C'est un coup d'arrêt dans la communication de Marine Le Pen. Le traditionnel défilé du FN en l'honneur de Jeanne d'Arc, ce vendredi, devait être « un 1er-Mai qui met en première ligne les élus du Front national » et souligne les bons résultats électoraux du parti, pour faire oublier la crise familiale et les déboires judiciaires de Jean-Marie Le Pen. Mais il a été marqué par plusieurs incidents qui entravent la « dédiabolisation » que veut afficher sa présidente, et par une foule clairsemée. Quelque 3 500 à 4 000 personnes ont défilé cette année, des chiffres bien inférieurs aux défilés précédents comme l'a relevé l'AFP.
« J'assume tout l'héritage du Front national », avait déclaré Marine Le Pen, en 2011, lorsqu'elle avait pris la tête du parti. Cette semaine, elle est apparue rattrapée par un héritage du Front national qu'elle n'a jamais condamné, et un président d'honneur qu'elle s'est jusqu'à présent refusée à exclure.
- Les Femen violemment évacuées
La présidente du FN venait d'entamer son discours à la tribune lorsque trois "Femen" ont fait irruption au balcon du Grand Hôtel de Paris, donnant sur la place de l'Opéra. Les militantes féministes, seins nus et munies de mégaphones, ont fait le salut nazi et déployé des banderoles rouges « Heil Le Pen ! ». Déstabilisée, Marine Le Pen a interrompu son discours pendant quelques minutes, jusqu'à ce que quatre membres du service d'ordre du FN évacuent très violemment les militantes :
« Il est assez paradoxal quand on se dit féministe de venir perturber un hommage à Jeanne d’Arc », a tenté de répondre la patronne du FN. « Je crois que certaines vont être obligées d'aller se rhabiller », a-t-elle ajouté lorsque le service d'ordre est intervenu, avant de lancer : « Que de surprises dans ce 1er-Mai ! »
Dans la foule, des insultes à l'égard des militantes fusent, comme l'ont rapporté nos confrères du Lab et du Parisien : « Putain de salope, tuez-la ! » ; « Sale négresse de merde » ; « Nique ta mère sale pute » ; « Qu'ils les violent avec un bout de bois clouté ». D'après l'AFP, sept interpellations ont eu lieu après l'incident, dont trois membres de la sécurité FN.
Deux plaintes ont été annoncées, l'une de la part des Femen pour « violences, violation de domicile et arrestation arbitraire », l'autre de la part de Marine Le Pen pour « violences volontaires » et « atteinte à la liberté de manifester ».
Florian Philippot, le vice-président du FN, s'est lui fendu d'un tweet :
Pendant que la Caste beugle "Vive les femen !" nous disons "Vive la France !"
— Florian Philippot (@f_philippot) 1 Mai 2015
- Des équipes de télévision de France 5 et Canal Plus agressées
Un autre incident a perturbé l'événement frontiste : l'agression de deux équipes de télévision, de Canal Plus et France 5, pendant le discours de Marine Le Pen. Alors que trois journalistes du « Petit Journal » de Canal Plus filmaient aux abords du carré VIP du Front national, l'eurodéputé Bruno Gollnisch a tenté de saisir leur perche et leur a donné des coups avec son parapluie :
Les journalistes ont ensuite été violemment pris à partie par des militants frontistes, avant d'être évacués par le service d'ordre du parti. « Sale journalistes de merde. Pédés de rouge » ; « Journoputes » ; « journalopes », ont lancé des militants.
« Nos journalistes violemment molestés et évacués du défilé FN », a dénoncé vendredi après-midi le « Petit Journal » sur Twitter. De son côté, Bruno Gollnisch a justifié son acte, sur Francetv Info et Twitter :
Les provocateurs de Canal * pratiquent le micro-perche espion. Après 30 mn., j'ai détruit l'espion. Petite leçon gratuite de déontologie...
— Bruno Gollnisch (@brunogollnisch) 1 Mai 2015
Certains responsables ou militants du FN l'ont félicité :
Je suis déçu de la réaction des militants FN face aux journalistes du @LPJofficiel...Ils auraient dû frapper plus fort !#journalope #collabo
— Bruno Clavet (@BrunoClavet) 1 Mai 2015
Qui s'y frotte s'y pique !!! @LPJofficiel #Canal+ cc @brunogollnisch https://t.co/YRZN71Sidd
— Amaury NAVARRANNE (@ANAVARRANNE) 1 Mai 2015
Bravo Bruno ! Amitiés respectueuses. https://t.co/H1lxcwyiBH
— Bruno Lemaire (FN66) (@BrunoL66) 1 Mai 2015
Une équipe de France 5 a également été agressée lors du défilé, a annoncé la journaliste Anne-Sophie Lapix, qui présente « C à vous » :
Nos journalistes @cavousf5 ont aussi été agressés lors du défilé du FN. Leur caméra est cassée. Ils ont été évacués par le service d'ordre
— Anne-Sophie Lapix (@aslapix) 1 Mai 2015
- Des membres de l'extrême droite radicale dans le cortège
Dans le cortège, on retrouve les slogans « officiels » du FN – « ni droite, ni gauche, Front national », « France Marine, Liberté », « Hollande t'es foutu, la jeunesse est dans la rue » –, mais aussi des éléments loin de l'image qu'entend donner Marine Le Pen : des militants distribuent le journal d'extrême droite Rivarol ; un homme porte un blouson des néonazis grecs d'Aube dorée ; un slogan « Communistes assassins » est visible ; des identitaires défilent avec leurs drapeaux.
