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L'argent caché de Jean-Marie Le Pen en Suisse

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Cette fois, le majordome par qui le scandale arrive est « un garçon loyal » – selon l’expression d’un ancien dirigeant du Front national –, « un homme de confiance absolue » même, et qui n’a rien enregistré, contrairement à l’un de ses collègues chez les Bettencourt. 

Selon les informations obtenues par Mediapart, Jean-Marie Le Pen a détenu un compte caché chez HSBC, puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH), à travers un trust placé sous la responsabilité légale de son majordome, Gérald Gérin. Ce dernier est le trésorier des associations de financement Cotelec et Promelec – cette structure étant placée sous l'autorité conjointe de Marine Le Pen et de son père.

2,2 millions d’euros ont été déposés sur le compte de ce trust, dont 1,7 million sous forme de lingots et de pièces d'or. Le parquet de Nanterre a reçu ces éléments du service antiblanchiment Tracfin, alors qu'une enquête préliminaire est ouverte à Paris depuis fin 2013 sur le patrimoine du fondateur du FN. Un courrier daté de 2008, dans lequel M. Gérin reconnaît être l'ayant droit du trust, a été communiqué à la justice. 

Jany Le Pen, l'épouse de Jean-Marie Le Pen, aurait quant à elle clôturé un compte personnel au Crédit suisse en 2008. Ces informations pourraient donner une nouvelle dimension à la crise ouverte au Front national entre le père et la fille. Le 4 mai, le bureau exécutif doit décider s'il sanctionne ou non le président d'honneur pour ses déclarations à RMC et Rivarol. Sollicités par Mediapart, ni Jean-Marie ni Jany Le Pen n'ont donné suite à nos demandes.

Jean-Marie Le Pen et Gérald Gérin (à droite) au congrès du FN à Tours, le 15 janvier 2011.Jean-Marie Le Pen et Gérald Gérin (à droite) au congrès du FN à Tours, le 15 janvier 2011. © Reuters

Gérald Gérin, 41 ans, l'ayant droit du trust de Le Pen, a été formé au lycée hôtelier de Marseille. Un temps barman au Carlton de Nice, il est devenu, à 20 ans, le majordome du couple Le Pen, avant de faire ses débuts en politique, lors d’une première candidature aux législatives de 2007 à Vitrolles. À l’époque, l’Express souligne dans un portrait qu’il consacre au majordome que Gérin « possède même la signature » des comptes bancaires de Jean-Marie Le Pen. 

Gérald Gérin, candidat du FN aux législatives de 2012.Gérald Gérin, candidat du FN aux législatives de 2012. © dr

Élu au conseil régional PACA en 2010, candidat aux législatives dans les Bouches-du-Rhône en 2012, Gérald Gérin a été l’assistant parlementaire de Jean-Marie Le Pen, avant de devenir celui de la députée européenne Marie-Christine Arnautu, une proche du fondateur du FN. Il reste logé dans une annexe de la résidence de Jean-Marie Le Pen et son épouse Jany, la Bonbonnière, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) – théâtre d'un incendie, fin janvier. « Je suis un peu son deuxième cerveau, assurait M. Gérin à l’Express. Je le libère des tâches usuelles, mais non ménagères. » 

Gérald Gérin apparaît aujourd'hui dans l'organigramme du Front national, comme « assistant » au sein du cabinet du président d'honneur. S'il a obtenu procuration sur les comptes personnels, déclarés, de Jean-Marie Le Pen, le majordome est devenu en 2008 l’ayant droit d’un trust basé aux îles Vierges britanniques – « BVI » dans le jargon, Balerton Marketing Limited. Cette structure gérée depuis Genève par Me Marc Bonnant, l’un des avocats d’affaires de la place, a détenu un compte ouvert à la HSBC jusqu'en mai 2014. À cette date, le compte aurait été clôturé et les fonds transférés aux Bahamas, sur un compte ouvert auprès de la Compagnie bancaire helvétique (CBH).

Ainsi que l’a révélé l’affaire SwissLeaks, Me Bonnant a géré les neuf comptes ouverts à la HSBC pour le styliste italien Valentino Gavarini. Selon des documents en notre possession, il est aussi intervenu à la demande de HSBC Genève pour ouvrir des « sociétés BVI » à des clients de la banque. Joint par Mediapart, Me Bonnant a déclaré n'avoir « aucun compte pour M. Jean-Marie Le Pen », mais il s'est retranché derrière le secret professionnel concernant M. Gérin. Gérald Gérin, lui, a contesté être l'ayant droit du trust. Il a indiqué à Mediapart qu'il allait « demander des explications » à MM. Le Pen et Bonnant. 

