il manquait une pièce, « l'avis au bâtonnier », a finalement été annulée, ce qui ne change rien au fond du dossier. La chambre de l'instruction a par ailleurs prononcé expressément la levée de la suspension de l'instruction.
L'avocat de Thierry Herzog, accompagné de celui de Nicolas Sarkozy, a aussitôt annoncé des pourvois en cassation ce jeudi matin, mais ceux-ci ne sont pas suspensifs, et ne seront pas forcément examinés en urgence. A priori, rien ne semble donc s'opposer à la reprise de l'instruction avec, à terme, le risque d'un possible renvoi devant le tribunal correctionnel des trois protagonistes, ce qui serait du plus mauvais effet pour les ambitions politiques de Sarkozy. Rien n'indique, en effet, que la Cour de cassation modifiera la jurisprudence sur les écoutes judiciaires, sachant que la plupart des affaires de terrorisme, de criminalité organisée et de grand banditisme reposent pour partie sur des retranscriptions d'enregistrements téléphoniques. Pour l'anecdote, la Cour de cassation devra par ailleurs veiller à ce qu'aucun des conseillers qui ont été entendus comme témoins lors de cette instruction ne participe à l'examen du pourvoi.
Dans cette affaire Bismuth, le bâtonnier des avocats de Paris, Pierre-Olivier Sur, ainsi que plusieurs pénalistes parisiens assez en vue avaient pris partie pour Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, en dénonçant à hauts cris une grave « dérive procédurale » et une « atteinte au secret professionnel et au secret des correspondances ». Dans la lutte à mort qu'ont livrée Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert aux magistrats financiers parisiens, ces derniers avaient en revanche bénéficié du soutien du procureur général près la cour d’appel de Paris, François Falletti. Lors de l’audience à huis clos qui s’est tenue mercredi 4 mars devant la chambre de l’instruction 7-2, au cours de laquelle les avocats des trois mis en examen avaient demandé l’annulation de toute l’affaire des écoutes, dite affaire Bismuth, le parquet général avait en effet requis le rejet de toutes les demandes de nullité.
La défense de Sarkozy, Herzog et Azibert soulevait non seulement l’illégalité alléguée des écoutes, mais également un problème de compétence judiciaire du procureur national financier (PNF), Éliane Houlette, à l'origine des poursuites pour « corruption active », « trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel ». Or le parquet général est venu au soutien de la procédure, demandant uniquement une petite annulation partielle, celle d’une écoute de Thierry Herzog, effectuée après l’ouverture de l’information judiciaire, et pour laquelle il manquait l’avis au bâtonnier des avocats de Paris. Une demande d’annulation partielle qui ne remet pas en cause l’équilibre général du dossier.
Le 23 septembre 2014, Édith Boizette avait déclaré irrecevables les demandes de suspension de l'instruction qui lui étaient soumises... mais, de façon surprenante, elle avait tout de même, de sa propre autorité, et sans motiver sa décision, décidé de geler l’instruction, le temps que le fond soit examiné, en vertu des pouvoirs discrétionnaires que lui confère le Code de procédure pénale (article 187). Sa décision n'était susceptible d'aucun recours. Résultat : cette affaire d'État aura été congelée pendant plus de huit mois...
L’un des angles d’attaque de la défense visait l’acte par lequel les juges d’instruction ont été saisis : il s’agit du réquisitoire introductif, signé par le procureur national financier (PNF) Éliane Houlette, en accord avec le procureur général de la cour d'appel, François Falletti. En substance, les avocats soutenaient que cette affaire ne relevait pas de la compétence du procureur national financier. S’ils avaient obtenu gain de cause sur ce point essentiel, c’est toute la procédure qui se serait écroulée.
L’autre cible de la défense résidait dans les écoutes téléphoniques judiciaires qui sont à l’origine de l’affaire, et dont la régularité était également contestée. Initialement ordonnées par le juge Serge Tournaire dans l’affaire libyenne qui menace Nicolas Sarkozy, ces écoutes avaient fait apparaître l’existence de lignes téléphoniques secrètes ouvertes au nom de Paul Bismuth, grâce auxquelles Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, échangeaient discrètement sur les affaires en cours. Selon les retranscriptions, les deux amis s’inquiétaient alors du sort des agendas saisis dans l’affaire Bettencourt et qui semblaient constituer une menace sérieuse dans l’affaire Tapie.
Ces conversations avaient aussi fait apparaître des démarches officieuses en direction du haut magistrat Gilbert Azibert, alors en poste à la Cour de cassation, lancées pour qu’il se renseigne sur l’évolution de la procédure, et même qu’il essaie d’intervenir dans un sens favorable à Nicolas Sarkozy, avec l’espoir d’être récompensé par un poste à Monaco.
Les perquisitions effectuées à la Cour de cassation, la garde à vue de Nicolas Sarkozy, puis sa mise en examen après celles de son avocat, Thierry Herzog, et du haut magistrat Gilbert Azibert, avaient constitué un événement à forte portée politique, ainsi qu’un véritable séisme au sein de la magistrature. L'affaire avait également irrité le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin.
Restent d'autres affaires qui font encore planer un risque judiciaire réel au-dessus de la tête de l'ancien et nouveau champion de la droite : celle du possible financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, ainsi que l'enquête à tiroirs sur Bygmalion, les finances de l’UMP et le financement de sa campagne de 2012. La course d'obstacles de Sarkozy se poursuit.
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