Si ces drapeaux sont évacués par le DPS (Département sécurité protection), des membres de ce même service de sécurité poseront quelques minutes plus tard avec le leader identitaire Philippe Vardon, comme l'a noté notre confrère de La Croix :
Le DPS #FN du Vaucluse se fait photographier avec @P_Vardon des Identitaires #1erMai pic.twitter.com/9EwTQrrwVX
- Un discours axé sur la « France éternelle et le Travail »
« Nous avons eu raison sur tout, absolument tout », a martelé Marine Le Pen dans son discours d'une heure. « Immigration, communautarisme, fondamentalisme islamiste... La France est aujourd'hui hors contrôle », a-t-elle décrété. À nouveau, elle a fustigé la « caste » et le « système », qui « se sent menacé », « ne travaille plus qu’à sa propre survie, au risque de mettre fin à notre pays ».
Avant de dérouler ses fondamentaux – dénonciation de la « technocratie bruxelloise », de l'« immigration massive », lien entre immigration et terrorisme –, la présidente du FN a longuement fait l'éloge de la « France éternelle et (du) Travail » « menacées par nos élites » et par « nos dirigeants (qui) récupèrent l’Histoire », « transforment leur politique en propagande mémorielle antipatriotique ».
Dans une longue partie « historique », elle a évoqué « l'âme de la France », « la force spirituelle de nos églises, aujourd’hui la cible des islamistes » et énuméré les « grands Hommes » qui ont fait « l'Histoire de France ». Si elle a notamment cité Jean Jaurès et Olympe de Gouges, des références traditionnellement utilisées par la gauche, elle s'est surtout attardée sur Jeanne d'Arc, pourtant au second plan dans ses précédents discours du 1er-Mai : « Se souvenir de Jeanne d’Arc, c’est se rappeler qui nous sommes et d’où nous venons, a-t-elle déclaré. Nous remercions Jeanne du sacrifice consenti, nous rendons hommage à la Sainte, la bergère, la guerrière, la patriote. (...) Fils et filles de France, prenez exemple sur la petite bergère qui, portée par sa foi en la France, a accompli des miracles. »
Pendant ce temps-là, des élus socialistes ont rendu hommage à Brahim Bouarram, mort le 1er mai 1995 après avoir été jeté dans la Seine par des militants d'extrême droite à l'issue du défilé du FN.
- L'irruption de Jean-Marie Le Pen sur scène
Brouillé avec sa fille depuis ses déclarations sur RMC et dans Rivarol, le fondateur du FN n'était pas convié sur scène – Marine Le Pen avait préféré y installer les nouveaux élus départementaux –, et était cantonné à un siège au pied de la tribune, avec dirigeants et parlementaires. Vêtu d'une parka rouge, il s'est pourtant invité sur l'estrade, bras en l'air, alors que sa fille allait entamer son discours :
Outre ses récentes déclarations sur les chambres à gaz, à nouveau qualifiées de « détail » de l'Histoire, et sa réhabilitation du maréchal Pétain, Jean-Marie Le Pen embarrasse aussi son parti par ses ennuis judiciaires. Comme l'a révélé Mediapart lundi, le fondateur du FN a détenu un compte caché chez HSBC à travers un trust placé sous la responsabilité légale de son majordome, Gérald Gérin. Il a également « omis » de faire figurer sur la déclaration de patrimoine un achat de lingot d'or à Paris. Ces éléments, aujourd'hui entre les mains du parquet de Nanterre, n'ont suscité qu'un lourd silence au Front national.
Jusqu'à son discours, ce vendredi, Marine Le Pen est restée muette et a fui les caméras. Mercredi, elle s'est contentée d'expliquer au Monde qu'elle n'était « au courant de rien, c'est l'affaire personnelle de Jean-Marie Le Pen ». Face à l'absence de démenti de Jean-Marie Le Pen, qui a refusé de s'expliquer, le parti n'a pas caché son embarras.
Dirigeants et élus ont oscillé entre silence et inquiétude (lire notre article). « Je m’abstiendrai de tout commentaire là-dessus, je pense que c’est lui qui sera en mesure de se défendre et de dire ce qu’il a à dire sur le sujet », a répondu vendredi à iTélé le secrétaire général du parti, Nicolas Bay, en évoquant « un différend entre (Jean-Marie Le Pen) et l’administration qui ne concerne pas le Front national ». « Je ne prends pas pour argent comptant ce que dit Mediapart, à plusieurs reprises on a eu des informations de Mediapart qui étaient extrêmement erronées, partielles ou partiales », a-t-il ajouté – sans dire lesquelles.
« On attend, comme tout le monde, l'expression [publique] de Jean-Marie Le Pen là-dessus, avait réagi mercredi Wallerand de Saint-Just, le trésorier du FN, interrogé par Mediapart. On attend qu'il dise noir ou blanc, si c'est vrai ou pas. Hier il s'est exprimé de manière particulièrement elliptique (sur France Inter, ndlr). »
Le trésorier du FN admet que cette affaire « sera dans les esprits » lundi, lorsque le bureau exécutif du parti décidera s'il sanctionne ou non le président d'honneur du Front national. Alors que l'eurodéputée Marie-Christine Arnautu, proche de Jean-Marie Le Pen, a jugé « surréaliste » une éventuelle exclusion du fondateur du FN, Florian Philippot a estimé à l'issue du défilé qu'il venait « d'alourdir son dossier ».
BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé vendredi à 20h40 avec l'annonce de l'agression d'une équipe de journalistes de France 5.
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