La confiance de Jean-Marie Le Pen envers son majordome l'a conduit à le désigner, dans les années 2000, trésorier de son association de financement Cotelec, chargée de promouvoir son image et au-delà de soutenir financièrement le FN. Cotelec a ainsi prêté près de 3 millions d'euros au Front national en 2012, et plus de 4 millions en 2013. Mais Gérald Gérin est aussi, depuis décembre 2013, le trésorier d’un micro-parti commun à Marine et Jean-Marie Le Pen, Promelec – destiné à « promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen ». La présidente du FN est secrétaire générale de cette association présidée par son père.

Gérald Gérin, l'assistant personnel de Jean-Marie Le Pen, et le trésorier de son association de financement Cotelec.Gérald Gérin, l'assistant personnel de Jean-Marie Le Pen, et le trésorier de son association de financement Cotelec. © maritima.info

Le Front national est aujourd'hui confronté à une enquête judiciaire sans précédent sur le financement de ses campagnes. Les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi ont déjà mis en examen six personnes, prestataires du FN et responsables du micro-parti de Marine Le Pen, dans cette affaire. Mais la Brigade financière épluche parallèlement le patrimoine de Jean-Marie Le Pen, depuis fin 2013. Le parquet de Paris a en effet ouvert une enquête préliminaire à la suite d’un signalement de la Commission pour la transparence financière de la vie politique – remplacée aujourd’hui par la Haute Autorité. La commission avait évalué l’enrichissement personnel du fondateur du FN à 1 127 000 euros sur la période 2004-2009 couvrant sa précédente mandature au parlement européen, et elle l’avait jugé suspect au vu de ses revenus officiels.

Les informations sur la détention d'un trust non déclaré en Suisse pourraient conduire à ouvrir un nouveau front judiciaire. Des poursuites pourraient être engagées contre Jean-Marie Le Pen pour avoir transmis une « fausse déclaration » à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et/ou pour fraude fiscale.

En 2012, Mediapart avait révélé des anomalies dans les dépenses de campagne présentées par Gérald Gérin, en tant que trésorier de Cotelec, à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Un voyage de onze jours en Thaïlande effectué par M. Gérin en août 2006 avait ainsi été inclus dans le compte de campagne présidentiel de Jean-Marie Le Pen en 2007. Le majordome avait indiqué que ce voyage visait à préparer dans ce pays une visite du candidat.

« Je me suis rendu dans les différents complexes et résidences hôtelières de Bangkok (Bayan Tree, Sukotai, etc.) afin d’étudier les différentes propositions que pourraient nous offrir ces établissements selon nos besoins (chambres, salle de réunion, banquets, transport, salon de cocktail). Le voyage a coûté, chambre, minibar, téléphone et voyage inclus, 3 482 euros », avait alors déclaré M. Gérin à Mediapart, expliquant qu’un coup d’État survenu par la suite en Thaïlande avait remis en cause le voyage de M. Le Pen.

En tant qu'assistant parlementaire européen, Gérald Gérin devrait aussi répondre aux questions des policiers chargés de l'enquête ouverte à la suite du courrier du président du parlement européen à la ministre de la justice Christiane Taubira, concernant des emplois fictifs présumés du FN au parlement.

Le patrimoine de Jean-Marie Le Pen et son éventuelle fortune cachée ont déjà fait l’objet de nombreuses interrogations, qu’il s’agisse de l'héritage du cimentier Lambert qui l’a rendu millionnaire dans les années 1970, de son compte suisse ouvert à l’UBS dans les années 1980, ou encore de sa relation avec le banquier genevois Jean-Pierre Aubert, mis en cause pour blanchiment au début des années 1990.

Le compte de Jean-Marie Le Pen à l’UBS avait été ouvert en mars 1981 par son vieil ami Jean-Pierre Mouchard, un éditeur qui fut le trésorier de Cotelec avant Gérald Gérin, jusqu’en 1997. Comme Mediapart l’avait dévoilé, le même homme avait utilisé dans les années 1990 les services de plusieurs sociétés offshore, Overseas Property Services Limited à Gibraltar, et la panaméenne Hadret al Raiss.

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